Cette histoire des abeilles est ma dernière lecture de la liste du Comité des lecteurs de la bibliothèque, dont le thème est la littérature nordique. J'ai mis un peu de temps avant de le lire. D'abord parce qu'il n'était pas disponible, mais aussi parce que je n'étais que moyennement attirée par la présentation en 4ème de couverture. 3 histoires à 3 périodes différentes de l'Histoire, sur des continents différents, mais ayant toute un lien avec les abeilles. Je ne voyais pas trop où tout cela pouvait mener. Et puis sur le principe, Une histoire des abeilles, même si cela pouvait être intéressant, ce n'était pas trop ce que j'avais envie de lire. Enfin, après 5 lectures d'auteurs "nordiques", j'avoue que j'étais plutôt frileuse. 3 histoires parallèles, un bouquin de 400 pages, il y avait intérêt à ce que récit ai un peu de rythme !
Et là, surprise : je me suis passionnée par ces 3 histoires et par cette Histoire des abeilles ! A découvrir sans hésitation.
Une histoire des abeilles de Maja Lunde.
Éditions Les Presses de la Cité, 17 août 2017, 400 pages.
Présentation de l'éditeur :
Angleterre, 1851. Père dépassé et époux frustré, William a remisé ses rêves de carrière scientifique. Cependant, la découverte de l'apiculture réveille son orgueil déchu : pour impressionner son fils, il se jure de concevoir une ruche révolutionnaire.
Ohio, 2007. George, apiculteur bourru, ne se remet pas de la nouvelle : son unique fils, converti au végétarisme, rêve de devenir écrivain. Qui va donc reprendre les rênes d'une exploitation menacée par l'inquiétante disparition des abeilles ?
Chine, 2098. Les insectes ont disparu. Comme tous ses compatriotes, Tao passe ses journées à polliniser la nature à la main. Pour son petit garçon, elle rêve d'un avenir meilleur. Mais, lorsque ce dernier est victime d'un accident, Tao doit se plonger dans les origines du plus grand désastre de l'humanité.
Ma lecture :
« Si l’abeille disparaissait du globe, l’homme n’aurait plus que quatre années à vivre. » - Albert Einstein
Dernière lecture pour le Comité des lecteurs de janvier proposé par la bibliothèque Libre Cour sur le thème de la Littérature nordique, et premier roman adultes pour Maja Lunde. Avec un prénom pareil, l'auteure norvégienne était prédestinée à écrire sur les abeilles. Mais ce livre est tellement plus riche qu'une simple Histoire des abeilles.
A travers ces trois récits bien distincts, qui ne se rejoignent qu'en toute fin de roman, Maja Lunde ne nous propose rien de moins qu'une histoire de l'orgueil de l'humanité à travers la disparition des abeilles. L'histoire de l'être humain qui commence par découvrir, de manière empirique, le moyen de domestiquer la nature, d'utiliser les ressources pour son profit, finissant par oublier toute retenue. Il cherche à tirer toujours plus de profit, allant jusqu'à faire voyager des centaines de ruches à travers plusieurs régions, ou plusieurs Etats en Amérique, afin d'optimiser cette "main d'œuvre" bon marché et laborieuse. Même pour la production du miel et la pollinisation des espèces fruitières, vient l'heure de l'industrialisation. Avec tous ces excès et débordements. Jusqu'au jour où la nature cesse de résister à la folie des Hommes… et où les abeilles disparaissent mystérieusement.
C'est à l'Humanité de trouver une solution au problème que lui pose la nature. Changer de paradigme et retrouver une place en harmonie avec la nature ? Ou chercher d'autres techniques pour continuer à produire toujours plus. Parce que l'Homme le croit toujours, le bonheur passe par la production intensive… et la consommation effrénée, la croissance sans limites… En 1998, au moment de l'effondrement des abeilles en Europe, l'Homme avait encore le choix. Mais qu'en a-t-il fait de cette liberté ? En 2007, aux Etats-Unis, les colonies d'abeilles s'effondrent aussi. Et si l'on en juge par l'état du monde en 2098, on peut supposer que l'Homme, dans sa toute puissance, a continué sur sa lancée, sans jamais revenir à un mode de vie en adéquation avec l'univers qui l'entoure, avec les ressources à sa disposition.
Et franchement, la vie sans les abeilles ne fait pas rêver. L'angoisse de l'humanité : un monde où l'humain doit polliniser lui-même les arbres et plantes s'il veut trouver des fruits à manger. Sauf que le coût d'un humain n'est pas celui d'une abeille… voire même de milliers d'entre elles ! Imaginez alors l'augmentation du coût des denrées alimentaires, la disparition aussi du bétail qu'il devient trop cher de nourrir désormais. La mobilisation de tous les hommes et femmes en âge de travailler pour grimper aux arbres et secouer leur petits plumeaux chargés de pollen.
A travers les vies de William, George et Tao, l'auteure nous fait découvrir cette histoire universelle des abeilles. Mais elle ne néglige pas pour autant le côté romanesque du récit. J'ai beaucoup apprécié chacune de ces époques, les vies de chacun des personnages principaux, leurs relations à leurs fils par exemple. J'ai partagé leurs rêves et désespoirs, leurs souffrances dans un monde qui change, qui ne les attend pas et qui n'est pas toujours à la hauteur de leurs espérances.
Finalement, il semblerait que j'ai gardé la meilleure lecture pour la fin. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas retrouvée debout dans le froid à attendre mon bus ou mon train avec un livre à la main. Longtemps que je ne m'étais pas réveillée à 5h du matin avec l'envie de poursuivre ma lecture. Et ce sont des moments délicieux.
Avant de terminer ce billet, je voudrais vous faire redescendre un peu sur terre en vous annonçant que ce dont nous parle l'auteure est déjà arrivé : le syndrome d'effondrement des colonies d'abeilles domestiques est survenu en 1998 en Europe, et en 2007 aux Etats-Unis. Ce syndrome est très préoccupant car il peut toucher jusqu'à 90% des colonies. Or il faut savoir que la production de 84 % des espèces cultivées en Europe dépend directement des pollinisateurs, qui sont à plus de 90 % des abeilles domestiques et sauvages. Les raisons de ces disparitions subites sont mal établies pour le moment et semblent multifactorielles, mais l'Homme n'y est jamais totalement étranger. Il faut savoir enfin que la pollinisation manuelle existe déjà en Chine où faute de butineuses en nombre suffisant, les habitants en âge de travailler sont mobilisés pour la pollinisation à la main. La période dure une quinzaine de jours pendant laquelle le travail acrobatique sur les branches de pommiers ou poiriers devient une véritable course de vitesse. Quelle situation dérisoire et révoltante de voir l'Homme devoir remplacer les abeilles après les avoir exterminées. Et comme dans le roman de Maja Lunde, l'impact sur le coût des denrées et la situation économique des productions est catastrophique. En parallèle, les cultivateurs protègent férocement leur précieuse production à grand renfort d'insecticides… Que dire de plus ?
Hommes-abeilles dans le Sichuan - Chine |
Il y a tout ce que j'aime dans ce livre : des histoires qui me touchent et des références sociales, historiques et politiques passionnantes. Un sujet d'urgence, pour une prise de conscience politique : quel monde veut-on léguer à nos petits-enfants ? Je vous invite vivement à vous y plonger.
6ème lecture (avec un peu de retard) |
Un sujet grave, malheureusement.
RépondreSupprimera priori pas un thème qui m'aurait attirée, mais cela a l'air très bien fait!
RépondreSupprimerA première vue, je ne serais pas attiré par ce livre non plus, mais puisque tu as accroché, pourquoi pas?
RépondreSupprimerBonne semaine.