13 février 2021

Ce qu'il faut de nuit - Laurent Petitmangin

    


C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent, et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l'importance à leurs yeux, ceux qu'ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.
Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulgurant, dénoue avec une sensibilité et une finesse infinies le fil des destinées d'hommes en devenir.


*****

Sixième et dernière lecture pour ce Club de lecture dédié à la rentrée littéraire 2020. De belles découvertes avec majoritairement des premiers romans : Je suis la bête - Andréa Donaera ; Le monde du vivant - Florent Marchet ; Mauvaises herbes - Dima Abdallah ; Les lettres d'Esther - Cécile Pivot ; Le lièvre d'Amérique - Mireille Gagné.

Pour cette dernière lecture, on découvre un univers ordinaire, banal pourrait-on dire, celui d'un monde ouvrier en plein effondrement, dans l'est de la France où les petites gens sont abandonnées à leur sort quand les mines ou les usines ferment les unes après les autres. A travers l'histoire tragique de ce père qui se retrouve à élever seul ses deux garçons, c'est le portrait d'une société oubliée que dresse Laurent Petitmangin. On y rencontre l'évolution d'une France qui se cherche, avec des parents qui ont milité à gauche, collé des affiches, ce sont retrouvés à refaire le monde dans le local du syndicat. Des parents que les politiques ont oubliés, des régions qu'ils ont laissées sombrer. C'est le monde des idéaux perdus, même si on fait encore semblant d'y croire au syndicat, des rêves oubliés. Pour ces pères, c'est aussi le temps de la tranquillité, du ronronnement du quotidien. Pour les fils cependant, la vie ne s'est pas améliorée : ils ont encore des rêves et espèrent un avenir meilleur.

Ce récit est celui du destin, de la vie qui vous trahit parfois. La mère meurt d'un cancer. Le père encaisse et tente de continuer à faire tourner la maison, pour ses fils. Il tente de conserver un semblant de normalité, même si souvent, le soir, quand les enfants sont couchés, il se laisse aller. Mais la vie continue, le travail à la SCNF, les repas à préparer, les discussions au syndicat avec les copains qui prennent de l'âge, la scolarité des enfants, les matchs de foot... Parfois le destin vous envoie de belles rencontres, ce sera le cas pour Gillou, le cadet qui partira suivre ses études à Paris. Parfois, le hasard des rencontres vous conduit au drame, ce sera le cas pour Fus.

"J’avais finalement compris que la vie de Fus avait basculé sur un rien. Que toutes nos vies, malgré leur incroyable linéarité de façade, n’étaient qu’accidents, hasards, croisements et rendez-vous manqués. Nos vies étaient remplies de cette foultitude de riens, qui, selon leur agencement nous feraient rois du monde ou taulards."

Combien de fois me suis-je dis en lisant ce livre que tout ça était la faute à "pas de chance". La faute au père aussi quand même, qui laisse la fatalité faire son œuvre, qui ne se rebelle pas, qui a perdu le goût de se battre, même pour ses gars qui étaient de "bons petits". Il aurait fallu si peu sans doute pour remettre Fus dans le droit chemin... sauf que le père ne parle pas, ne sait sans doute pas trop comment s'y prendre, a perdu son énergie avec le décès de sa femme. Le style de Laurent Petitmangin est simple, épuré, doux aussi. Il va à l'essentiel, comme son narrateur, ce père un peu déboussolé. Le rythme est en parfaite harmonie avec le récit.

Peu de pages pour nous faire comprendre qu'il faudrait souvent juste ce petit rien pour sauver des enfants. Ce n'est même pas que les parents les oublient ou les abandonnent, mais plutôt que les douleurs de la vie les rendent moins présents, moins conscients de ce que vivent leurs enfants. Combien en avons nous tous croisés de ces enfants qui ont pris le mauvais chemin mais qu'une attention, une présence, un petit coup de pouce aurait suffit à sauver. Un beau texte sur ces trois hommes un peu déboussolés après la mort de la "moman", et sur un amour qui les unit malgré tout, malgré cette rupture irréparable.

Un magnifique récit, tout en nuances, qui laisse le lecteur un peu en suspens, abandonné à la dernière page avec un sentiment de gâchis. Un texte d'une grande tendresse, d'une grande violence aussi face à cette révolte enfouie ou cachée, et tous ces non-dits. Un récit d'aujourd'hui.

"Pourtant ma colère passait. Je le savais , mais je ne voulais pas l’entendre . Je discutais le soir avec la moman. Elle nous voyait moi et son grand hanter la maison, mais je ne l’entendais pas me demander de passer l’éponge , vraiment pas. J’aurais changé , sinon. Comme moi, elle n’arrivait pas à s’en dépêtrer. Comme moi, sa colère s’éteignait , mais pas sa honte."

Ce qu'il faut de nuit - Laurent Petitmangin

Editeur La manufacture de livres - août 2020 - 198 pages


D'autres avis chez Kitty la mouette, Baz Art, Le Blog de Mimi Pinson, ou en encore Alex Mot à mots.


   


1 commentaire:

  1. Je me suis pris un sacré coup de poing dans le bide avec ce bouquin ! Quel bouquin ! Je devrais penser à rédiger ma chronique d'ailleurs...

    RépondreSupprimer