Troisième lecture de cette rentrée littéraire 2018 dans le cadre du Rendez-vous des Explorateurs de la rentrée littéraire 2018 initié par Lecteurs.com... et un c'est un vrai enchantement. Pour mémoire, mon avis de la page 100 disait à peu près ceci : [...] Voici un livre qui commence bigrement bien ! Grâce à l'écriture de l'auteur d'abord, magnifique. J'aime quand les auteurs se donnent la peine de travailler la langue, au-delà de l'histoire, quand ils cherchent à mettre de la poésie dans leur texte. Et là, j'ai été convaincue.
Le récit, ensuite, qui mêle petite et grande histoire : j'adore. L'auteur nous conduit ici dans un village du Sichuan des années 1950 quand la Chine veut montrer au monde que le modèle collectiviste prôné par le parti est une référence : guerre des idées et de territoire (Tibet), la grande Révolution traverse le moindre village, au détriment de la population, sommée de servir son grand dessein.
Maîtres et esclaves - Paul Greveillac.
Éditions Gallimard, 23 août 2018, 457 pages.
Présentation de l'éditeur :
Kewei naît en 1950 dans une famille de paysans au pied de l'Himalaya, dans la vaste campagne chinoise. Au marché de Ya'an, sur les sentes ombragées du Sichuan, aux champs et même à l'école, Kewei, en dépit des suppliques de sa mère, dessine du matin au soir. La collectivisation des terres bat son plein et la famine décime bientôt le village. Repéré par un Garde Rouge, Kewei échappe au travail agricole et à la rééducation permanente. Sa vie bascule. Il part étudier aux Beaux-Arts de Pékin, laissant derrière lui sa mère, sa toute jeune épouse, leur fils et un village dont les traditions ancestrales sont en train de disparaître sous les coups de boutoir de la Révolution. Dans la grande ville, Kewei côtoie les maîtres de la nouvelle Chine, obtient la carte du Parti. Devenu peintre du régime, son ascension ne connaît plus de limite. Mais l'Histoire va bientôt le rattraper.
Ma lecture :
La République Populaire de Chine naît le 1er octobre 1949. Tian Kewei, lui, arrive tout juste un an plus tard, en octobre 1950, dans une famille de "paysans riches", une classe qu'il portera comme un fardeau sa vie durant et qu'il tentera de faire oublier en gravissant progressivement les échelons du système maozedong.
"Paysans riches" : un terme bien impropre pour désigner ces petits paysans pauvres propriétaires de leur masure et d'un petit lopin de terre qui leur permet tout juste de nourrir la famille. Sauf qu'à l'époque du "Grand bond en avant" conçu par le grand Mao Zedong, il n'est plus question de propriété privée : la nouvelle politique économique conduite entre 1958 et 1960 avait pour but notamment de stimuler la production par la collectivisation de l'agriculture. Sauf que ce grand projet, conduit à marche forcée et dans la contrainte, n'a pas eu le succès escompté. Tian Kewei a 8 ans quand la grande famine se déclare. Longtemps cachée au monde par le gouvernement chinois, il s'avère que cette famine a provoqué la mort d'environ 35 à 45 millions de personnes entre 1958 et 1963 (dont la moitié au cours de la dernière année). Dans ce contexte dramatique, Mao Zedong tient son pays d'une main de fer, à grand renfort de propagande et d'exécutions sommaires, et publiques.
C'est dans ce contexte que grandit Kewei, entre les rêves de son père, artiste dans l'âme, menacé par la ligne terrifiante du parti, des gardes rouges comme de l'armée populaire de Chine, et sa mère qui tente de faire survivre sa famille et de cacher les errances de son mari. Accusé d'être un droitier, le père de Kewei prend plaisir à parcourir la campagne, à observer et peindre la nature, les paysages… des sujets interdits par les consignes du Petit livre rouge, qui forgeront les prémices de la Révolution Culturelle quelques années plus tard.
Pour sauver sa peau d'abord, et celle de sa famille, pour survivre et pouvoir manger, Tian Kewei s'écarte peu à peu des traces de son père et peint dans le respect des consignes culturelles et politiques. Il transmet une image souriante et victorieuse de la Chine populaire de Mao. Sa soif de reconnaissance et de sécurité, son ambition aussi, en feront bientôt un instrument discipliné et zélé de la Révolution Culturelle engagée par Mao.
Tian Kewei est un instrument de l'Histoire et à travers sa vie, Paul Greveillac nous immerge dans la Chine de Mao. C'est ce que j'ai adoré dans ce récit dense, d'une très grande richesse historique : traverser l'histoire d'un pays sur les épaules de personnages si vivants, ambigus parfois, effrayés souvent, ayant des convictions… tels que Kewei, sa femme Li Fang pétrie de traditions et d'un sens de l'honneur exacerbé, puis leur fils Xiazhi, membre d'une génération sacrifiée de la Nouvelle Chine.
Il vous faudra aimer l'Histoire, la politique et ses méandres douteux, il vous faudra vous intéresser aussi à l'Art et à cette frontière entre création et propagande où Tian Kewei excelle. Le volet historique est particulièrement riche et merveilleusement traduit à travers le parcours de Kewei. J'ai parfois frôlé l'indigestion, mais j'ai chaque fois été relancée par les récits des personnages de ce récit, principaux comme secondaires. J'ai été passionnée par le récit qui est fait de la propagande, des aléas de la position de chacun dans le système, du rôle de la censure…
Il faut dire que la plume de Paul Greveillac est un ravissement : j'aime ce qu'elle raconte mais je suis également très touchée par la manière dont elle le dit. Poétique, elle convoque des images tellement vivantes et réalistes, que ce soient les paysages de cette Chine en plein bouillonnement, ou les peintures décrites. J'ai découvert de nombreux artistes dans ce roman touffu, réels ou tout droit sortis de l'imagination de l'auteur. J'ai découvert une histoire de la Chine qui m'était totalement inconnue, en dehors de ce drame de la place Tian Anmen en 1989 dont je n'avais finalement pas su grand chose. Les massacres de la jeunesse en révolte contre la corruption d'une Chine de l'après révolution culturelle, et qui firent entre 1 000 et 7 000 morts selon les sources, seront le point final de ce récit au goût d'épopée.
En conclusion, les 357 pages qui ont suivi mon premier avis à la page 100, ne m'ont pas déçue ! J'ai retrouvé dans ce récit tout ce que j'apprécie en littérature : la langue, le contenu, la densité historique, la précision des personnages, la richesse du récit, la poésie des images… Une magnifique découverte. Et oui, on peut dire un coup de cœur.
"Paysans riches" : un terme bien impropre pour désigner ces petits paysans pauvres propriétaires de leur masure et d'un petit lopin de terre qui leur permet tout juste de nourrir la famille. Sauf qu'à l'époque du "Grand bond en avant" conçu par le grand Mao Zedong, il n'est plus question de propriété privée : la nouvelle politique économique conduite entre 1958 et 1960 avait pour but notamment de stimuler la production par la collectivisation de l'agriculture. Sauf que ce grand projet, conduit à marche forcée et dans la contrainte, n'a pas eu le succès escompté. Tian Kewei a 8 ans quand la grande famine se déclare. Longtemps cachée au monde par le gouvernement chinois, il s'avère que cette famine a provoqué la mort d'environ 35 à 45 millions de personnes entre 1958 et 1963 (dont la moitié au cours de la dernière année). Dans ce contexte dramatique, Mao Zedong tient son pays d'une main de fer, à grand renfort de propagande et d'exécutions sommaires, et publiques.
C'est dans ce contexte que grandit Kewei, entre les rêves de son père, artiste dans l'âme, menacé par la ligne terrifiante du parti, des gardes rouges comme de l'armée populaire de Chine, et sa mère qui tente de faire survivre sa famille et de cacher les errances de son mari. Accusé d'être un droitier, le père de Kewei prend plaisir à parcourir la campagne, à observer et peindre la nature, les paysages… des sujets interdits par les consignes du Petit livre rouge, qui forgeront les prémices de la Révolution Culturelle quelques années plus tard.
Nous souhaitons respectueusement une longue vie
au grand leader, le Président Mao.
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Pour sauver sa peau d'abord, et celle de sa famille, pour survivre et pouvoir manger, Tian Kewei s'écarte peu à peu des traces de son père et peint dans le respect des consignes culturelles et politiques. Il transmet une image souriante et victorieuse de la Chine populaire de Mao. Sa soif de reconnaissance et de sécurité, son ambition aussi, en feront bientôt un instrument discipliné et zélé de la Révolution Culturelle engagée par Mao.
Tian Kewei est un instrument de l'Histoire et à travers sa vie, Paul Greveillac nous immerge dans la Chine de Mao. C'est ce que j'ai adoré dans ce récit dense, d'une très grande richesse historique : traverser l'histoire d'un pays sur les épaules de personnages si vivants, ambigus parfois, effrayés souvent, ayant des convictions… tels que Kewei, sa femme Li Fang pétrie de traditions et d'un sens de l'honneur exacerbé, puis leur fils Xiazhi, membre d'une génération sacrifiée de la Nouvelle Chine.
Il vous faudra aimer l'Histoire, la politique et ses méandres douteux, il vous faudra vous intéresser aussi à l'Art et à cette frontière entre création et propagande où Tian Kewei excelle. Le volet historique est particulièrement riche et merveilleusement traduit à travers le parcours de Kewei. J'ai parfois frôlé l'indigestion, mais j'ai chaque fois été relancée par les récits des personnages de ce récit, principaux comme secondaires. J'ai été passionnée par le récit qui est fait de la propagande, des aléas de la position de chacun dans le système, du rôle de la censure…
La pensée de l'invincible Mao Zedong illumine
la scène artistique révolutionnaire.
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Il faut dire que la plume de Paul Greveillac est un ravissement : j'aime ce qu'elle raconte mais je suis également très touchée par la manière dont elle le dit. Poétique, elle convoque des images tellement vivantes et réalistes, que ce soient les paysages de cette Chine en plein bouillonnement, ou les peintures décrites. J'ai découvert de nombreux artistes dans ce roman touffu, réels ou tout droit sortis de l'imagination de l'auteur. J'ai découvert une histoire de la Chine qui m'était totalement inconnue, en dehors de ce drame de la place Tian Anmen en 1989 dont je n'avais finalement pas su grand chose. Les massacres de la jeunesse en révolte contre la corruption d'une Chine de l'après révolution culturelle, et qui firent entre 1 000 et 7 000 morts selon les sources, seront le point final de ce récit au goût d'épopée.
En conclusion, les 357 pages qui ont suivi mon premier avis à la page 100, ne m'ont pas déçue ! J'ai retrouvé dans ce récit tout ce que j'apprécie en littérature : la langue, le contenu, la densité historique, la précision des personnages, la richesse du récit, la poésie des images… Une magnifique découverte. Et oui, on peut dire un coup de cœur.
Un sacré coup de coeur. Merci pour la découverte.
RépondreSupprimerÇa a l'air splendide... Merci
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