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09 mars 2022

Les graciées - Kiran Millwood Hargrave

    

1617, Vardø, au nord du cercle polaire, en Norvège. Maren Magnusdatter, vingt ans, regarde depuis le village la violente tempête qui s’abat sur la mer. Quarante pêcheurs, dont son frère et son père, gisent sur les rochers en contrebas, noyés. Ce sont les hommes de Vardø qui ont été ainsi décimés, et les femmes vont désormais devoir assurer seules leur survie. Trois ans plus tard, Absalom Cornet débarque d’Écosse. Cet homme sinistre y brûlait des sorcières. Il est accompagné de sa jeune épouse norvégienne, Ursa. Enivrée et terrifiée par l’autorité de son mari, elle se lie d’amitié avec Maren et découvre que les femmes peuvent être indépendantes. Absalom, lui, ne voit en Vardø qu’un endroit où Dieu n’a pas sa place, un endroit hanté par un puissant démon.
Inspiré de faits réels, Les Graciées captive par sa prose, viscérale et immersive. Sous la plume de Kiran Millwood Hargrave, ce village de pêcheurs froid et boueux prend vie.

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La Norvège sera le thème du prochain Comité de lecteurs à la bibliothèque Libre Cour de Vertou. Les bibliothécaires nous ont concocté une belle bibliographie d'ouvrages sur la Norvège et/ou écrits par des norvégien.nes. Si le pays me subjugue, j'avoue avoir abordé cette thématique avec un peu d'appréhension, mes dernières découvertes de littératures nordiques (islandaises notamment) m'ayant laissée quelque peu circonspecte. Je me suis pourtant prêtée au jeu et ai sélectionné quelques titres qui m'attiraient dans cette copieuse liste.

Ma première lecture a donc été ce roman de Kiran Millwood Hargrave, jeune poétesse et dramaturge anglaise. Dans ce superbe récit, l'autrice conduit son lecteur à la rencontre de deux jeunes femmes en Norvège au début du 17ème siècle : Maren, qui vit à Vardø, petit village au nord du cercle polaire qui vient de voir tous ses hommes périr en mer ; Ursa qui elle vient de Bergen, une ville vivante aux maisons colorées, et que son récent mariage avec le délégué Cornet, un écossais chasseur de sorcières, conduit à Vardø.

Les Graciées est un roman d'une grande sensibilité qui raconte la vie de ce village de femmes dans un environnement austère et rude, malmené par une nature intransigeante. Après la mort des hommes du village, leurs maris, enfants, pères, les femmes se retrouvent dans un élan de solidarité et prennent leur vie en main, allant jusqu'à s'aventurer en mer pour pêcher de quoi survivre. Mais rapidement, les rivalités naissent au sein de la collectivité et la lutte entre deux manières de considérer la vie s'engage.

Ces tensions sont exacerbées par le climat religieux de l'époque et l'arrivée du délégué, en chasse de sorcières dénoncées par leurs voisines, en particulier parmi la population Sami du village. C'est dans cet environnement délétère que Maren et Ursa tentent de sauver leur amitié naissante et gardent espoir d'une vie apaisée et libre.

Les Graciées est un magnifique récit sur l'amitié et l'amour, sur la solidarité et l'entraide, la tolérance et la liberté. Il témoigne tout autant des violences et des haines envers ceux qui sont différents, qui viennent d'ailleurs ou qui ont choisi une autre vie. En 1617 au nord de la Norvège, cette haine se tournait vers les Samis ou les femmes indépendantes, alors considérées comme des sorcières. A chaque époque ses boucs-émissaires.

"Je me souviens d'un temps où tu me disais que les runes te réconfortaient, un temps où les marins allaient trouver mon père pour qu'il lance ces os et leur indique le moment propice pour partir en mer. Tout cela n'est qu'un langage, Maren. Que tu ne le comprennes pas n'en fait pas l'œuvre du diable."

L'écriture de l'autrice met magnifiquement en valeur son récit. Ses talents de poétesse se révèlent dans ce récit historique passionnant. J'y ai retrouvé un peu du récit d'Olivier Truc, Le cartographe des Indes Boréales, un magnifique récit d'aventure qui nous mène également dans le nord de la Norvège où le peuple Sami gène les ambitions des riches européens basques ou hollandais. J'y ai également trouvé l'énergie de la communauté féminine rencontrée Dans la ville des veuves intrépides, un roman coloré et vivifiant dans un pays au sang chaud.

L'heureuse découverte d'un très beau récit et d'une auteure qu'il me tarde de lire encore.

Les Graciées - Kiran Millwood Hargrave
Edition Robert Laffont - août 2020 - 400 pages






23 décembre 2021

Le rapport chinois - Pierre Darkanian

      


Une rumeur circule dans les cercles de pouvoir. Elle concerne un épais dossier intitulé Le Rapport Chinois. On dit que sa lecture rend fou. Pour certains, ce rapport à quelque chose à voir avec les cartels de la drogue. Pour d’autres il s’agit du manifeste d’un complot mondial. Quelques-uns en parlent comme d’un texte visionnaire.
On s’accorde en tout cas sur l’identité de son rédacteur : Tugdual Laugier. Mais là-aussi le mystère reste entier… Est-ce le nom d’un imposteur surdoué, d’un prophète ou d’un parfait imbécile ?
Quand la société des Hommes devient une farce, la vérité a besoin d’un bouffon. Le premier roman de Pierre Darkanian est une corde de funambule tendue entre le vide de l’existence et l’absurdité du monde moderne. On y danse, trébuche et progresse derrière Tugdual, aussi inoubliable que Falstaff ou Ignatius Reilly, d’une falaise à l’autre, d’un rire féroce à une troublante mélancolie.

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Quel étrange ouvrage que ce premier roman de Pierre Darkanian ! Lecture commune du prochain Comité des lecteurs, il était aussi conseillé par la libraire lors de la présentation de la rentrée littéraire. Un roman farfelu, satirique sur fond de scandales financiers et qui traite de la vacuité de certains métiers, de l'absurdité du capitalisme... Un roman très drôle...

20 novembre 2021

Le cercueil de Job - Lance Weller

   

Alors que la Guerre de Sécession fait rage, Bell Hood, jeune esclave noire en fuite, espère gagner le Nord en s’orientant grâce aux étoiles. Le périple vers la liberté est dangereux, entre chasseurs d’esclaves, combattants des deux armées et autres fugitifs affamés qui croisent sa route. Jeremiah Hoke, quant à lui, participe à l’horrible bataille de Shiloh dans les rangs confédérés, plus par hasard que par conviction. Il en sort mutilé et entame un parcours d’errance, à la recherche d’une improbable rédemption pour les crimes dont il a été le témoin. Deux destinées qui se révèlent liées par un drame originel commun, emblématique d’une Amérique en tumulte.
Doté d’un souffle épique qui emporte tout sur son passage, Le Cercueil de Job est un somptueux roman qui rend justice aux plus beaux espoirs humains.

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17 novembre 2021

Tocqueville, vers un nouveau monde - Kévin Bazot

  

Eté 1831. Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont, deux aristocrates français en visite aux Etats-Unis, entreprennent un voyage au cœur de la région des Grands Lacs, en quête de l'extrême limite de la civilisation occidentale. Entre le peuple indien en voie de disparition et l'avancée de l'homme blanc à travers le Nouveau Monde, des forêts sauvages à l'urbanisation intense, ils nous dressent au fil de leur parcours un portrait de l'Amérique des pionniers. Bien connu pour son ouvrage de philosophie politique De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville apparaît dans ce récit (inspiré de son propre carnet de voyage) comme un jeune homme idéaliste, en quête d'infini et de nature vierge, comme si le héros d'Into the wild vivait les aventures du Dernier des Mohicans.

03 novembre 2021

Shiloh - Shelby Foote

   

Immense romancier américain, dans la lignée de William Faulkner, Shelby Foote est un auteur encore assez méconnu en France. Un de ses livres les plus importants en Amérique s'appelle «Shiloh», épopée miniature qui raconte la guerre de Sécession en 200 pages à travers la voix de soldats ou lieutenants des deux camps. Chaque chapitre est ciselé à la perfection, explorant la nature humaine, l'absurdité des combats, l'étrange ivresse de la cause et la détresse inévitable devant le spectacle de la violence et la mort. Tous les paradoxes à l'œuvre dans une guerre. On pense à James Lee Burke, à William March... «Shiloh» est traduit pour la première fois en français.

20 octobre 2021

L'envol du moineau - Amy Belding Brown

  
 
Colonie de la baie du Massachusetts, 1672. Mary Rowlandson vit dans une communauté de puritains venus d'Angleterre. Bonne mère, bonne épouse, elle souffre néanmoins de la rigidité morale étouffante qui règne parmi les siens. Si elle essaie d'accomplir tous ses devoirs, elle se sent de plus en plus comme un oiseau en cage. Celle-ci va être ouverte de façon violente lorsque des Indiens attaquent son village et la font prisonnière. Mary doit alors épouser le quotidien souvent terrible de cette tribu en fuite, traquée par l'armée. Contre toute attente, c'est au milieu de ces "sauvages" qu'elle va trouver une liberté qu'elle n'aurait jamais imaginée. Les mœurs qu'elle y découvre, que ce soit le rôle des femmes, l'éducation des enfants, la communion avec la nature, lui font remettre en question tous ses repères. Et, pour la première fois, elle va enfin pouvoir se demander qui elle est et ce qu'elle veut vraiment. Cette renaissance pourra-t-elle s'accoutumer d'un retour " à la normale ", dans une société blanche dont l'hypocrisie lui est désormais insupportable ?
Cette magnifique épopée romanesque, inspirée de la véritable histoire de Mary Rowlandson, est à la fois un portrait de femme bouleversant et un vibrant hommage à une culture bouillonnante de vie, que la " civilisation " s'est efforcée d'anéantir.

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22 août 2021

Du miel sous les galettes - Roukiata Ouedraogo

   

Roukiata est née au Burkina-Faso. De sa plume, légère et nostalgique, elle raconte avec tendresse et humour ses années d’enfance, son pays, ses écrasantes sécheresses et ses pluies diluviennes, la chaleur de ses habitants, la corruption et la misère. Elle raconte sa famille, sa fratrie, ses parents, l’injustice qui les frappe avec l’arrestation de son père. Mais, surtout, elle raconte sa mère. Cette femme, grande et belle, un « roc » restée seule pour élever ses sept enfants, bataillant pour joindre les deux bouts, en vendant sur le pas de sa porte ses délicieuses galettes.

23 mai 2021

Le coût de la vie - Deborah Levy

   

Un divorce forcément douloureux, une grande maison victorienne troquée contre un appartement en haut d’une colline dans le nord de Londres, deux filles à élever et des factures qui s’accumulent… Deborah Levy a cinquante ans quand elle décide de tout reconstruire, avec pour tout bagage, un vélo électrique et une plume d’écrivain. L’occasion pour elle de revenir sur le drame pourtant banal d’une femme qui s’est jetée à corps perdu dans la quête du foyer parfait, un univers qui s’est révélé répondre aux besoins de tous sauf d’elle-même. cette histoire ne lui appartient pas à elle seule, c’est l’histoire de chaque femme confrontée à l’impasse d’une existence gouvernée par les normes et la violence sournoise de la société, en somme de toute femme en quête d’une vie à soi.
Ce livre éblouissant d’intelligence et de clarté, d’esprit et d’humour, pas tant récit que manifeste, ouvre un espace où le passé et le présent coexistent et résonnent dans le fracas incessant d’une destinée. Le Coût de la vie tente de répondre à cette question : que cela signifie-t-il pour une femme de vivre avec des valeurs, avec sens, avec liberté, avec plaisir, avec désir ? La liberté n’est jamais gratuite et quiconque a dû se battre pour être libre en connaît le coût. Marguerite Duras nous dit qu’une écrivaine doit être plus forte que ce qu’elle écrit. Deborah Levy offre en partage cette expérience.

10 mai 2021

Rassemblez-vous en mon nom - Maya Angelou

   

Silhouette imposante, port de tête altier, elle fait résonner la voix d’une femme noire, fière et volontaire, qui va devoir survivre dans un monde d’une extrême dureté, dominé par les Blancs. Une voix riche et drôle, passionnée et douce qui, malgré les discriminations, porte l’espoir et la joie, l’accomplissement et la reconnaissance, et défend farouchement son droit à la liberté. Après l’inoubliablement beau Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage, Maya Angelou poursuit ici son cycle autobiographique. Maya Angelou fut poétesse, écrivaine, actrice, militante, enseignante et réalisatrice. Elle a mené de nombreux combats avant de devenir une icône contemporaine qui a inspiré la vie de millions de personnes. Elle a côtoyé Nelson Mandela, Martin Luther King, Malcolm X et James Baldwin. À sa mort, Michelle Obama, Rihanna, Oprah Winfrey, Emma Watson, J. K. Rowling et beaucoup d’autres encore lui ont rendu hommage.

29 avril 2021

Retour à Reims - Didier Eribon

   
 

Après la mort de son père, Didier Eribon retrouve son milieu d’origine avec lequel il avait plus ou moins rompu trente ans auparavant. Il décide alors de se plonger dans son passé. S’attachant à retracer l’histoire de sa famille et la vie de ses parents et grands-parents, évoquant le monde ouvrier de son enfance, restituant son parcours d’ascension sociale, il mêle à chaque étape de son récit les éléments d’une réflexion sur les classes, le système scolaire, la fabrication des identités, la sexualité, la politique, les partis, la signification du vote, etc. Réinscrivant ainsi les trajectoires individuelles dans les déterminismes collectifs, il s‘interroge sur la multiplicité des formes de la domination et donc de la résistance. Un grand livre de sociologie et de théorie critique.

20 avril 2021

J'aurais pu devenir millionnaire, J'ai choisi d'être vagabond - Alexis Jenni

  

" C'est l'homme le plus libre que j'ai jamais rencontré ", disait de lui Theodore Roosevelt.

Né en Écosse, débarqué à dix ans aux États-Unis, installé dans la région des Grands Lacs, il travaille sans relâche dans la ferme familiale, mais lève parfois la tête pour s'émerveiller de la nature environnante. Le soir, il invente des machines qu'il présente en ville, dont ce réveil qui le sort automatiquement du lit à l'heure du lever. Très vite, John Muir rejette cette existence de forçat et décide de vivre en autonomie dans la nature. Il quitte le Wisconsin et sillonne le pays à pied jusqu'en Floride, puis rejoint la Californie. Dès lors, il ne cessera de parcourir le monde. Figure mythique aux États-Unis, créateur du parc national de Yosemite, John Muir s'interrogea sur le sens de la vie dans la nouvelle société industrielle et industrieuse et y répondit tout simplement par son mode de vie.

19 février 2021

Chavirer - Lola Lafon

  


1984. Cléo, treize ans, qui vit entre ses parents une existence modeste en banlieue parisienne, se voit un jour proposer d’obtenir une bourse, délivrée par une mystérieuse Fondation, pour réaliser son rêve : devenir danseuse de modern jazz. Mais c’est un piège, sexuel, monnayable, qui se referme sur elle et dans lequel elle va entraîner d’autres collégiennes.
2019. Un fichier de photos est retrouvé sur le net, la police lance un appel à témoins à celles qui ont été victimes de la Fondation. Devenue danseuse, notamment sur les plateaux de Drucker dans les années 1990, Cléo comprend qu’un passé qui ne passe pas est revenu la chercher, et qu’il est temps d’affronter son double fardeau de victime et de coupable.
Chavirer suit les diverses étapes du destin de Cléo à travers le regard de ceux qui l’ont connue tandis que son personnage se diffracte et se recompose à l’envi, à l’image de nos identités mutantes et des mystères qui les gouvernent.
Revisitant les systèmes de prédation à l’aune de la fracture sociale et raciale, Lola Lafon propose ici une ardente méditation sur les impasses du pardon, tout en rendant hommage au monde de la variété populaire où le sourire est contractuel et les faux cils obligatoires, entre corps érotisé et corps souffrant, magie de la scène et coulisses des douleurs.

13 février 2021

Ce qu'il faut de nuit - Laurent Petitmangin

    


C'est l'histoire d'un père qui élève seul ses deux fils. Les années passent, et les enfants grandissent. Ils choisissent ce qui a de l'importance à leurs yeux, ceux qu'ils sont en train de devenir. Ils agissent comme des hommes. Et pourtant, ce ne sont encore que des gosses. C'est une histoire de famille et de convictions, de choix et de sentiments ébranlés, une plongée dans le cœur de trois hommes.
Laurent Petitmangin, dans ce premier roman fulgurant, dénoue avec une sensibilité et une finesse infinies le fil des destinées d'hommes en devenir.

30 janvier 2021

Les lettres d'Esther - Cécile Pivot

   

À la mort de son père, Esther, libraire du nord de la France, décide d’ouvrir un atelier d’écriture épistolaire, en souvenir de la correspondance qu’ils entretenaient tous les deux. Cinq personnes répondent à son annonce : Jeanne, 70 ans, dont la colère contre les dérives de la société actuelle reste toujours aussi vive ; Juliette et Nicolas, un couple démuni et désuni face à une sévère dépression post-partum ; Jean, un businessman cynique qui ne trouve plus de sens à sa vie ; Samuel, un adolescent rongé par la culpabilité qui ne parvient pas à faire le deuil de son frère, mort d’un cancer. 

Tous aspirent à bien autre chose qu’à apprendre à écrire, et au fil des lettres, des solitudes sont rompues, des liens se renouent, des cœurs s’ouvrent, des reprochent s’estompent, des mots/maux trop longtemps tus sont enfin écrits, des peurs et des chagrins sont exorcisés. ​

Ces correspondances croisées seront une véritable leçon de vie dont chaque participant ressortira profondément transformé, prêt à s’ouvrir au bonheur et à la réconciliation, qu’ils se trouvent dans une cabine téléphonique au fin fond du Japon, dans la douceur d’une brioche ou dans les yeux d’un bébé.​ Un roman épistolaire pétri d’humanité et d’amour de la vie​.

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Nouvelle lecture de la rentrée littéraire 2020 proposée par le Comité de lecteurs de la bibliothèque auquel je participe, parallèlement au Club de lecture de la librairie que je fréquente. Sur les 6 titres de la sélection pour le rendez-vous de janvier, il me semble que celui-ci est le seul qui ne soit pas un premier roman.

Ce récit à un petit côté désuet et romantique, faisant revivre pour notre plus grand bonheur le temps des correspondances épistolaires, celui d'avant internet et WhatsApp. J'ai adoré le principe de ce roman : en réponse à la proposition d'une libraire lilloise, 5 inconnus sont invités à échanger des lettres. Ils doivent se choisir chacun deux correspondants et écrire en répondant aux consignes de la libraire. Les participants étant en nombre impair, la libraire doit également se prêter au jeu.

Se livrer par écrit lorsqu'on ne se connaît pas n'est pas un exercice facile. Mais chacun va finir par nouer des relations sincères avec ses correspondants. A travers ces lettres, plus ou moins longues, le lecteur partage non seulement la vie de ces 6 protagonistes qui se racontent avec plus ou moins de profondeur selon leur tempérament, mais on découvre aussi leurs caractères à travers leurs mots, leurs réactions aux courriers des autres, leur compassion ou leur agacement parfois. Chacun des six écrivains en herbe se dévoile petit à petit. Tous évoluent grâce à ses échanges qui finalement engagent peu dans la mesure où ils ne se connaissent pas, mais qui leur apportent beaucoup.

Les sujets abordés touchent à l'intime : l'éloignement d'une mère et de sa fille, l'absence d'un père qui n'était pas fait pour la vie de famille, le deuil d'un frère et la souffrance de ceux qui restent... et puis bien sûr la dépression du post partum, qui m'a beaucoup touchée tant ce sentiment est éloigné de l'enchantement qu'à été pour moi la naissance de ma fille. Quelle souffrance pour cette mère qui n'entre pas dans les codes de la maternité heureuse qu'impose notre société ! Quelle incompréhension et incrédulité pour le père de l'enfant. L'idée de participer à cet atelier vient de la psychologue de la jeune femme pour qui la correspondance doit leur permettre de se retrouver et de se parler. J'ai trouvé cette idée tellement originale et sensible.

Malgré ces sujets douloureux et forts, j'ai trouvé ce livre un peu facile ou superficiel. J'ai trouvé qu'il manque un peu d'épaisseur et de densité. Néanmoins, j'ai aimé cette atmosphère douce et un peu éthérée, ce côté un peu suranné des échanges épistolaires. J'ai apprécié la sincérité des personnages dans leurs échanges, leur capacité d'écoute et d'empathie. J'avais commencé à écrire ce billet en pensant le faire paraître dans le challenge Feel Good de Soukee. Finalement il n'y sera pas, mais je pense qu'il répond bien aux critères du genre : c'est une histoire originale, qui fait du bien et donne une vision positive et optimiste de la vie et des gens. Un récit léger et accessible. Mais ce classement ne doit pas faire oublier l'originalité de la construction et du parti pris littéraire.

Une belle histoire qui vous donne envie de reprendre la plume et le papier et d'échanger des lettres.

Les lettres d'Esther - Cécile Pivot

Editions Calman-Levy - août 2020 - 320 pages


D'autres avis chez Mumu dans le bocage, Les livres d'Eve ou encore Collection de livres.




28 décembre 2020

Le coeur qui tourne - Donal Ryan



Bobby Mahon était une figure respectée du village. L'ancien contremaître de l'entreprise locale est désormais, comme la majorité des habitants, au chômage. Sans indemnités ni espoir de retrouver du travail. La crise qui frappe de plein fouet l'Irlande déchire les liens de sa communauté. Les langues se délient, les rumeurs circulent, les tensions et les rivalités émergent. Et, faute de pouvoir s'en prendre au patron qui a mis la clé sous la porte, Bobby devient la cible d'hommes et de femmes démunis et amers. Jusqu'à l'irréparable... Vingt et un narrateurs se succèdent pour raconter leur vérité dans une construction ambitieuse qui n'est pas sans rappeler Faulkner. Un premier roman élu « Meilleur livre de l’année 2012 » en Irlande.

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Mon précieux carnet de lecture me rappelle que j'ai terminé la lecture de ce récit fin septembre… Et pourtant, il ne m'a pas laissé beaucoup de souvenirs. La principale raison étant que j'ai la mémoire courte, et c'est d'ailleurs ce qui m'a conduite à ouvrir un blog, en 2009... Comme je n'ai pas toujours le temps de rédiger mes articles rapidement après ma lecture, j'ai commencé à écrire dans un joli carnet fait exprès, quelques idées en vue de cet article. Malgré cela, je vais avoir du mal à être très précise dans mon billet.

Ce roman ne retrace pas la vie de personnages, il ne s'attache à personne en particulier, il donne au lecteur une vue de l'Irlande contemporaine, prise entre les faillites et la misère, le chômage et la violence, la rancune et la jalousie, mais l'espérance et la tendresse aussi. Nous sommes en 2010 et cette petite ville irlandaise s'asphyxie, plongée dans la misère et les relations plutôt distantes entre chacun de ses habitants. On découvre la vie de cette petite ville, et de l'Irlande de façon plus générale, à travers le regard de 21 habitants. Les points de vue sur un même fait ou un même contexte se succèdent, donnant une perception très intime des événements. Ce sont 21 regards sur le monde qui, mis bout à bout, donnent un tableau sensible et complexe de cette Irlande rurale, un peu isolée, et touchée par le chômage.

J'ai aimé cette construction originale qui dépeint un tableau tout en nuances. Mais le fait qu'aucun personnage ne sorte vraiment du récit, qu'on ne s'attache pas vraiment à l'un d'eux en particulier, rend difficile l'expression d'une quelconque empathie et sans cet attachement, j'ai eu du mal à me sentir concernée par ce récit. J'ai eu du mal à en garder trace dans ma mémoire.

"Ils se sont mis à l'aimer, alors, ou plutôt ils aimaient ce qu'il représentait pour eux, ce qu'ils pensaient voir en lui : quelqu'un qui aurait pu aisément prétendre à un autre genre de vie, mais qui pourtant avait choisi la leur : la rancœur et l'amertume, le whisky allongé à l'eau dans les vieux verres ternis, les salles sombres des pubs de campagne envahis de toiles d'araignées, les toilettes barbouillées de merde, le sang mêlé à la pisse et une fin prématurée."

Un premier roman qui a été élu meilleur livre de l'année 2012 en Irlande, lauréat du "Guardian First Book Award" en 2013 et de nombreux autres prix par la suite. Un roman qui vaut donc quand même le coup d'oeil.

Le cœur qui tourne - Donal Ryan
Sortie chez Albin Michel, 25 février 2015, 180 pages


Pour compléter ce billet, je vous invite à lire les avis de Lettres d'Irlande et d'ailleurs, Les chroniques assidues ou encore Avides lectures.


19 décembre 2020

Mauvaises herbes - Dima Abdallah


Dehors, le bruit des tirs s’intensifie. Rassemblés dans la cour de l’école, les élèves attendent en larmes l’arrivée de leurs parents. La jeune narratrice de ce saisissant premier chapitre ne pleure pas, elle se réjouit de retrouver avant l’heure « son géant ». La main accrochée à l’un de ses grands doigts, elle est certaine de traverser sans crainte le chaos.
Ne pas se plaindre, cacher sa peur, se taire, quitter à la hâte un appartement pour un autre tout aussi provisoire, l’enfant née à Beyrouth pendant la guerre civile s’y est tôt habituée.
Son père, dont la voix alterne avec la sienne, sait combien, dans cette ville détruite, son pouvoir n’a rien de démesuré. Même s’il essaie de donner le change avec ses blagues et des paradis de verdure tant bien que mal réinventés à chaque déménagement, cet intellectuel – qui a le tort de n’être d’aucune faction ni d’aucun parti – n’a à offrir que son angoisse, sa lucidité et son silence.
L’année des douze ans de sa fille, la famille s’exile sans lui à Paris. Collégienne brillante, jeune femme en rupture de ban, mère à son tour, elle non plus ne se sentira jamais d’aucun groupe, et continuera de se réfugier auprès des arbres, des fleurs et de ses chères adventices, ces mauvaises herbes qu’elle se garde bien d’arracher.
De sa bataille permanente avec la mémoire d’une enfance en ruine, l’auteure de ce beau premier roman rend un compte précis et bouleversant. Ici, la tendresse dit son nom dans une main que l’on serre ou dans un effluve de jasmin, comme autant de petites victoires quotidiennes sur un corps colonisé par le passé.

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On poursuit la découverte des premiers romans de la rentrée littéraire 2020 avec ce Mauvaises herbes de Dima Abdallah. Nouvelle histoire de famille après Le monde du vivant de Florent Marchet et Je suis la bête de Andrea Donaera, lus eux aussi en prévision du prochain rendez-vous du Club de lecteurs de la bibliothèque Libre cour, à Vertou.

Ce récit nous emmène au Liban, à Beyrouth, en pleine guerre civile au début des années 1980. Nous découvrons le lien inaltérable qui unit une petite fille à son père dans un monde qui tremble et qui s'effondre sous les bombes. Accrochée à la main de son père, à son doigt, l'enfant avance dans un monde qui n'est pas fait pour elle. Ni l'un ni l'autre n'ont leur place dans ce monde en guerre. Mais on sent qu'ils ne trouveraient pas non plus leur place ailleurs, dans un autre contexte. Tous deux sont de la "mauvaise herbe", de celles qui poussent tout simplement au mauvais endroit. La violence de la guerre fait germer une angoisse intense, qui se saisit du corps de l'enfant et qui transformera à jamais son existence. Le père, lui, veut rester ce géant indispensable à sa fille, celui qui protège et fait grandir. Sauf que lui non plus n'est pas adapté à ce monde, ni sans doute à aucun autre. Il se détruit petit à petit, n'étant plus d'aucun secours pour sa fille. Ni l'un ni l'autre ne savent parler, se parler. Ils gardent tout enfoui au plus profond d'eux, souriant pour donner le change. Pour faire comme si tout allait bien. Malgré cette descente aux enfers, tous deux resteront liés à jamais, même quand la fillette quittera le Liban avec sa mère, pour rejoindre la France, l'année de ses douze ans. Par delà la Méditerranée, le lien qui unit l'enfant à son père restera solide, indestructible et destructeur.




J'ai aimé ce récit d'un attachement à la fois merveilleux et destructeur, d'un déracinement quel que soit le lieu où on habite. On connaît cette fidélité aux parents, à la famille dans laquelle on grandit, même si cet attachement est toxique. La plume de Dima Abdallah est douce et poétique. Elle traduit aussi la violence de la guerre et des drames qui se jouent dans les cœurs et les corps de la fillette et de son père. J'ai été touchée par la perception de cette angoisse et de cette inadaptation au monde et de la manière dont cela se traduit dans les corps et les comportements. Comment ils tentent de faire bonne figure et de continuer à vivre. Le lecteur suit leurs évolutions au cours d'une quarantaine d'années, de 1983 à 2019, les descentes aux enfers et les sursauts. L'incapacité du père à "se faire violence", selon la formule populaire, pour dépasser ses angoisses et être présent pour sa famille. Comment, d'ailleurs, "se faire violence" quand toute sa vie n'a été que violence et terreurs ? Le père, puis sa fille plus tard, écrit, noircit les pages les unes après les autres. Je me suis souvent demandée d'ailleurs pourquoi ces deux-là ne s'écrivaient pas. Pourquoi ils n'avaient pas alimenté une correspondance par delà la Méditerranée, pour s'écrire ce qu'ils étaient incapables de se dire. Cela m'a semblé tellement dommage.

Je me suis néanmoins un peu lassée dans le dernier quart du récit : je n'ai jamais tellement aimé ces longues introspections et ces réflexions interminables. Ce choix de l'auteur permet au lecteur de bien ressentir ce gouffre de la dépression, ce cycle infernal qui n'en finit pas. Plus que la compréhension, l'auteur nous offre le ressenti, et c'est très réussi. Mais j'ai trouvé cette fin un peu longue. Trop longue pour rester sur le sentiment enthousiaste que j'avais au début de ma lecture. Un petit sursaut cependant, en toute fin de récit, grâce au passage sur la langue arabe qui reste tapie au fond de cette petite fille devenue adulte et mère à son tour. Cette langue du drame et de la violence, enfouie pour permettre l'oubli, qui finira par ressurgir on le sent, quand la jeune femme aura assimilé ce passé et appris à vivre avec sa mémoire. Un peu comme une renaissance.
"J'espère qu'elle grandira comme poussent ces adventices. Ces hôtes de lieux incongrus, ces hôtes que personne n'a voulus, qui dérangent mais s'en moquent bien et n'en finissent pas de pousser. Celles dont on arrache sans relâche les racines parce qu'elles ne conviennent pas, parce qu'elles ont poussé au mauvais endroit au mauvais moment, mais qui prolifèrent ailleurs. Celles qui s'épanouissent sur des substrats improbables, qui s'acharnent à vivre dans les milieux les plus hostiles. Les plantes pudiques, celles qui ne cherchent pas à se faire bien voir, celles dont le charme est si subtil qu'il en est un peu secret. Celles qui triomphent toujours, qui poussent et repoussent à l'infini. Celles qui percent sous le béton, qui germent même sous le bitume. Celles qui se moquent bien des lieux inhospitaliers." 

Un premier roman riche, sensible et violent à la fois, touchant et poétique. Une nouvelle auteure à suivre très certainement.

Mauvaises herbes - Dima Abdallah
Sabine Wespieser éditions - 27 août 2020 - 240 pages











12 décembre 2020

Le monde du vivant - Florent Marchet


Cet été-là, Solène a quatorze ans et déteste son père, Jérôme. Celui-ci a décidé d'installer sa petite famille loin d'Orléans, dans une ferme biologique où les corvées n'arrêtent jamais. C'est la fin du collège et le début du sentiment amoureux. Solène découvre la sexualité, sa légèreté, ses bouderies, ses audaces. Elle aimerait vivre, et a l'impression que le monde entier l'en empêche. Enfin, surtout son père. Alors que les moissons approchent, un accident survient ; l'équilibre familial est chamboulé. En ce mois de juillet, la vie s'embrase. Florent Marchet joue sur les émotions de chacun, la solitude de l'existence, sa beauté aussi. Une forme de suspens saisit cette campagne où il fait trop chaud, où les corps sont trop moites, où les gestes sont maladroits et où les malentendus vont croissant, jusqu'au finale. Un premier roman qui regarde le monde contemporain droit dans les yeux.

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Le Club de lecteurs de la bibliothèque nous propose de nouveau un premier roman de cette rentrée littéraire 2020. Il s'agit là encore d'un récit sur le bouleversement, la révolution au sein de la famille. Après un passage dans le clan mafieux italien de Je suis la bête, direction la campagne française où une famille tente de donner un nouveau sens à sa vie en se rapprochant de la nature.

Ce roman réuni deux grands sujets. D'abord celui du drame écologique qui se joue et de notre nécessaire prise de conscience quant à notre mode de vie et de consommation. Jérôme, ancien ingénieur, a décidé de changer de vie, de quitter la ville pour rejoindre la campagne et se lancer dans l'agriculture biologique. Comme pour de nombreux néo-ruraux, vient alors le moment de faire face à la réalité du monde, de confronter ses rêves d'une vie plus saine, ses convictions écologiques d'une vie plus rustique et décroissante… à la réalité du quotidien, de la charge de travail. Vient le temps des compromis entre une agriculture exigeante et le nécessaire équilibre financier. Autour de Jérôme, les agriculteurs conventionnels détruisent la nature dont ils espèrent quand même tirer profits et s'enfoncent toujours plus dans la misère et l'endettement. La ferme de Jérôme garde la tête hors de l'eau mais au détriment de la pureté du projet. Le caractère de Jérôme en pâti, il peste et grogne après tout le monde, en veut à la terre entière des difficultés qu'il rencontre.

La seconde histoire est celle de Solène, jeune collégienne de 15 ans pour qui les vacances d'été approchent. Elle regrette la ville, ses amis, les virées shopping avec sa mère, peste après ce petit frère qui a détourné d'elle un peu de l'attention de ses parents. Très bonne élève, elle cherche à s'intégrer aux groupes qui se préparent à fêter la fin de l'année scolaire, quitte à franchir les limites qu'elle s'était elle-même fixées. Et puis bien sûr, elle rencontre l'amour auprès de Baptiste, jeune garçon de sa classe. Solène aussi a envie de renverser la table, bouleverser son quotidien et le prendre en main, gagner son indépendance et vivre ses propres expériences.

C'est dans cette ambiance électrique qu'arrive Théo, doux rêveur, wwoofeur formé à la permaculture et l'agroforesterie, aux conditions de développement d'un mode de vie durable, bricoleur astucieux qui répare le toit de la grange et installe la clôture tant attendue. Théo est le petit grain de sable qui fini par tout faire exploser, mettant les uns et les autres face à leurs contradictions et leurs ambitions déçues, révélant la passion et la colère qui bouillonnent chez Jérôme comme chez sa fille, Solène.

J'ai beaucoup aimé ce récit qui témoigne de l'impatience d'une époque et d'un âge, l'adolescence. Chacun réalise qu'il va falloir quitter le confort de l'enfance, d'une vie protégée pour vivre sa vie et expériences, abandonner le mode de vie qui est le nôtre aujourd'hui, fait de surconsommation et d'une perte de sens. Mais avant d'atteindre l'âge adulte des certitudes et de l'assurance, il faut traverser bien des déceptions, des peurs et des vexations. Théo est celui qui semble avoir atteint l'âge adulte, fait ses expériences d'adolescent, avoir acquis une maturité et se couler sans regrets ni agressivité dans ce nouveau monde, offrant de son temps contre le logis et le couvert, pour partager son expérience et poursuivre sa formation.
"Théo oublie que ceux qui seraient prêts à accepter la révolution écologique ne sont pas nombreux, y compris au sortir d’une pandémie. Jérôme l’affirme souvent lors de ses interminables débats avec Marion : les pauvres veulent désormais jouer aux riches. Même en France, ils ne manifesteront jamais pour un changement radical de société. S’ils bloquent le pays, ce sera pour réclamer plus de consommation, plus de McDo, de centres commerciaux et d’écrans 4 K . Sans le savoir, ils manifesteront pour ce monde ultra-libéral, pour le droit à en être, à faire partie de l’élite qui se gave, qui profite, qui dépense sans compter, qui gaspille des ressources à l’infini dans un monde fini."
Ce récit montre bien que le chemin de la transformation ne se fait pas sans heurts ni obstacles. A la fin cependant, on peut se demander si l'être humain est assez sage pour parvenir à changer le monde et perdre ses vieux réflexes de domination et de toute puissance... C'est aussi un récit qui parle de nous, d'une adolescence passée, plus ou moins lointaine, qui n'a pas toujours été facile et qui laisse des traces ; il nous parle d'un monde qu'on se prend à rêver, à idéaliser, mais pour lequel on n'est pas prêts à faire des sacrifices. Il nous parle de cet équilibre instable entre les ambitions, les petites rebellions et le confort qui nous engourdi. C'est un peu ça aussi l'adolescence... Un premier roman très réussi, très riche en réflexions sur le monde qui est aujourd'hui le nôtre.

Le monde du vivant - Florent Marchet
Stock (La Bleue) – 288 pages ; Parution le 19 août 2020

Pour compléter cet avis, je vous invite à découvrir ceux des Livres d'Eve, Ma voix au chapitre, ou des Pages de Sam.






03 décembre 2020

Je suis la bête - Andrea Donaera


Domenico Trevi, dit Mimì, est à la tête de la Sacra Corona Unità, la principale organisation mafieuse des Pouilles. Lorsque son fils se donne la mort, il lui faut trouver un bouc émissaire. La jeune Nicole, qui aurait éconduit son fils au point de lui briser le cœur, apparaît comme la coupable idéale. Dès lors, entre fureur et secrets de famille, s’enclenche une spirale de folie et de violence à laquelle il sera difficile d’échapper… Multipliant les points de vue, Andrea Donaera construit un roman polyphonique d’une rare puissance, maîtrisant de main de maître une narration tout en tension qui explore au plus près les sentiments cachés, la perte de l’innocence et la part d’ombre en chacun de nous.

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Voici très certainement un roman vers lequel je ne me serai pas orientée sans le petit coup de pouce du club de lecteurs de la bibliothèque. Outre les rencontres et les échanges, c'est d'ailleurs bien l'intérêt de ce type de "clubs" : la découverte d'univers insoupçonnés, qui ne sont pas présentés dans les médias habituels qui traitent de l'actualité littéraire.

Ce récit est un premier roman, paru dans la grande effervescence de la rentrée littéraire 2020. Un roman sur fond de terreur au sein d'un clan mafieux, où la douleur confine à la folie et l'horreur.
"Et Mimi pense qu'il va les tuer tous. Tous, s'ils ne partent pas, s'ils ne partent pas d'ici, s'ils ne le laissent pas seul. Mimi va faire un carnage, il va les tuer tous."


Le lecteur débarque en plein recueillement familial autour du cercueil de Michele, le fils de Mimi, chef d'une organisation mafieuse de la région des Pouilles en Italie. Si la SCU est bien réelle, le sujet n'est pas d'en dépeindre l'organisation et les rites, mais d'entrer dans le fonctionnement terrifiant d'un clan. On découvre page après page, la perception de chacun des protagonistes essentiels de l'histoire face à la tempête déchaînée par la mort de Michele. Le père, Mimi, que l'on voit progressivement sombrer dans la folie, la fille, qui peut-être aurait dû partir avant qu'il ne soit trop tard, la mère, qui est restée jusqu'à en perdre la raison, Nicole, la coupable présumée, jeune innocente que la folie meurtrière ne tardera pas à rattraper, et Véli dont on ne sait pas trop combien il est coupable ou innocent mais qui tient l'équilibre entre espoir et tragédie. Le tout sur fond de la musique désormais mythique de Nirvana.

Un récit prenant, addictif et lancinant, comme la musique du groupe américain. L'auteur a un style cadencé, répétitif, fait de petites phrases percutantes, saccadées. J'ai été perturbée par ce style au début de ma lecture je dois le reconnaître. Mais l'univers oppressant et malsain dessiné par l'auteur pousse le lecteur vers la fin pour savoir comment toute cette folie va bien pouvoir s'arrêter.

"Et Arianna pense qu'elle va les tuer tous. Tous, s'ils ne partent pas, s'ils ne partent pas d'ici, s'ils ne la laissent pas seule. Arianna va faire un carnage, elle va les tuer tous."


Une belle mécanique et un style travaillé et original pour un roman où il m'a quand même manqué un peu d'âme et d'émotion. Un premier roman qui mérite qu'on s'y arrête.

Pour compléter, découvrez le billet de Titine sur Plaisirs à cultiver.

Je suis la bête, Andrea Donaera

Editions Cambourakis, septembre 2020, 216 pages


 

10 août 2020

La vie quand elle était à nous - Marian Izaguirre

 

Madrid, 1951. Lola regrette le temps où son existence était peuplée de promesses et d'illusions, de livres et de discussions enflammées, d'amour et de projets pour bâtir une Espagne démocratique. L'espoir de 1936. Il ne lui reste de cette époque qu'une petite librairie dans les ruelles sombres d'un quartier de Madrid. C'est là que Lola fait la connaissance d'Alice, une Anglaise dont elle partage la passion pour la littérature. Intriguée par un livre en vitrine, Alice entraîne Lola dans une lecture singulière et bouleversante de La Fille aux cheveux de lin, l'histoire de Rose, soupçonnée d'être la fille du duc d'Ashford. Lola et Alice l'ignorent encore, mais cette histoire pourrait bien lier leur destin pour toujours...
« La vie quand elle était à nous célèbre l'amitié, la complicité féminine et la littérature, devenue un refuge dans une époque troublée. » El País

08 mai 2020

Le temps de la haine - Rosa Montero

 

Madrid 2110. Lorsque le commissaire Lizard disparaît, la réplicante Bruna Husky, détective privée, se lance éperdument à sa recherche. Elle découvre à la télévision qu'il est l'un des treize otages qui seront exécutés, un par un, par des terroristes très jeunes et dont les revendications sont bien accueillies pas ceux qui souffrent dans un monde où l'air et l'eau doivent s'acheter. Bruna, qui compte de façon obsessionnelle le nombre de jours qui la séparent de son obsolescence programmée de réplicante, se met à compter aussi le nombre de jours avant que Lizard soit décapité.

Dans son enquête elle découvre une colonie qui refuse la technologie ainsi qu'une structure du pouvoir qui remonte au XIVème siècle et pourrait dominer les technologies dont elle est elle-même issue. Dans ce monde secoué de convulsions multiples, les crispations populistes s'exaspèrent et une guerre civile devient inévitable. Tous se méfient de tous et ne restent que les liens anciens de l'amitié avec Yannis, le vieil archiviste dépressif, la farouche Gaby, les extraterrestres tendres et le boubi Bartolo, vorace et affectueux.