Voici ma seconde lecture de cette rentrée littéraire 2018 dans le cadre du Rendez-vous des Explorateurs de la rentrée littéraire 2018 initié par Lecteurs.com. Pour mémoire, mon avis de la page 100 disait à peu près ceci : [...] J'apprécie beaucoup l'écriture de Julia Kerninon, toute en douceur et subtilité, très aérienne. Très féminine aussi. La narratrice, Helen, interpelle son ancien amant, Frank, et partage avec lui ses souvenirs intimes de leur histoire commune. Le tutoiement, qui n'est pas habituellement un style que j'affectionne, me plaît beaucoup ici, il berce la lecture. La rythme avec douceur. L'histoire, enfin, a éveillé ma curiosité, et j'ai hâte de poursuivre ma lecture, avec peut-être une pointe d'inquiétude à l'abord de cette 100ème page : celle de m'ennuyer si le récit n'évolue pas…
Ma dévotion - Julia Kerninon.
Éditions du Rouergue, 22 août 2018, 304 pages.
Présentation de l'éditeur :
Après vingt-trois ans de silence, Helen et Frank se croisent par hasard sur un trottoir de Londres. Dans le choc des retrouvailles, la voix d'Helen s'élève pour livrer à Frank sa version de leur vie ensemble, depuis leur rencontre en 1950, à Rome, alors qu'ils étaient encore adolescents, jusqu'à ce jour terrible de janvier 1995, qui signa leur rupture définitive. Elle retrace l'éblouissante carrière de peintre de Frank, et tout ce qu'il lui doit, à elle, sa meilleure amie.
Leurs deux destins exceptionnels, la force implacable qui les lia et les déchira, Julia Kerninon les peint avec subtilité, dévoilant en profondeur la complexité des sentiments - cette dévotion d'une femme à l'égard d'un homme, si puissante et parfois dangereuse.
Ma lecture :
" Lorsque quelqu'un est aussi discret que moi, personne n'imagine qu'il puisse avoir un tempérament passionné. Mais - je le sais mieux que personne - il ne faut pas juger un livre à sa couverture."
Une fois ma lecture terminée et le livre refermé, je peux conclure ne pas avoir été déçue par cette découverte, et ce malgré quelques longueurs vers le milieu du récit. Sans doute (sûrement) le style de l'auteure y est-il pour quelque chose. Les chapitres, au nombre de 8, retraçant chacun une époque de la vie de Helen et Frank, sont découpés en une multitude d'épisodes de 2-3 pages maximum. Ce type de construction invite le lecteur à tourner les pages sans qu'il s'en rende compte : quand les chapitres sont longs, on hésite toujours à en commencer un nouveau ; ici, on les enchaîne, pour le plaisir et sans culpabilité.
Comme indiqué dans mon premier avis, la langue employée par Julia Kerninon nous invite également à savourer notre lecture, sans en perdre une miette. Une fois embarquée par la musicalité de ses phrases, je n'ai jamais eu envie de refermer ce livre. L'auteure nous conduit dans un univers aristocratique et cultivé, où les pères sont ambassadeurs et les mères servent de faire-valoir, où les enfants sont livrés à eux-mêmes, pour le meilleur et pour le pire. Dans cet environnement très superficiel, grandissent Helen et Frank, qui trouvent en l'autre l'appui qui leur permettra de se libérer de familles nocives et de construire un avenir brillant. Car si l'un et l'autre ne reçoivent pas l'attention de leurs familles, ils en ont néanmoins le soutien financier qui leur permet de s'engager dans la carrière qui leur correspond le mieux : écrivain et critique littéraire pour Helen, peintre pour Frank.
Ce récit est la déclaration faite par Helen à Frank, au crépuscule de leur vie. Elle donnera à Franck sa version de leur vie commune, après avoir été celle qui avait passé sa vie dans son ombre, à le soutenir et l'accompagner dans tous ses projets. Si, jusqu'à la fin de leurs études, Helen effectivement été le "tuteur" de Frank, celle qui l'a aidé à s'émanciper de sa famille, qui lui a donné un toit et une raison d'avoir confiance en lui, la suite de leur cohabitation m'a semblée beaucoup plus ambigüe. Jusqu'au dénouement où subsiste un certain malaise dans l'interprétation de l'histoire…
"On se sent, bien sûr, toujours un peu mesquin lorsqu'on reproche à un artiste son manque de considération de choses triviales, lorsqu'on pense à part soi, en haussant nos épaules mentales, il ne voit rien de ce qui l'entoure, puisqu'on sait qu'au contraire, mystérieusement, c'est lui qui voit en permanence des choses qui nous échappent et qui semblent être pourtant les plus importantes, les os, les nerfs, le sang de la réalité quotidienne, sa quintessence à jamais hors de notre portée de simples mortels - de civils, comme vous disiez autrefois, toi, Soto et Ossip pour parler des gens qui ne faisaient pas de peinture."
Car en effet, le récit est strictement celui de Helen, de son point de vue et de sa place. Sans qu'elle ne cache rien de ses actes et de ses sentiments, j'en suis arrivée à penser qu'elle se donnait le beau rôle : celui de la femme qui se sacrifie pour la réussite et le bien être de l'homme qu'elle aime. Helen est celle qui se dévoue, corps et âme pour son âme sœur. A l'entendre, à la lire, on jugerait vite Frank comme un égoïste, un manipulateur, à l'image de l'artiste un peu autiste, qui ne survit que grâce à la bienveillance des autres (et à leurs finances aussi), mais qui ne voit rien ni personne de son entourage.
Sauf que le récit laisse parfois mal à l'aise. Je serais curieuse de lire le récit du point de vue de Frank… Qu'en aurait-il dit lui ? Qu'attendait-il de Helen ? Pourquoi est-elle restée accrochée à lui alors qu'il ne lui avait visiblement rien promis ? Alors qu'ils étaient plus amis qu'amants ? Pourquoi n'a-t-elle pas été construire sa vie comme elle en a eu l'occasion ? Elle-même avait du mal a s'avouer que c'était réellement de l'amour qu'elle ressentait pour lui et qu'elle ne se contenterait pas de la place de sœur ou de confidente. Elle en voulait plus, sans jamais le reconnaître. Leur relation était entièrement fondée, des années durant, sur cet équivoque. Cela a fonctionné, tant bien que mal, jusqu'au jour où ils se sont trouvés l'un et l'autre confrontés à leurs petits arrangements avec la réalité. Et c'est bien souvent alors que les violences et les drames surviennent. Comme ce fut le cas pour eux et mit fin à leur histoire commune.
Outre l'écriture de Julian Kerninon, auteure que je découvre aujourd'hui (nantaise pourtant), j'ai été transportée par cette histoire et cet univers si lisse en surface mais qui cache des sentiments dévastateurs. Et ce que j'aime plus que tout c'est qu'une fois le livre refermé, il continue de me "hanter", questionnant la sincérité du récit de Helen. Certes Frank s'est bien arrangé de la "dévotion" de Helen, de ses sacrifices… mais que retiendrait-il de l'histoire lui ? Le dénouement, bouleversant, montre avec beaucoup de subtilité que le don de soi ne peut être à sens unique, et que celui qui donne attend toujours un retour (un contre-don si mes souvenirs sont bons).
Bref, je vais m'arrêter ici, pour ce livre qui m'a vraiment touchée et que j'ai beaucoup aimé. J'ai parlé de quelques longueurs par moment : sans doute est-ce la raison pour laquelle je n'en ferai pas un coup de cœur. Mais indéniablement, ce titre est pour moi un incontournable de cette rentrée littéraire.
Tout ce que tu dis dans ton billet me donne envie de découvrir ce roman. Merci.
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