Eté 1831. Alexis de Tocqueville et Gustave de Beaumont, deux aristocrates français en visite aux Etats-Unis, entreprennent un voyage au cœur de la région des Grands Lacs, en quête de l'extrême limite de la civilisation occidentale.
Entre le peuple indien en voie de disparition et l'avancée de l'homme blanc à travers le Nouveau Monde, des forêts sauvages à l'urbanisation intense, ils nous dressent au fil de leur parcours un portrait de l'Amérique des pionniers.
Bien connu pour son ouvrage de philosophie politique De la démocratie en Amérique, Alexis de Tocqueville apparaît dans ce récit (inspiré de son propre carnet de voyage) comme un jeune homme idéaliste, en quête d'infini et de nature vierge, comme si le héros d'Into the wild vivait les aventures du Dernier des Mohicans.
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Le Comité des lecteurs de la bibliothèque Libre Cour se renouvelle, puisqu'à la place d'une liste de 6 titres à découvrir ensemble et sur lesquels échanger lors de la rencontre, il nous est proposé une bibliographie (une quarante d'ouvrage cette fois-ci) dans laquelle nous sommes invités à piocher. Une seule lecture commune, cette fois-ci L'envol du moineau, de Amy Belding Brown, mais des propositions de supports divers, allant du roman, roman historique souvent, à l'essai en passant par la bande dessinée. C'est dans ce cadre que j'ai découvert cette bande dessinée, qui m'avait pourtant déjà fait de l'œil un jour où je furetai dans les rayons de la bibliothèque.
Vous pouvez trouver cette liste sur Babelio où je l'ai reprise.
C'est le personnage de cette BD qui m'a donné envie de la lire : Alexis de Tocqueville, auteur visionnaire de l'incontournable De la démocratie en Amérique. Cet album est inspiré d'un récit que Tocqueville fit d'une expédition de quelques jours dans les grands espaces de l'Amérique en pleine conquête de territoires : Quinze jours dans le désert. Le désert, c'est la région des Grands Lacs, à la découverte de laquelle s'aventurent les deux jeunes politiques français en quête d'espaces vierges et de populations autochtones, vivant de manière primitive, non encore perverties par les mœurs occidentales et européennes. Tous deux plongent donc toujours plus avant vers l'ouest à la recherche de ce monde idéal.
Dans cet album, Kévin Bazot rend avec beaucoup de talent et de précision les impressions de Tocqueville lors de ce voyage au cours duquel il découvrira surtout que ce monde idéalisé n'existe déjà presque plus. Au fil du voyage et des rencontres, les deux aventuriers réaliseront combien la civilisation européenne a déjà commencé son œuvre de destruction et de perversion, comment elle est parvenue à introduire les tourments du capitalisme jusque parmi les populations indiennes de ces régions non encore défrichées. Tout est bon pour faire du profit, même si cela doit passer par la disparition de ces peuples et de la nature grandiose dans laquelle ils ont appris à vivre en harmonie. Les familles venues d'Europe dans l'espoir d'un monde meilleur à conquérir, défrichent les forêts, coupent les grands arbres multi séculaires, et abusent des indiens pour mieux leur vendre ce dont ils n'ont jamais eu besoin, l'alcool en priorité, à des prix abusifs.
Alors qu'en ce début de XXIème, nous constatons les dégâts irréparables causés par cette culture de la conquête, du pouvoir et de la propriété, Alexis de Tocqueville en pressentait les prémices et les drames à venir. Dommage que 200 ans après ce voyage, nous n'en ayons toujours tiré aucune leçon et que cette civilisation de la destruction poursuive sa marche en avant sur tous les continents. Que peut-on dire aujourd'hui de l'Amazonie ou des terres arctiques... entre autres ?
Ce propos est merveilleusement bien porté par le dessin de Kévin Bazot, que je découvre être un jeune dessinateur nantais (que le monde est petit). Les illustrations traduisent avec talent l'immensité de ces territoires, leur poids aussi tant l'illustrateur parvient à nous faire ressentir la densité des forêts si peu explorées à cette époque. La nature est partout, elle bruisse entre ces arbres, les animaux et les indiens sont encore les maîtres de ces lieux dans lesquels quelques familles de cette nouvelle Amérique tentent de s'implanter. Les couleurs sont magnifiques, celles des forêts, des villages indiens ou des rivières.
Quand le titre de l'album est "Vers un nouveau monde", j'aurai plutôt tendance à dire que l'on assiste ici à la fin d'un monde, à sa destruction irrémédiable. Le sentiment qu'il me laisse me fait penser au récit d'Alexis Jenni sur la vie de John Muir : on est désabusé de constater à quel point la sagesse de certains Hommes est bien peu face à la cupidité de nombreux autres.
Je vous invite à aller consulter le blog de l'auteur de cet album, Kévin Bazot : je suis certaine que vous y reviendrez. Je découvre à cette occasion aussi qu'il est l'auteur des magnifiques illustrations qui servent de support au circuit touristique médiéval de la ville de Pont-de-l'Arche (Normandie) que nous avons visité en famille cet été. Effectivement, le monde est très petit. En conclusion, cet album est une très belle découverte.
Tocqueville, vers un nouveau monde - Kévin Bazot
Editions Casterman, mai 2016, 105 pages
J'ai lu Quinze jours dans le désert il y a peu et j'étais fascinée par la personnalité de Tocqueville, un humaniste en avance sur son temps. La beauté des paysages décrits m'est restée en tête. Les planches que tu présentes ici reflètent bien les images que je me suis faites. Je note plutôt deux fois qu'une, merci pour cette présentation.
RépondreSupprimerIl faudrait que je le lise ce Quinze jours dans le désert...
SupprimerJe ne suis pas certaine d'aller vers cet album pour l'instant, pas forcément attirée par le sujet...
RépondreSupprimerj'aime bcp ce genre de BD, ça devrait me plaire!
RépondreSupprimerTout me plait et je ne demande qu'à découvrir ce nouvel illustrateur !
RépondreSupprimerChouette découverte ! ça me tente beaucoup.
RépondreSupprimerTout me plaît et ce que tu dis me renvoie à un roman graphique sur Jean-Jacques Audubon, "Sur les ailes du monde" chez Dargaud.
RépondreSupprimerCette lecture ci serait un parfait pendant
Certainement, et merci pour l'idée de lecture ;-)
SupprimerTu me donnes envie de découvrir cet album. Les illustrations me plaisent beaucoup et le sujet est très intéressant, triste aussi. Le blog de l'auteur vaut le détour. Merci pour la découverte. :)
RépondreSupprimerC'est clair : un auteur à découvrir très certainement !!
Supprimerpourquoi pas :) je ne connaissais pas du tout !
RépondreSupprimerTrès beau en effet, je suis très tentée (et moi aussi cela m'a fait penser à l'histoire de JJ Audubon...)
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