20 avril 2021

J'aurais pu devenir millionnaire, J'ai choisi d'être vagabond - Alexis Jenni

  

" C'est l'homme le plus libre que j'ai jamais rencontré ", disait de lui Theodore Roosevelt.

Né en Écosse, débarqué à dix ans aux États-Unis, installé dans la région des Grands Lacs, il travaille sans relâche dans la ferme familiale, mais lève parfois la tête pour s'émerveiller de la nature environnante. Le soir, il invente des machines qu'il présente en ville, dont ce réveil qui le sort automatiquement du lit à l'heure du lever. Très vite, John Muir rejette cette existence de forçat et décide de vivre en autonomie dans la nature. Il quitte le Wisconsin et sillonne le pays à pied jusqu'en Floride, puis rejoint la Californie. Dès lors, il ne cessera de parcourir le monde. Figure mythique aux États-Unis, créateur du parc national de Yosemite, John Muir s'interrogea sur le sens de la vie dans la nouvelle société industrielle et industrieuse et y répondit tout simplement par son mode de vie.

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Quel triste titre pour une vie si extraordinaire ! Au début du récit, l'auteur nous indique que le livre aurait pu s'intituler "L'émerveillement" et cela aurait très certainement mieux rendu compte de ce que le lecteur pouvait attendre de ce livre et été plus en adéquation avec le tempérament de cet homme inclassable et enthousiasmant qu'est John Muir. Le titre retenu laisse à penser que nous pourrions découvrir l'histoire d'un destin marginal sur la trajectoire d'une ascension à la mode capitaliste. Je m'attendais à lire le récit d'un ancien entrepreneur à qui tout réussi mais qui choisi de vivre dans la rue. Je pensais suivre le parcours d'une rupture sociale choisie. Je n'avais pas lu la quatrième de couverture.

Finalement, il n'est pas vraiment question de réussite sociale, de sécurité financière, d'Economie ni de classes sociales. Le sujet de ce récit est la Nature, la Sauvagerie au sens de sa toute puissance, de son caractère entier, magique et envoûtant. Ce récit nous transporte aux côtés de John Muir, un jeune homme travailleur et courageux, intelligent et sensible, pris de passion pour la Nature. Très vite, alors que sa curiosité et son intelligence lui permettraient de trouver un emploi d'ingénieur ou de botaniste, il part à la découverte des grands espaces américains. Nous entrons dans la seconde moitié du XIXème siècle : tout est possible aux Etats-Unis. La prospérité, le commerce, le développement de l'entreprise, les innovations, mais aussi la découverte des Grands Espaces vierges, encore pour quelques années, de toute trace de l'Homme Blanc. Alexis Jenni nous parle de la joie qu'éprouve John Muir à découvrir ces univers magiques, comment il ne fait qu'un avec la nature qui l'entoure. L'auteur en parle d'autant mieux qu'on sent bien combien il a pu lui aussi ressentir cette plénitude, cette toute puissance, cette énergie vitale, à se trouver en ces lieux éloignés de toute vie humaine. Il nous parle avec beaucoup de talent, d'émotion et de justesse de sa passion pour la Nature et pour John Muir, un personnage remarquable.

"Le bois mort entassé autour des géants, tout ce bois empilé pendant des années, brisé par le vent et la neige, écorcé, séché, brûlait en donnant une lumière qui lui aurait permis de lire à trois cents mètres s'il avait eu l'idée de lire ; mais il était hypnotisé par les violentes illuminations vacillantes qui éclairaient les arbres disposés en cercle autour d'énormes bûchers."

Car si cet Ecossais arrivé en Amérique avec sa famille à l'âge de 10 ans est passionné par la nature et vit dans les grands espaces, loin des villes, se déplace à pieds pendant des journées et des nuits entières, il ne méprise pas pour autant les humains. Au contraire, il les aime. Il aime converser avec eux, débattre, il publie des articles dans des revues reconnues... Il apprécie de partager sa route avec des voyageurs passionnés de nature et d'espaces vierges. Mais quand ses compagnons reviennent rapidement à l'hôtel et dans leur maison, lui s'enfonce toujours plus loin dans les montagnes et les forêts. J'ai aimé que ce John Muir ne soit pas un sauvage, asocial et isolé du monde. J'ai aimé qu'il trouve quand même le moyen de se marier, même si on se demande bien comment il a pu trouver l'âme sœur. 

Cette biographie est un magnifique hommage à la Nature, à un monde qui n'existe plus aujourd'hui, depuis que l'Homme a mis sa main partout, maintenant que tout a été découvert, montré, saccagé. Néanmoins, comme le dit Alexis Jenni, on peut encore trouver aujourd'hui ces émotions vraies et si fortes. Nul besoin d'aller dans le parc national du Yosemite où les touristes se bousculent, pour le ressentir. Au contraire d'ailleurs. Que ressentez vous au Cirque de Gavarnie quand vous arrivez au bout après avoir cheminé avec des centaines de touristes, à pieds, à cheval ou à dos d'âne, ramassant les fleurs et déposant leurs déchets sur le sentier bien aménagé pour éviter une trop grande fatigue ? Difficile de se laisser envoûter par le spectacle dans un environnement grouillant et bruyant. Mais si vous vous éloignez des chemins trop touristiques, vous prendrez plaisir à écouter le silence et prendrez le temps de voir vraiment la nature qui vous entoure. Vous pourrez même y voir quelques isards et autres marmottes. Vous ressentirez très certainement plus d'émotions et regardant une famille de renards jouer dans un champ à l'orée d'un bois, qu'à vous prendre en photo à côté de la grande cascade "en se contorsionnant pour laisser penser qu'on y est seul", comme le dit avec beaucoup d'humour Alexis Jenni.

Bref, ce livre est très riche et très inspirant (c'était le thème de ce nouveau rendez-vous du Comité de lecteurs, les "biographies inspirantes"). Il y est question d'émerveillement, d'amour, de passion pour la nature, d'environnement aussi bien sûr, d'écologie, à la fin de la vie de Muir, des dégâts du tourisme, de la surexploitation des richesses - que dire de ces forêts de séquoias qui ont disparu pour assouvir la soif de richesses de quelques uns. Il y est aussi question d'humanité, car John Muir est quelqu'un d'empathique et bienveillant. Il est aussi question de connaissances et de Culture, de tous ces auteurs qui accompagnent le parcours de John Muir. On y trouve un petit goût de Jules Verne : ils ne se connaissent sans doute pas mais vivent dans cette même époque où la science accélère, où les découvertes tiennent en haleine les nombreux lecteurs de revues littéraires ou scientifiques. Tout est possible. Tout était alors possible, le meilleur comme le pire.

"Le monde de Muir a disparu, déjà à la fin de sa vie il était en train de disparaître, ce qu'il avait vu vingt ans auparavant n'était déjà plus. Le tourisme, les chemins de fer, les grands troupeaux, l'incroyable croissance des villes nouvelles, les barrages, les mines, l'exploitation forcenée des ressources, la furieuse activité américaine modifiait le paysage et ravageaient la la forêt. Depuis sa mort, c'est un siècle supplémentaire de tourisme, d'exploitation et d'aménagements qui ont tout changé. Ce sentiment de contemplation de la Création tout juste créée, tel que l'éprouvait Muir en marchant seul dans la Sierra Nevada, comment l'éprouver aujourd'hui ? Où donc ?"

John Muir n'est, malheureusement, pas connu en France. Et c'est bien dommage. Mais il est une figure de l'Histoire américaine, reconnu pour son engagement et sa sincérité. Bien loin d'être un sauvage, il est un homme passionné, rêveur, sociable... un personnage attachant et captivant que l'on quitte avec regrets à la fin de ces 220 pages. Je pense que je le recroiserai dans de futures lectures, celles de ses propres textes. En attendant, je ne pouvais pas ne pas partager avec vous mon enthousiasme pour ce livre et ce personnage.

J'aurais pu devenir millionnaire, J'ai choisi d'être vagabond - Alexis Jenni

Editions Paulsen, janvier 2020, 220 pages


Mon dernier billet date tout juste de 2 mois : les longues journées de boulot passées scotchée à mon ordinateur me donnent guère envie de le rouvrir le soir ou le dimanche pour échanger avec vous. Mais là, je ne pouvais pas ne pas vous en parler. J'espère avoir réussi à vous convaincre ! Si ce n'était pas le cas, je vous invite à lire les billets de Stelphique ou de Mes belles lectures.

 


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