23 décembre 2021

Le rapport chinois - Pierre Darkanian

      


Une rumeur circule dans les cercles de pouvoir. Elle concerne un épais dossier intitulé Le Rapport Chinois. On dit que sa lecture rend fou. Pour certains, ce rapport à quelque chose à voir avec les cartels de la drogue. Pour d’autres il s’agit du manifeste d’un complot mondial. Quelques-uns en parlent comme d’un texte visionnaire.
On s’accorde en tout cas sur l’identité de son rédacteur : Tugdual Laugier. Mais là-aussi le mystère reste entier… Est-ce le nom d’un imposteur surdoué, d’un prophète ou d’un parfait imbécile ?
Quand la société des Hommes devient une farce, la vérité a besoin d’un bouffon. Le premier roman de Pierre Darkanian est une corde de funambule tendue entre le vide de l’existence et l’absurdité du monde moderne. On y danse, trébuche et progresse derrière Tugdual, aussi inoubliable que Falstaff ou Ignatius Reilly, d’une falaise à l’autre, d’un rire féroce à une troublante mélancolie.

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Quel étrange ouvrage que ce premier roman de Pierre Darkanian ! Lecture commune du prochain Comité des lecteurs, il était aussi conseillé par la libraire lors de la présentation de la rentrée littéraire. Un roman farfelu, satirique sur fond de scandales financiers et qui traite de la vacuité de certains métiers, de l'absurdité du capitalisme... Un roman très drôle...
Présenté comme ça, je ne pouvais que m'y plonger avec délice.

Sauf qu'il m'a fallu du temps pour en venir à bout. Il m'a fallu plus de trois semaines pour terminer ce roman. Sûrement parce lorsque le boulot m'accapare, j'ai plus de mal à être disponible pour mes lectures. Mais certainement aussi parce que l'absurdité du roman m'a longtemps laissée pantoise... On rencontre au début du récit un drôle de type, Tugdual Laugier, qui vient d'être recruté par le Cabinet Michard & Associés, un Cabinet de conseil qui érige la confidentialité et le secret à un niveau jamais atteint. Dans ce Cabinet, Tugdual ne voit pas ses collègues, ne rencontre pas ses patrons, ne doit rien enregistrer sur le réseau, personne ne l'appelle... et, surtout, personne ne lui donne de travail. Si les premières semaines l'intriguent, Tugdual finit par s'adapter : il discute avec ses crayons à papier, joue à l'avaleur de sabre avec sa cravate, fait un concours du plus grand nombre de buchettes de sucre en poudre mis en bouche en même temps, et, après un déjeuner qui traine en longueur, termine l'après-midi par des concerts de pets sonores. Il faut dire que pour 7 000 € par mois, on peut être prêts à perdre la raison. Et cela dure ainsi trois ans... Trois ans durant lesquels, il assomme la pauvre Mathilde, sa compagne, des récits de tous ses talents, du boulot qui l'accapare, de l'importance de ses missions qui doivent rester ultra-confidentielles... et pour cause.

Au bout de 3 ans, Bertrand Relot, le seul chef de l'entreprise qu'il ai jamais croisé, lui confie enfin du travail. La rédaction d'un rapport, sur la Chine. "Ce qu'ils veulent les chinois, c'est prendre le pouls du marché français. Faut-il investir dans le textile, dans l'internet, dans la restauration ? De la créativité, de l'imagination, du culot !" Tugdual Laugier doit pondre les grandes lignes de son rapport en 48h. Un pré rapport dont personne ne s'enquerra. Puis plusieurs mois de travail sur le fameux Rapport chinois, une compilation totalement absurde de tout ce que le grand consultant Laugier pourra trouver sur Wikipedia touchant à l'histoire de la Chine, sa géographie, des recettes de viennoiseries françaises, des tableaux et graphiques... Au final, 1 084 pages de vide total qui entraîneront à leur suite la santé mentale de nombreux enquêteurs, avocats, juges et procureurs.
1 084 pages de vide, d'une valeur de 5 millions d'euros.

J'ai trouvé la première partie du roman un peu longue : 128 pages de totale absurdité pendant lesquelles je me suis demandée où cela pouvait bien me conduire. 128 pages durant lesquelles je me suis demandée si le grand Tugdual, méprisant sa fiancée en raison de son métier moins rémunérateur et de sa méconnaissance du monde de la finance, était réellement aussi simple d'esprit qu'il le laissait paraître.

Vient ensuite le moment de l'enquête, car autant de vide et tant de mouvements financiers ne peuvent manquer d'alerter les autorités. Cette seconde partie du livre devient plus dynamique et plus jouissive. Les situations sont totalement délirantes et les deux personnages principaux du récit, Tugdual Laugier et son patron Bertrand Relot, nous apparaissent dans leur plus grande naïveté, dans leur plus belle bêtise.

Un soir, Mathilde fut appelée par l'Hôtel-Dieu : Tugdual avait été transporté aux urgences l'après-midi même, après qu'il eut tenté de mettre fin à ses jours. A l'hôpital, un médecin lui expliqua qu'une femme de ménage, alertée par des toussotements rauques et répétés ("rô-rô-rô"), l'avait découvert étendu sur la moquette de son bureau, pris de convulsions, après avoir manifestement essayé de s'étouffer avec sa cravate.

Un roman plaisant, qui témoigne de l'absurdité du monde dans lequel on vit, où le vide se monnaye à coups de millions, où des ignorants qualifiés peuvent être payés plusieurs milliers d'euros pour ne rien faire de leurs journées, mépriser leur entourage en manipulant des mots vides de sens mais les gonflant d'importance. C'est le récit des bulles financières, des Kerviel et Madoff qui se sont enrichis sur le dos des crédules, les laissant croire que l'argent pouvait venir sans rien faire et sans travail associé. Le rapport chinois est le récit absurde de la course à l'argent, de la paresse rémunérée, de l'orgueil et de l'égoïsme. Un roman très travaillé, avec beaucoup de références, une écriture de qualité.

Un objet littéraire original de cette rentrée littéraire. Un style décalé qui m'a perdue au début et que j'ai bien failli abandonné en route. J'ai sauté quelques passages et ai fini par trouver un point d'accroche à partir du chapitre 8. Les 170 pages suivantes ont été vite lues, et l'occasion de quelques fous rire. Un premier roman à découvrir, et un auteur à suivre.

Le rapport chinois - Pierre Darkanian
Editions Anne Carrière - 20 août 2021 - 304 pages


D'autres avis chez Ptitgateaux, qui a elle préféré la première partie que la seconde, Kitty la mouette, qui a tout aimé du roman, ou encore chez Collection de livres.








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