Après les Rêves oubliés de Léonor de Récondo, voici ma seconde lecture sur le thème de l'exil. Après les souvenirs d'une famille fuyant l'Espagne de Franco en 1936 vers le pays basque, nous suivons le parcours d'une fillette qui quitte l'Argentine au début des années 1980 pour rejoindre sa mère arrivée en France quelques années auparavant. Depuis 1976, l'Argentine est dirigée par la junte militaire du Général Videla qui multiplie les disparitions, les détentions arbitraires et la torture contre les opposants politiques, leurs familles, les amis, les voisins... dans les 500 centres clandestins de détention. C'est là qu'est détenu le père de la narratrice quand elle quitte l'Argentine. Elle partage avec nous la découverte de son nouveau pays, de sa nouvelle langue... de sa nouvelle vie.
Le bleu des abeilles de Laura Alcoba.
Éditions Gallimard, Août 2013, 128 pages.
Présentation de l'éditeur :
La narratrice a une dizaine d’années lorsqu’elle parvient à quitter l’Argentine pour rejoindre sa mère, opposante à la dictature réfugiée en France. Son père est en prison à La Plata. Elle s’attend à découvrir Paris, la tour Eiffel et les quais de Seine qui égayaient ses cours de français. Mais Le Blanc-Mesnil, où elle atterrit, ressemble assez peu à l’image qu’elle s’était faite de son pays d’accueil.
Comme dans son premier livre, Manèges, Laura Alcoba décrit une réalité très dure avec le regard et la voix d’une enfant éblouie. La vie d’écolière, la découverte de la neige, la correspondance avec le père emprisonné, l’existence quotidienne dans la banlieue, l’apprentissage émerveillé de la langue française forment une chronique acidulée, joyeuse, profondément touchante.
Ma lecture :
J'ai trouvé dans ce livre beaucoup de similitudes avec le livre de Maryam Madjidi, Marx et la poupée.
Dans les deux récits, nous découvrons l'histoire d'une fillette que la vie a poussé sur les routes, fuyant un pays qui ne protège plus mais menace, les opposants, les contestataires, les utopistes... Chez Maryam Madjidi, l'enfant quitte l'Iran avec sa famille. Avec Laura Alcoba, c'est l'Argentine qui est le point de départ. Dans ces deux livres, les auteures nous livrent le point de vue des fillettes, à ceci près que dans Le bleu des abeilles, la narratrice est cette enfant d'une dizaine d'années, tandis que Maryam Madjidi nous raconte le vécu d'une enfant, mais de la place de l'adulte qu'elle est devenue. Cela rend l'histoire peut-être moins naïve, plus réfléchie. L'adulte revient sur son passé et l'analyse avec le recul. Laura Alcoba nous offre l'histoire à travers le regard de l'enfant. Dans les deux récits néanmoins, la fraîcheur de l'enfance est bien présente.
Autre similitude entre ces deux récits, c'est leur côté autobiographique. On y retrouve aussi le même vécu à l'arrivée en France, sur cette terre d'accueil : le nouvel environnement, dans un appartement qui se révèle être loin des espérances, dans un quartier moins exotique que prévu, la découverte d'une nouvelle école, la difficulté à se faire des amis, la pauvreté et la sensation d'être en décalage avec ce monde si différent... Et puis, il y a la question de la langue, de cet apprentissage difficile mais tellement nécessaire. Cette nouvelle langue qui sera la clé de l'intégration, de l'acceptation aussi. La réflexion autour de cet apprentissage est particulièrement riche chez Maryam Madjidi, mais le sens en est tout autant sensible dans Le bleu des abeilles. Il passe ici par la lecture d'un texte de Raymond Queneau, Les fleurs bleues, qui sera un grand défi pour la fillette, mais aussi le texte qui marquera un grand tournant chez elle : le moment où elle pensera en français.
" Ce que je me demandais aussi, c'était quelle distance me séparait encore d'un français qui serait pleinement à moi. Est-ce que j'y arriverai un jour, alors que ça fait si longtemps que je me suis mise en route ? "
Ces deux livres sont donc très proches par leur contenu, mais tellement différents par l'impression qu'ils laissent. Si j'avais trouvé le texte de Maryam Madjidi un peu trop léger, je pense néanmoins qu'il me laissera plus de souvenirs que celui de Laura Alcoba. Sans doute le point de vue de l'enfant me touche moins que l'analyse qu'il peut faire, une fois devenu adulte, de son histoire. Le bleu des abeilles montre bien cependant la capacité de résilience et d'adaptation des enfants. Comme dans le livre de Léonor de Récondo, Rêves oubliés, la grosse machine qu'est l'école donne aux enfants les codes qui leur permettront de se construire un avenir. Le premier de ces codes est bien entendu la maîtrise de la langue sur laquelle l'enfant porte tous ces efforts.
" Le français est une drôle de langue, elle lâche les sons et les retient en même temps, comme si, au fond, elle n'était pas tout à fait sûre de bien vouloir les laisser filer- je me souviens que c'est la première chose que je me suis dite. Et qu'il allait me falloir beaucoup d'entraînement, aussi. "
L'écriture de Laura Alcoba est très agréable, pleine de douceur et de tendresse, emprunte de la naïveté de cette enfant qui découvre un autre univers et qui se donne le droit de croire que tout est possible.
En conclusion, je suis sensible au sujet et au récit, mais j'ai préféré la distance prise par l'adulte chez Maryam Madjidi, et sa capacité d'analyse. Par contre, je pense que j'irai regarder du côté de Queneau : Les fleurs bleues, dont il est question tout au long du livre.
Nouvelle lecture sur l'exil, très touchante.
Pour en savoir plus, je vous inviter à aller regarder du côté de chez Delphine-Olympe, Edyta ou chez Eimelle.
J'ai adoré les deux livres, et tu n'es pas la seule à avoir fait le rapprochement, puisqu'après la publication de Marx et la poupée et de La danse de l'araignée, qui est comme le troisième et dernier volet de la trilogie qui narre l'histoire de cette petite fille, les deux auteures avaient été réunies à l'occasion d'une émission sur l'exil sur France Culture.
RépondreSupprimerAh bah tu vois ;-) Je suis curieuse de voir si cette émission est toujours disponible... j'écouterai bien ce que les auteures disent de leurs livres.
SupprimerPar contre, je ne savais pas qu'il y avait une trilogie... Si j'avais lu le premier livre, j'aurai certainement été moins frustrée de ne pas connaître la raison de cet exil... Je les lirai peut-être finalement.