Cet été-là, Solène a quatorze ans et déteste son père, Jérôme. Celui-ci a décidé d'installer sa petite famille loin d'Orléans, dans une ferme biologique où les corvées n'arrêtent jamais. C'est la fin du collège et le début du sentiment amoureux. Solène découvre la sexualité, sa légèreté, ses bouderies, ses audaces. Elle aimerait vivre, et a l'impression que le monde entier l'en empêche. Enfin, surtout son père.
Alors que les moissons approchent, un accident survient ; l'équilibre familial est chamboulé. En ce mois de juillet, la vie s'embrase. Florent Marchet joue sur les émotions de chacun, la solitude de l'existence, sa beauté aussi. Une forme de suspens saisit cette campagne où il fait trop chaud, où les corps sont trop moites, où les gestes sont maladroits et où les malentendus vont croissant, jusqu'au finale.
Un premier roman qui regarde le monde contemporain droit dans les yeux.
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Le Club de lecteurs de la bibliothèque nous propose de nouveau un premier roman de cette rentrée littéraire 2020. Il s'agit là encore d'un récit sur le bouleversement, la révolution au sein de la famille. Après un passage dans le clan mafieux italien de Je suis la bête, direction la campagne française où une famille tente de donner un nouveau sens à sa vie en se rapprochant de la nature.
Ce roman réuni deux grands sujets.
D'abord celui du drame écologique qui se joue et de notre nécessaire prise de conscience quant à notre mode de vie et de consommation. Jérôme, ancien ingénieur, a décidé de changer de vie, de quitter la ville pour rejoindre la campagne et se lancer dans l'agriculture biologique. Comme pour de nombreux néo-ruraux, vient alors le moment de faire face à la réalité du monde, de confronter ses rêves d'une vie plus saine, ses convictions écologiques d'une vie plus rustique et décroissante… à la réalité du quotidien, de la charge de travail. Vient le temps des compromis entre une agriculture exigeante et le nécessaire équilibre financier. Autour de Jérôme, les agriculteurs conventionnels détruisent la nature dont ils espèrent quand même tirer profits et s'enfoncent toujours plus dans la misère et l'endettement. La ferme de Jérôme garde la tête hors de l'eau mais au détriment de la pureté du projet. Le caractère de Jérôme en pâti, il peste et grogne après tout le monde, en veut à la terre entière des difficultés qu'il rencontre.
La seconde histoire est celle de Solène, jeune collégienne de 15 ans pour qui les vacances d'été approchent. Elle regrette la ville, ses amis, les virées shopping avec sa mère, peste après ce petit frère qui a détourné d'elle un peu de l'attention de ses parents. Très bonne élève, elle cherche à s'intégrer aux groupes qui se préparent à fêter la fin de l'année scolaire, quitte à franchir les limites qu'elle s'était elle-même fixées. Et puis bien sûr, elle rencontre l'amour auprès de Baptiste, jeune garçon de sa classe. Solène aussi a envie de renverser la table, bouleverser son quotidien et le prendre en main, gagner son indépendance et vivre ses propres expériences.
C'est dans cette ambiance électrique qu'arrive Théo, doux rêveur, wwoofeur formé à la permaculture et l'agroforesterie, aux conditions de développement d'un mode de vie durable, bricoleur astucieux qui répare le toit de la grange et installe la clôture tant attendue. Théo est le petit grain de sable qui fini par tout faire exploser, mettant les uns et les autres face à leurs contradictions et leurs ambitions déçues, révélant la passion et la colère qui bouillonnent chez Jérôme comme chez sa fille, Solène.
J'ai beaucoup aimé ce récit qui témoigne de l'impatience d'une époque et d'un âge, l'adolescence. Chacun réalise qu'il va falloir quitter le confort de l'enfance, d'une vie protégée pour vivre sa vie et expériences, abandonner le mode de vie qui est le nôtre aujourd'hui, fait de surconsommation et d'une perte de sens. Mais avant d'atteindre l'âge adulte des certitudes et de l'assurance, il faut traverser bien des déceptions, des peurs et des vexations. Théo est celui qui semble avoir atteint l'âge adulte, fait ses expériences d'adolescent, avoir acquis une maturité et se couler sans regrets ni agressivité dans ce nouveau monde, offrant de son temps contre le logis et le couvert, pour partager son expérience et poursuivre sa formation.
"Théo oublie que ceux qui seraient prêts à accepter la révolution écologique ne sont pas nombreux, y compris au sortir d’une pandémie. Jérôme l’affirme souvent lors de ses interminables débats avec Marion : les pauvres veulent désormais jouer aux riches. Même en France, ils ne manifesteront jamais pour un changement radical de société. S’ils bloquent le pays, ce sera pour réclamer plus de consommation, plus de McDo, de centres commerciaux et d’écrans 4 K . Sans le savoir, ils manifesteront pour ce monde ultra-libéral, pour le droit à en être, à faire partie de l’élite qui se gave, qui profite, qui dépense sans compter, qui gaspille des ressources à l’infini dans un monde fini."
Ce récit montre bien que le chemin de la transformation ne se fait pas sans heurts ni obstacles. A la fin cependant, on peut se demander si l'être humain est assez sage pour parvenir à changer le monde et perdre ses vieux réflexes de domination et de toute puissance...
C'est aussi un récit qui parle de nous, d'une adolescence passée, plus ou moins lointaine, qui n'a pas toujours été facile et qui laisse des traces ; il nous parle d'un monde qu'on se prend à rêver, à idéaliser, mais pour lequel on n'est pas prêts à faire des sacrifices. Il nous parle de cet équilibre instable entre les ambitions, les petites rebellions et le confort qui nous engourdi. C'est un peu ça aussi l'adolescence...
Un premier roman très réussi, très riche en réflexions sur le monde qui est aujourd'hui le nôtre.
Le monde du vivant - Florent Marchet
Stock (La Bleue) – 288 pages ; Parution le 19 août 2020
Pour compléter cet avis, je vous invite à découvrir ceux des Livres d'Eve, Ma voix au chapitre, ou des Pages de Sam.
Je ne connais de Florent Marchet que ses chansons, et elles sont très bien.
RépondreSupprimerC'est en rédigeant cet article que j'ai découvert que ce monsieur chantait... je ne connaissais ni l'auteur ni le chanteur. J'irai peut-être écouter les chansons.
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