22 décembre 2020

Ténèbre - Paul Kawczak


Un matin de septembre 1890, un géomètre belge, mandaté par son Roi pour démanteler l'Afrique, quitte Léopoldville vers le Nord. Avec l'autorité des étoiles et quelques instruments savants, Pierre Claes a pour mission de matérialiser, à même les terres sauvages, le tracé exact de ce que l'Europe nomme alors le « progrès ». À bord du Fleur de Bruges, glissant sur le fleuve Congo, l'accompagnent des travailleurs bantous et Xi Xiao, un maître tatoueur chinois, bourreau spécialisé dans l'art de la découpe humaine. Celui-ci décèle l'avenir en toute chose : Xi Xiao sait quelle œuvre d'abomination est la colonisation, et il sait qu'il aimera le géomètre d'amour. Ténèbre est l'histoire d'une mutilation. Kawczak présente un incroyable roman d'aventure traversé d'érotisme, un opéra de désir et de douleur tout empreint de réalisme magique, qui du Nord de l'Europe au cœur de l'Afrique coule comme une larme de sang sur la face de l'Histoire.

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Je me suis plongée dans ce récit après l'avoir vu salué par mes libraires préférées lors du premier confinement. Et en effet, j'ai pu voir depuis que les avis étaient plutôt enthousiastes, dithyrambiques même. Sauf que pour moi, cela n'a pas pris. Si j'ai apprécié la première partie du récit, je me suis lassée des horreurs de la seconde.

J'ai apprécié le volet historique du récit, qui rappelle la violence de la colonisation européenne en Afrique, cette découpe géométrique du continent en pays que les puissances européennes se partagent équitablement pour se répartir les richesses qu'ils contiennent, faisant fi des populations et de l'histoire de ces régions. J'ai aimé découvrir cette histoire au plus près des gens, des européens envoyés dans un pays et des cultures qu'ils ignorent totalement, sous des climats pour lesquels ils ne sont pas adaptés et des géographies qui leurs font perdre la santé et la raison.

J'ai apprécié aussi le récit de l'aventure vécue par Pierre Claes en cette fin du XIXème siècle. l'inadaptation des européens sortant de leurs salons bourgeois pour s'enfoncer dans la jungle inhospitalière qui côtoie le fleuve Congo. Prisonniers du fleuve, dès leur départ de Léopoldville, aujourd'hui Kinshasa, ils ne peuvent s'en écarter sans risquer de croiser des animaux dangereux, des hommes peu accueillants, et inquiets de cette invasion d'une telle violence, des maladies auxquelles ils ne survivent que rarement. J'ai trouvé très intéressant ce récit du partage d'un continent, des enjeux politiques entre états colonisateurs, les outils utilisés à cette époque pour cartographier le monde, l'exercice du métier de géomètre dans cet univers incertain.

Mais je me suis bien vite ennuyée de cette aventure qui plonge dans une violence insoutenable et confuse. J'ai perdu le fil avec l'apparition de cet univers cauchemardesque qui superpose au découpage d'un pays le découpage des corps. Dans une relation charnelle et quasi surnaturelle, Pierre Claes s'attache à un jeune homme originaire de Chine, Xi-Xiao, tatoueur-découpeur de son état. Autrement dit bourreau. Plus le jeune Pierre Claes trace les lignes des frontières du Congo belge et découpe l'Afrique, plus Xi-Xiao trace de lignes sur les corps de ses amants et les découpe tout en les maintenant le plus longtemps en vie. Une séance de torture ? Que néni, le luxe suprême en matière de plaisir ! Mourir sous le scalpel de son amant. Mais cette description de l'horreur, de la souffrance, de la maladie, du désir et de la violence… l'auteur nous la fait ressentir jusqu'à l'écœurement.

Sans doute aurai-je dû faire le lien entre l'écartèlement d'un pays, d'un continent et celui des hommes… mais j'avoue que ce n'était pas si clair pour moi et que cette violence gratuite m'a finalement lassée et ennuyée. Je n'ai pas compris la nécessité de ce Xi-Xiao, sa place et son rôle dans ce récit. L'être humain est capable d'assez d'horreurs sans qu'il soit nécessaire d'en rajouter de manière aussi brutale (ou poétique, c'est selon les points de vue…). J'ai quand même cherché ce qu'était cet art de la torture, le lingchi, qui consiste à entailler et retirer successivement, par tranches fines, des muscles et des organes du condamné avant de lui trancher la tête. L'enjeu pour les bourreaux est de maintenir en vie le supplicié le plus longtemps possible. Dans son récit, Paul Kawczak fait de ce supplice un jeu érotique mortel. Etrange...

"Toute une civilisation bourgeoise, mâle et malade, étouffée de production, exsangue d’action, faisandée de rêves en chaque crâne, se dépensa avec érotisme et violence dans un fantasme de terre femelle et primitive, de Nouvelle Ève noire à violer dans la nuit blanche, sans relâche, la saignant de toutes ses richesses, bafouant sa tendresse de mère en criant la mort vide à sa face de déesse indolente."

En synthèse, ce récit était pour moi trop violent et trop nébuleux, écœurant au-délà du supportable, j'ai assez vite perdu le fil et ai eu du mal à comprendre le sens de tant d'horreur. Dommage parce que le côté historique et récit d'aventure ne me déplaisait pas.


Ténèbre - Paul Kawczak
Editions La Peuplade, 23 janvier 2020, 304 pages


Je vous invite néanmoins à découvrir les avis suivants, d'abord parce que mes librairies conseillaient ce livre, ensuite parce que ces autres lecteurs ont adoré leur lecture : Fairy Stelphique, Delphine Folliet, Garoupe, Charybde... De beaux billets pour un récit qui m'a échappé. D'autres ont aussi franchement détesté... Comme toujours, à vous de vous faire votre opinion !



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