19 juillet 2015

Les héritiers de la mine - Jocelyne Saucier

Quand j'ai lu le billet de Sylire consacré à ce roman paru en mai aux éditions Denoël, j'ai immédiatement été interpelée. Principalement parce qu'il s'agit de Jocelyne Saucier. J'ai découvert cet auteur grâce à Argali qui m'avait envoyé un vrai bijou : Il pleuvait des oiseaux, un livre qui parle d'amour, de vie et de liberté ! Et nous donne une belle leçon, de vie justement.

J'avais très envie de retrouver l'auteur, même si je craignais qu'il ne soit pas à la hauteur : quand on a été à ce point séduite par un livre, on ne peut que s'attendre à être déçue. D'autant que Les héritiers de la mine, s'il n'est paru que cette année en France, a été publié au Canada bien avant Il pleuvait des oiseaux.

Présentation de l'éditeur :

Eux, c’est la tribu Cardinal. Ils n’ont peur de rien ni de personne. Ils ont l’étoffe des héros… et leur fragilité.

Notre famille est l’émerveillement de ma vie et mon plus grand succès de conversation. Nous n’avons rien en commun avec personne, nous nous sommes bâtis avec notre propre souffle, nous sommes essentiels à nous-mêmes, uniques et dissonants, les seuls de notre espèce. Les petites vies qui ont papillonné autour s’y sont brûlé les ailes. Pas méchants, mais nous montrons les dents. Ça détalait quand une bande de Cardinal décidait de faire sa place.
– Mais combien étiez-vous donc?
La question appelle le prodige et je ne sais pas si j’arrive à dissimuler ma fierté quand je les vois répéter en chœur, ahuris et stupides :
– Vingt et un ? Vingt et un enfants ?
Les autres questions arrivent aussitôt, toujours les mêmes, ou à peu près : comment nous faisions pour les repas, comment nous parvenions à nous loger, comment c’était à Noël, à la rentrée des classes, à l’arrivée d’un nouveau bébé, et votre mère, elle n’était pas épuisée par tous ces bébés?
 

Alors je raconte… 

Ma lecture :

La peur d'être déçue. Les premières pages qui me paraissent bien fades par rapport au souvenir lumineux que m'a laissée ma précédente lecture de cet auteur, Il pleuvait des oiseaux. Une photo de couverture qui ne m'attirait pas du tout...

Mais cette première impression n'a pas duré, loin de là, et j'ai retrouvé avec le même plaisir ce que j'avais aimé dans l'écriture de Jocelyne Saucier. Une écriture tout en finesse, qui parle des Hommes avec tellement de douceur et de sensibilité. La vie de famille Cardinal est âpre. La pauvreté et la présence sourde et forte de la Mine réunissent les membres de cette petite ville dans laquelle la famille Cardinal fait figure d'empêcheur de tourner en rond. Les 21 enfants de cette famille hors norme expriment leur révolte et la violence de leurs conditions de vie. Des parents plutôt absents, entre un père que ses rêves de richesse isolent et une mère cantonnée à la cuisine où il y a tant à faire. Les grands de la fratrie qui gèrent l'éducation des plus petits, s'il est possible de parler ici d'éducation. Mais toute cette famille bouillonne de rêves et d'espoirs en un avenir meilleur.

Après l'abandon de la Mine, toute cette surprenante tribu s'égaille aux 4 coins de la planète, fuyant, on le comprend assez vite, un drame que certains ne font que soupçonner. Le plus jeune par exemple, surnommé LeFion, tourne autour, questionne frères et sœurs, sentant bien que quelque chose lui échappe mais devant attendre, comme le lecteur, le dénouement pour comprendre ce qui est à l'origine de l'éloignement des uns et des autres.

"Les choses n'avaient pas vraiment changé. On voyait que la prospérité avait passé, mais très vite, par à-coups, laissant dans les villes et les villages quelques maisons neuves, gonflées d'orgueil, des façades refaites, des pelouses rasées de près, et pas très loin, à quelques milles, dans une échancrure de la forêt, une masure en papier-brique entourée d'un bric-à-brac épouvantable qui me ravissait, car c'était l'image que j'avais emportée avec moi et que je retrouvais enfin, l'image d'un homme vivant seul ou avec une femme aussi esseulée que lui, quelques enfants peut-être, un chien, un fusil, la pauvreté qui s'affiche, sans complexes, une vie qui défie toutes les lois de ce monde." (Les héritiers de la mine, Jocelyne Saucier, Éditions Denoël, avril 2015, page 180)

Les principaux membres de la famille racontent leur propre perception de l'histoire, les uns après les autres, et le lecteur découvre ainsi toute la violence de ce drame qui naît de la confrontation entre les règles imposées par le groupe et les aspirations individuelles de chacun de ses membres. Certains n'auront pas la force de s'opposer et suivront le mouvement, d'autres, sous une apparence de faiblesse de caractère auront la force de vivre leurs rêves, allant jusqu'à mettre leur vie en danger.

Jocelyne Saucier décrit avec toujours autant de finesse et de précision les sentiments et le caractère de ses personnages, la force des individualités. Elle sait aussi magnifiquement poser un contexte, un environnement, ici celui de la Mine, des violences entre les membres de la communauté, les espoirs et rêves de chacun. Le suspens qu'elle fait naître dès le début du récit porte le lecteur d'une traite jusqu'aux dernières pages. Tout en savourant la description sensible des relations fraternelles, souvent cruelles, parfois plus ambigües, comme c'est le cas des jumelles Carmelle et Angèle.



Un texte maîtrisé, qui confirme la qualité de cette auteure et me donne envie de lire ses deux autres récits. Une lecture que je vous conseille.

Les héritiers de la mine de Jocelyne Saucier.
Éditions Denoël, avril 2015. 222 pages.


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Je vous invite à lire les avis de Sylire, Daphné, Keisha ou Topinambulle.


     




5 commentaires:

  1. J'avais aussi quelques craintes au départ, tellement on avait dit du bien de son autre roman! Mais j'ai vite apprécié son écriture et la construction.

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  2. Ton billet est parfait. C'est tout à fait cela.
    Une auteure que je vais suivre de près !

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  3. Une auteure à découvrir pour ma part.

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  4. Merci Itzamna pour ce très beau billet, si juste et attentif. Douceur et sensibilité, révolte et violence, rêves et espoirs...oui, il y a de tout ça, c'est bien vrai. Cela semble contradictoire, mais Jocelyne Saucier a le don de faire cohabiter ces éléments. Vous me faites réaliser qu'il y avait aussi ces contrastes là dans Il pleuvait des oiseaux. Merci Itzamna. Ça me donne envie de lire ses autres romans ;)

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    1. C'est ce qui rend effectivement ces romans si forts, je trouve. Et nous évite de tomber dans le mélo (notamment pour Il pleuvait des oiseaux).

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