L'organisme de Diane tente de s'adapter doucement. Elle dort moins, devient plus forte et développe une endurance impressionnante. L'employée modèle qu'elle était peut encore plus se surpasser au travail. Or des effets insoupçonnés de l'intervention qu'elle vient de subir l'affolent. L'espace dans sa tête se resserre, elle sent du métal à la place de ses os. Tout est plus vif - sa vision, son odorat, sa respiration. (...)
Ce roman, une fable animalière néolibérale, s'adresse à celles et ceux qui se sont égarés.
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Que de livres savoureux et d'auteurs talentueux nous viennent d'outre atlantique, et plus précisément de ce petit bout d'Amérique du Nord où l'on parle encore le français. Malgré la langue qui nous rapproche, on sent dans toute cette littérature ce qui nous différencie, toute cette fantaisie et cette poésie qui nous font terriblement défaut me semble-t-il, de ce côté-ci de l'océan.
Comme je peux le ressentir avec la littérature scandinave, et particulièrement islandaise, on perçoit dans ces récits ce qui peut nous différencier d'un pays à l'autre, d'une culture à l'autre. Mais contrairement aux auteurs islandais avec lesquels j'ai du mal à accrocher, peut-être en raison de ce que je perçois comme une trop grande austérité..., j'aime l'univers des romanciers québécois. Disons le tout de suite, je ne suis pas une experte en la matière, ni pour les uns ni pour les autres : ce ne sont que mes ressentis jusqu'à ce jour. Mais je trouve chez nos cousins francophones une fantaisie, une originalité que j'adore. Même pour des sujets graves, le ton est décalé et poétique. Et toujours on y trouve la puissance de la nature et un attachement aux racines de l'humanité qui nous recentrent sur l'essentiel.
De la fantaisie, ce roman de Mireille Gagné n'en manque sûrement pas ! Diane est une femme moderne, dynamique et totalement dévouée à son boulot. Elle est efficace, offensive, investie et prête à ignorer les autres pour l'être plus encore. Mais Diane en veut toujours plus, surtout quand une nouvelle collègue menace de prendre sa place de leader. Pour protéger sa réputation et sa capacité de travail, Diane est prête à tout. Même à l'inconcevable. Je n'en dirai pas plus sur ce qu'elle est capable de faire pour être toujours plus au top, mais on la voit progressivement changer pour n'être plus qu'une machine.
Parallèlement à ce récit, on découvre les caractéristiques et mode de vie du lièvre d'Amérique qui dispose, lui, de toutes les ressources requises pour être ce champion de l'endurance et de l'efficacité. Le troisième volet du roman nous conduit sur les lieux de l'enfance de Diane, sur l'Ile aux grues, et vers sa rencontre avec Eugène, un étrange garçon qui deviendra son ami.
La nature est partout dans ce récit, au commencement et comme un aboutissement. Le thème du roman me fait un peu penser au récit de Mayumi Inaba, La péninsule aux 24 saisons, ou à celui de Maud Ankaoua, Kilomètre zéro. On y croise des femmes qui ont investi pleinement leur carrière professionnelle et qui finissent par devoir se réinterroger sur le sens véritable de la vie. Des femmes qui réapprennent à prendre le temps et à découvrir la nature... et les autres. Dans Le lièvre d'Amérique, Mireille Gagné conjugue ce thème avec une originalité et une énergie incomparables. Elle y mêle aussi un petit côté surnaturel, né d'une légende indienne que l'on découvre à la fin du livre.
Un court roman qui mérite le détour. Ne craignez pas cette fantaisie vivifiante et laissez-vous entraîner dans ce questionnement de notre monde et de cette société du toujours plus, toujours plus vite. On se disait lors du 1er confinement qu'on ne voulait pas reprendre notre rythme fou après le temps et prendre le temps de vivre pleinement chaque instant notre vie... il est bon qu'on nous le rappelle parfois. A découvrir !
Le lièvre d'Amérique - Mireille Gagné
Editions La Peuplade - août 2020 - 160 pages
D'autres avis chez Argali (lectrice infatigable des auteurs québécois), Alex Mot à mots, ou encore Un brin de Syboulette.
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