12 décembre 2021

En finir avec Eddy Bellegueule - Edouard Louis

   
 
En vérité, l’insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n’a été que seconde. Car avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. Je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.

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"De mon enfance je n'ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n'ai éprouvé de sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n'entre pas dans son système, elle le fait disparaître."

Cela faisait un moment que je voulais découvrir ce récit d'Edouard Louis / Eddy Bellegueule, sans jamais ni acheter le livre, ni l'emprunter. Et puis j'ai lu Retour à Reims, de Didier Eribon qui a été pour moi un vrai coup de cœur. Impossible après ça de ne pas me plonger dans ce très perturbant récit autobiographique. Edouard Louis revient sur son enfance dans un petit village de la Somme, à l'époque où il s'appelait encore Eddy Bellegueule. Il nous donne à lire une existence d'une grande violence : la violence sociale et culturelle, celle de la misère économique et de l'ignorance. Eddy Bellegueule est né dans un milieu précaire, fait de stéréotypes et de clichés, dans lequel l'ouverture d'esprit, la bienveillance et la tolérance n'ont pas leur place. Eddy a essayé de s'intégrer, de faire comme tout le monde et de jouer le rôle qui était attendu de lui. Sauf qu'Eddy n'était pas comme les autres. Et qu'avant de découvrir qui il était lui-même, les autres, sa famille, les copains, son entourage, la communauté... lui ont renvoyé une image différente des autres. Avant de se découvrir homosexuel, Eddy Bellegueule a été insulté et agressé parce que trop efféminé, trop différent. Avant de trouver sa vraie place, il a essayé de devenir celui que ses parents attendait : un petit garçon brutal, agressif, qui franchit parfois la ligne blanche, qui joue au foot comme tous les garçons de son âge et drague les filles. Mais à cause de sa différence, la communauté l'a exclu. Et lui a finalement dû fuir.

Dans ce premier roman, le tout jeune auteur, qui n'a pas encore 22 ans quand il écrit son livre, décrit cette violence sociale et cette exclusion qui l'ont poussé à devenir un transfuge. Car non seulement exclu par son entourage à cause de son orientation sexuelle, il s'exclura aussi par son parcours scolaire. Né dans un milieu très défavorisé, Eddy Bellegueule est aujourd'hui devenu Edouard Louis, écrivain formé à Normale sup et à l'EHESS avant de s'engager dans un thèse de doctorat sous la direction de Didier Eribon. On retrouve une très grande proximité entre les deux auteurs, dans leur parcours de Transfuge notamment et à travers la violence de leurs histoires en rupture avec leur milieu d'origine, mais aussi par cette orientation sexuelle encore plus difficile à vivre dans les milieux populaires.

"Chez mes parents, nous ne dînions pas, nous mangions. La plupart du temps, même, nous utilisions le verbe bouffer. L’appel quotidien de mon père C’est l’heure de bouffer. Quand des années plus tard je dirai dîner devant mes parents, ils se moqueront de moi Comment il parle l’autre, pour qui il se prend. Ca y est il va à la grande école il se la joue au monsieur, il nous sort sa philosophie."

Une très belle découverte, qui m'a conduite à enfin terminer La femme gelée, de Annie Ernaux, auteure dont il est beaucoup question dans ces deux récits. Je n'ai pas encore lu les autres récits d'Edouard Louis, mais cela viendra très sûrement. Le récit d'un milieu invisible, englué dans la misère, la violence, l'alcool, le chômage et la télé. L'histoire d'un monde d'aujourd'hui mais que l'on n'évoque qu'à la faveur de faits divers. Ce récit est aussi celui d'une langue, en rupture avec celle des classes dominantes. Bouleversant.

En finir avec Eddy Bellegueule - Edouard Louis
Lu en format poche, éditions Points, 2014, 204 pages


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