24 juillet 2015

Kinderzimmer - Valentine Goby

Il y a bien longtemps que ce livre avait rejoint ma bibliothèque. Sûrement dès sa sortie aux Éditions Actes Sud, en août 2013. Je me suis dirigée vers ce livre après ma lecture d'un roman de Valentin Musso, Les cendres froides. Cet ouvrage m'avait enthousiasmée, non tellement par l'histoire en elle-même, mais plutôt par son aspect historique, celui des Lebensborn durant la seconde guerre mondiale. Ces centres étaient des maternités destinées à des bébés répondant aux critères de pureté "de la race aryenne". Ils devinrent également des lieux de rencontre devant permettre la "reproduction de la race". Valentin Musso rappelait alors que 1 enfant sur 20 né en France durant la guerre avait un père biologique allemand...Qui le sait aujourd'hui ?
Toujours est-il que lorsque ce roman de Valentine Goby est sorti, j'ai eu envie de poursuivre ma connaissance de cette réalité historique.

Présentation de l'éditeur :

“Je vais te faire embaucher au Betrieb. La couture, c’est mieux pour toi. Le rythme est soutenu mais tu es assise. D’accord ?
– Je ne sais pas.
– Si tu dis oui c’est notre enfant. Le tien et le mien. Et je te laisserai pas.
Mila se retourne :
– Pourquoi tu fais ça ? Qu’est-ce que tu veux ?
– La même chose que toi. Une raison de vivre.”

En 1944, le camp de concentration de Ravensbrück compte plus de quarante mille femmes. Sur ce lieu de destruction se trouve comme une anomalie, une impossibilité : la Kinderzimmer, une pièce dévolue aux nourrissons, un point de lumière dans les ténèbres. Dans cet effroyable présent une jeune femme survit, elle donne la vie, la perpétue malgré tout.
Un roman virtuose écrit dans un présent permanent, quand l’Histoire n’a pas encore eu lieu, et qui rend compte du poids de l’ignorance dans nos trajectoires individuelles.


Ma lecture :

J'ai choisi ce livre par erreur : je pensais en apprendre plus sur les Lebensborn et j'ai découvert les Kinderzimmer. Ces deux termes recouvrent des réalités très différentes, dans un contexte identique, celui de la seconde guerre mondiale.  Les Lebensborn étaient des outils de sélection de la future "race aryenne". La Kinderzimmer de Ravensbrück était en quelque sorte la "pouponnière" du camp. Un entassement de nouveaux nés confrontés à la famine, la maladie, aux rats et autre vermine, et qui ne dépassent guère les 3 mois d'espérance de vie. J'ai découvert là encore une réalité historique surréaliste, où le désespoir et la misère se disputent aux espoirs et à la vie naissante.

Baraquements de Ravensbrück

Ravensbrück était un camp de concentration réservé aux femmes. En 1944, 40 000 femmes y sont détenues. Parmi elles, certaines sont enceintes. Auparavant, la plupart des femmes mourraient avant d'avoir pu donner naissance à leur enfant. Pour les autres, les bébés étaient tués à la naissance. En 1944, début de la débâcle allemande, certains bébés survivent. C'est pour eux qu'est créée la "chambre des bébés", la Kinderzimmer. C'est une pièce avec deux lits de deux étages superposés, où sont couchés en travers jusqu'à 40 bébés. Pas d'hygiène, pas de couche, pas de biberon, pas de tétine, la solidarité du camp apporte un peu de linge, des petites bouteilles et du lait mais n'évite pas la disparition de presque tous les enfants. Sur 500 naissances consignées à Ravensbrück, une quarantaine d'enfants seulement ont survécu, dont 3 français.

Suzanne Langlois, dite Mila, est enceinte quand elle part pour Ravensbrück. Ce roman est d'abord son histoire, un récit construit à partir de la réalité de ses milliers de femmes détenues dans ce camp de concentration et dont certaines ont donné naissance à un enfant lors de leur détention. C'est d'abord le récit de la peur, de la faim, du froid, de la maladie et de la mort. Mais c'est surtout le récit de l'espoir, de la solidarité, de la musique, de la poésie, de la beauté du ciel allemand, du lever du soleil sur Ravensbrück. Dans ce lieu de mort, la Kinderzimmer concentre toutes les solidarités : les femmes qui volent les gants en plastique des médecins pour en faire des biberons, celles qui subtilisent de bouts de laine ou de tissus pour en faire des petits vêtements, les jeunes mères qui viennent de perdre leur bébé et continuent à venir à la pouponnière pour allaiter les bébés survivants, celles qui se cachent sous les lits pour faire fuir les rats qui viennent dévorer les plus faibles...

   
Détails de monuments commémoratifs.


Plus qu'un roman, ce livre est un hommage à ces 150 000 femmes qui seront passées, et qui sont mortes pour la moitié d'entre elles, entre les murs de ce camp. Ce livre est écrit avec des phrases courtes, dans un style très rythmé. Il témoigne de la force des caractères, de l'horreur du lieu et de l'urgence à agir, ou réagir, de l'urgence à ne pas se laisser abattre, ne pas s'enfoncer dans le désespoir, garder l'espoir... une raison de vivre. Un très beau roman qui rend hommage à ces enfants nés à Ravensbrück, à ces femmes qui y sont passées, à celles qui sont mortes là-bas, au courage de ces femmes ordinaires à qui le sens de la solidarité à donner une raison de vivre. Ce roman est aussi celui de Marie-José Chombart de Lauwe, résistante bretonne internée à Ravensbrück où elle fut un temps affectée à la Kinderzimmer. C'est beaucoup de son histoire qui figure, semble-t-il, dans ce livre.

Dessin de Violette Lecoq - http://www.noublions-jamais.net


"Le prisonnier se penche, ouvre la bouche toute ronde. Il ne peut pas détacher ses yeux de l'enfant en dépit de son effroi. Bien sûr il n'a jamais vu ça. Dans le regard de l'homme il y a toute l'ancienne stupeur de Mila devant la mort à l’œuvre. Elle s'est habituée. Les autres femmes avancent elles aussi, tout contre Mila, et découvrent un à un les visages des petits vieillards aux lèvres fendues." (Kinderzimmer, Valentine Goby, Actes Sud, août 2013, page 180)

A lire impérativement si l'Histoire vous passionne, si l'histoire des femmes et des mères vous touche, si vous gardez espoir en la nature humaine, si vous aimez les textes forts et l'écriture percutante. Une auteure que je découvre d'ailleurs avec ce livre et qui a attisé ma curiosité. Il semble qu'elle ai déjà une bibliographie bien fournie, et c'est tant mieux.


  Kinderzimmer de Valentine Goby.
Éditions Actes Sud, août 2013. 218 pages.


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Je vous invite à lire les avis de Jérôme, Noukette, Jostein, Argali ou Natiora, et beaucoup d'autres encore sur les blogs !


       
 

3 commentaires:

  1. un livre qui aura marqué au fer rouge ma vie de lecteur !

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  2. J'ai envie de lire ce roman depuis longtemps, j'espère qu'il me plaira autant qu'à toi !

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