27 décembre 2021

Les grandes oubliées - Pourquoi l'Histoire a effacé les femmes - Titiou Lecoq

    

De tout temps, les femmes ont agi. Elles ont régné, écrit, milité, créé, combattu, crié parfois. Et pourtant elles sont pour la plupart absentes des manuels d'histoire.
"C'est maintenant, à l'âge adulte, que je réalise la tromperie dont j'ai été victime sur les bancs de l'école. La relégation de mes ancêtres femmes me met en colère. Elles méritent mieux. Notre histoire commune est beaucoup plus vaste que celle que l'on nous a apprise."
Pourquoi ce grand oubli ? De l'âge des cavernes jusqu'à nos jours, Titiou Lecoq s'appuie sur les découvertes les plus récentes pour analyser les mécanismes de cette vision biaisée de l'Histoire. Elle redonne vie à des visages effacés, raconte ces invisibles, si nombreuses, qui ont modifié le monde. Pédagogue, mordante, irrésistible, avec elle tout s'éclaire. Les femmes ne se sont jamais tues. Ce livre leur redonne leurs voix.
"Femme libre et engagée, esprit avide et curieux, écrivaine confirmée, Titiou Lecoq livre un grand récit, passionnant et vrai." Michelle Perrot

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Heureusement que je ne corne pas les pages de mes livres, parce que celui-ci ne ressemblerait plus à grand chose ! J'ai dû coller une bonne vingtaine de post-it au fil de ma lecture des 325 pages du dernier livre de Titiou Lecoq. Et encore, est-ce parce que je me suis dit qu'il était guère utile d'en coller à chaque page... Je vous rassure, je ne vais pas vous citer tous les passages que j'ai retenus dans ce livre. Mais je vais quand même commencer par l'introduction.

"On a effacé celles [les femmes] qui avaient agi, celles qui, dans le passé, avaient gouverné, parlé, dirigé, créé. On nous a raconté que d'elles, il n'y avait rien à dire puisqu'elles auraient été empêchées. Si les femmes n'apparaissaient pas dans l'histoire, c'est parce qu'elles avaient été trop occupées avec les enfants, le ménage et le ragoût de pommes de terre. C'est faux."

Et c'est parti pour plus de 300 pages de démentis. De la préhistoire à l'époque contemporaine, Titiou Lecoq nous entraîne à la rencontre de femmes qui ont fait l'Histoire : les femmes chasseresses, aux côtés des hommes de la tribu, les guerrières de l'antiquité, reines et chevaleresses du Moyen-Âge, bâtisseuses de cathédrales, trobairitz (femmes troubadours), musiciennes, ménestrelles, enlumineuresses (et oui, l'art de l'enluminure n'était pas l'apanage des moines), artistes, peintres, autrices, savantes... les femmes sont partout. Mais pas de tout temps. Et contrairement à ce que l'on veut nous laisser croire, l'histoire n'est pas linéaire : les femmes ne cheminent pas de la soumission la plus totale vers une liberté qui serait le signe des sociétés civilisées contemporaines. A certaines périodes de la préhistoire, pendant l'antiquité, au Môyen-Âge ou pendant la Révolution française... les femmes étaient présentes, engagées, s'exprimaient, combattaient. Puis à d'autres époques, elles ont été invisibilisées : les chasses aux sorcières, la doctrine catholique, les diffamations et l'effacement de ce qu'ont pu produire les femmes ont été les outils des hommes dans la réécriture de l'Histoire à leur profit.

A la suite de Titiou Lecoq, quand on se retourne sur ce que l'école nous a appris, on réalise avec stupéfaction, et avec colère aussi, que les femmes étaient bien peu présentes dans les manuels. Hormis quelques encadrés ici ou là. Même si c'est, d'ailleurs, pour réécrire l'Histoire. Et cela commence à la préhistoire avec des hordes masculines de chasseurs, apprenants progressivement à maîtriser le feu, façonnant des outils, travaillant le bronze... pendant que leurs femmes allaitent, cuisinent et cousent des vêtements en peau. Sauf que cette représentation de l'histoire n'est qu'une projection du mode de vie des hommes d'un XIXème siècle qui voit le début des recherches en ce domaine. Et rien ne dit que dès la naissance de l'humanité la femme était cantonnée à la cuisine et à la couture. Les dernières recherches diraient même l'inverse.

Et c'est ainsi tout au long du livre, qu'il serait impossible de résumer tant il est riche. Au fil des chapitres, et des périodes historiques, l'autrice (oui, c'est ainsi que l'on nommait les écrivaines au Moyen-Âge, avant que l'histoire écrite par les hommes en fasse disparaître et le mot et le nom desdites autrices) montre comment les femmes avaient toute leur place, leur pleine légitimité et étaient visibles à certaines époques, et comment, avec acharnement et conviction, les hommes ont œuvré pour ridiculiser et mépriser les femmes, leur voler leurs créations et rendant toute œuvre féminine inconcevable. Qui irait dire que rien ne prouve que l'Iliade n'aurait pas été écrit par une femme ? Par contre, lorsqu'une femme raconte sa propre histoire, à la première personne du singulier, 2 300 ans avant JC, il s'en trouve toujours pour dire que c'est un homme qui a écrit un récit en faisant parler une femme. Puisqu'il n'y a aucune preuve, dans un sens comme dans l'autre, pourquoi ne pas croire tout simplement que c'est bien une femme qui raconte sa propre histoire ? Vu le nombre d'autrices par la suite dans l'histoire de la littérature, connues ou effacées de l'histoire, cela n'aurait rien de délirant.

Ainsi, vous le verrez chapitre après chapitre, l'Histoire n'est qu'un éternel balancier entre des périodes où les femmes parviennent à reprendre leur place, à l'égal des hommes, et d'autres où les règles sociales écrites par les hommes les renvoient bien vite au rang de petites choses fragiles qu'il faut diriger et contrôler. Si les femmes se battent aujourd'hui, c'est juste pour récupérer un statut qui a été antérieurement le leur et des droits qu'elles ont pu avoir à une autre période de l'Histoire. Et cela ne semble malheureusement être qu'un éternel recommencement.

Comme l'écrivait Napoléon Bonaparte :
"La nature a fait de nos femmes nos esclaves. (...) La femme est donnée à l'homme pour qu'elle lui fasse des enfants ; elle est sa propriété comme l'arbre à fruits est celle du jardinier."
Vous pensez que cette conception de la femme est périmée ? Réfléchissez-y quand même... Savez-vous que l'article 324 du Code civil qui précise que "dans le cas d'adultère [...] le meurtre commis par l'époux sur l'épouse, ainsi que sur le complice, à l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable" n'a été modifié qu'en 1975 ? Une femme m'a dit un jour que "si un homme allait voir ailleurs, c'est que sa femme n'était pas à la hauteur, mais que si une femme trompait son mari, c'était une salope"...

Pour compléter un peu, et se dire que rien n'est gagné, je vous propose moi aussi deux citations : En 1989, le champion du monde d'échecs, Garry Kasparov déclare : "Il m’est arrivé plusieurs fois de dire qu’il existait deux sortes d’échecs: les vrais échecs et les échecs pour femmes. Désolé ! Une femme ne peut rien faire contre la détermination d’un homme. C’est une simple question de logique. C’est la logique d’un combattant professionnel et les femmes ne sont pas de bons combattants (…). Les échecs sont un mélange de sport d’art et de science. Or, on peut constater la supériorité des hommes dans tous ces domaines. L’explication réside sans doute dans les gènes".
Garry Kasparov, qui fut battu par Judit Polgar en 2002 justifiait la victoire de Judit par le fait "qu'elle joue aux échecs comme un homme".
Cette dernière phrase est caractéristique des mécanismes présentés dans ce livre par Titiou Lecoq : les femmes sont maintenues à l'écart d'un grand nombre de domaines et de compétences ou formations, leur manque de connaissances permettent ensuite aux hommes de les mépriser, le discours ambiant convainc les petites filles que ces domaines ou formations ne sont pas faites pour elles et finalement, elles s'en détournent. C'est un véritable cercle vicieux. Et quand malgré tout une femme parvient à percer dans ces domaines soit disant masculins, le discours des hommes la délégitimeront en considérant que ce n'est pas vraiment une femme... comme on disait autrefois qu'elles étaient des sorcières.

Et pour finir, parce qu'il faut bien finir, même si j'aurai encore beaucoup de choses à dire... une dernière citation :

"Une histoire sans les femmes est-elle possible ? On dirait que le promoteur officiel de l'histoire en France a décidé que oui. Pour l'Education nationale, une histoire sans femme, ce n'est apparemment pas un problème. [...] Pourtant, je croyais qu'il était dans les missions de l'école de lutter contre les inégalités. L'éducation est un levier puissant que l'on n'a pas suffisamment actionné pour œuvrer à l'avènement de l'égalité entre les femmes et les hommes. [...] Ceux qui pensent que changer les programmes scolaires est encore un lubie de féministes hystériques, ceux-là ne se sont jamais demandé ce que signifie de grandir avec une histoire dont nos semblables sont exclues. Qu'est-ce que, petite fille, on perçoit quand on ne nous raconte que l'histoire des hommes ?"  

Ah, si, une dernière chose : saviez-vous qu'au Moyen-Âge "on pratiquait alors aisément ce qu'on appelle l'accord de proximité, issu du latin, à savoir que l'adjectif qualificatif s'accorde avec le mot le plus proche auquel il se rapporte" ? J'adore ce principe, qui a été modifié par ces messieurs de l'Académie française au XVIIème siècle. Car à l'époque, on considérait que "le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femme", dixit Beauzé (1767). Et dire que c'est toujours ce qui est enseigné à nos enfants aujourd'hui !!! Que diraient aujourd'hui ces messieurs-dames de l'Académie française si on revenait à cette règle d'orthographe qui prévalait jusqu'au XVIIème siècle ? Avec leur costume d'époque, et si c'est pour redonner une place aux femmes, ils ne devraient pas être trop choqués ! Cela éviterait au passage à ces millions de petites filles de s'entendre dire en classe que "le masculin l'emporte sur le féminin"... Et on ne peut pas dire que "cela ne veut rien dire" quand on est une fille et qu'on entend la moitié de la classe ricaner bêtement... C'est du vécu, avec ma fille, il y a deux ans seulement.

Promis, j'en reste là !
Et je vous recommande vivement de découvrir cet ouvrage, d'autant qu'il est servi par une plume alerte, vive et brillante, moderne et pince sans rire. Passionnant. Un livre accessible, qui ouvre la réflexion, donne envie de l'approfondir, de découvrir enfin toutes ces femmes que l'histoire a effacées, et, surtout, de se battre pour nos filles. A mettre entre les mains de tous les enseignants.

Les grande oubliées - Pourquoi l'Histoire a effacé les femmes - Titiou Lecoq
Editions L'iconoclaste - septembre 2021 - 325 pages










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