25 avril 2019

Rade amère - Ronan Gouézec

Je n'ai pu assister au Comité de lecteurs sur les auteurs japonais faute d'avoir pu terminer suffisamment rapidement Le père Goriot et La septième fonction du langage. Cette fois-ci, hors de question de passer à côté du prochain rendez-vous qui met à l'honneur les auteurs bretons.

Si vous êtes tentés par l'aventure, voici la petite liste concoctée par les bibliothécaires. 6 titres, dont 2 que j'avais déjà lu : 
    - La fille à histoires, Irène Frain
    - Rade amère, Ronan Gouézec
    - Trois éclats toutes les vingt secondes, Françoise Kerymer
    - Fleurs de tempêtes, Philippe Le Guillou

J'ai donc commencé mon voyage en terre bretonne avec un premier roman, celui de Ronan Gouézec dont le titre et la couverture nous conduisent dans l'univers iodé de l'Atlantique.


Présentation de l'éditeur :

Comment un homme en vient-il à entrer dans une affaire criminelle qui le mène droit dans le gouffre? Contre son instinct, contre sa volonté, parce qu’il se dit que c’est peut-être une manière de s’en sortir. Cet homme, c’est Caroff. Depuis des mois il dérive dans la ville de Brest, sans bateau, sans métier, sans avenir. Ceux qui le connaissaient ne veulent plus entendre parler de lui. Parce que par folie, par imprudence, il a perdu par gros temps la vie d’un matelot de seize ans. Mais il a une femme, une Marie qui croit encore en lui, et tous les deux, dans cette passe d’adversité, ils se débattent, recroquevillés autour de leur fille, ce petit miracle qui les a maintenus à flot, malgré tout ce qui manque dans leur mobil-home posé sur un terrain vague. Et ce bonheur-là, pensent-ils, personne ne peut le leur enlever.
Alors Caroff la prend, cette vilaine tangente, sans imaginer que sur cette trajectoire-là il va croiser d’autres gamins, risquer d’autres vies, rencontrer un type comme Jos Brieuc, avec lequel il n’aurait rien dû avoir à partager.
Dans un premier roman intensément maritime, éclairé par les cardinales, les balises rouges et vertes des chenaux, les feux de route des navires, Ronan Gouézec affronte des douleurs d’homme, des combats de père, les deuils impensables qu’il faut vivre. Et nous emporte dans la grande houle d’un océan sans pardon.


Ma lecture :

C'est un bonheur chaque fois renouvelé que d'entendre les bretons parler de leur pays, de ces bouts de terroir entre terre et mer, un peu au bout du monde, et nous rappeler combien on l'aime nous aussi cette Bretagne !

Ici, les personnages naviguent entre Brest, Camaret et Le Faou. Ils s'aventurent au-delà de la baie de Douarnenez, à proximité de l'île de Sein et des grandes voies de circulation en mer d'Iroise. L'auteur prend un plaisir visible à nous parler de la Bretagne, même sous la pluie, de l'océan, de la force et de la beauté des éléments, de la nature. Nous sommes ici loin de la Bretagne des cartes postales. Nous naviguons entre la rade de Brest, celle des dockers et des marins pêcheurs, celle des troquets où les hommes viennent se réchauffer au retour de pêche, où les esprits s'échauffent et où l'alcool avive les rancœurs. L'auteur nous fait découvrir une Bretagne authentique, celle qui façonne des tempéraments solides et tourmentés. Dans cet environnement plein de caractère, nous rencontrons deux personnages à la personnalité également bien trempée : Jos Brieuc et Caroff. Tous deux sont à un tournant de leur vie et font des choix qui amèneront leurs routes à se croiser, au cœur de la tourmente.

Ronan Gouézec dépeint avec beaucoup d'émotion et d'âpreté le pays qui est le sien et dresse de très beaux portraits d'hommes. Son écriture offre également un grand plaisir au lecteur. Dès les premiers mots, les premières phrases, les premières pages, j'ai su que j'allais dévorer ce livre. Que j'allais aimer cet univers rude et plein de caractère. La plume de Ronan Gouézec est précise, élégante et généreuse. C'est un vrai régal.

Enfin, et cela ne gâte rien, l'auteur a le talent de placer des notes d'humour dans ce récit tempétueux, apportant ainsi un peu de légèreté, sans rien ôter à la force de l'histoire et des personnages. La rencontre entre les grandes familles de truands marseillais et les marins bretons est savoureuse. Celle qui réunit Caroff, ce grand type costaud, d'une cinquantaine d'années, ancien marin les pieds bien ancrés sur terre, et les deux jeunes des quartiers populaires de Brest est particulièrement jouissive ! Nous ne sommes pas loin de la caricature, mais l'auteur a su s'arrêter à temps et faire passer l'émotion et les relations humaines au-dessus de cette image excessive.

Ce premier roman, paru en avril 2018, est une vraie réussite. L'auteur nous annonce une trilogie se déroulant aux Etats-Unis au début des années 1960 : je suis très curieuse !


"Brieuc indiqua d’un menton interrogatif le fond de la salle, l’autre opina et retourna à son mouvement perpétuel. devant lui, une masse humaine, chaude, sanguine, bruyante et essentiellement masculine où les différentes strates de conversations se chevauchaient, se mêlaient. Des rires arrivaient comme des grains en mer et s’interrompaient en une seconde, avant de renaître plus loin dans la salle. debout, pressés les uns contre les autres, les hommes des tavernes éclusaient les bocks, s’essuyaient la mousse des lèvres, appuyés au bar ou contre les murs couverts d’affiches, se gueulaient dans les oreilles en hochant la tête d’un air concentré, presque douloureux, les yeux plissés, un bras pesant d’amitié ambrée passé autour des épaules."

"Autour de lui, on faisait traîner, prenant un café, puis un autre. Il faisait trop bon, et la rumeur sourde des masses d’air et d’eau en mouvement de l’autre côté du mur incitait tout le monde à retarder le moment où il faudrait bien SORTIR. Car depuis des mois des quantités invraisemblables d’eau tombaient du ciel sous les formes les plus diverses : averses brutales qui courbaient les têtes, les gouttes lourdes rebondissant comme des billes de verre, petites pluies fines, hésitantes, qui semblaient pouvoir durer des siècles, et bien sûr des crachins, poisseux et pénétrants, exaspérant les plus patients. Seule la neige avait manqué."



Rade amère - Ronan Gouézec - Le Rouergue noir - Avril 2018 - 208 pages.




    


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