Après avoir entendu, et lu, tant de bien de ce récit, j'ai décidé de m'y plonger à l'occasion du rendez-vous que nous propose Calypso avec son Challenge Un mot, des titres. Le mot retenu pour cette 30ème session était "couleur".
Cela fait maintenant près d'un mois que j'ai lu ce premier titre de Nell Leyshon a être traduit en français. Un mois qui a un peu effacé le souvenir que j'ai de ce livre, d'autres lectures étant venues prendre la place dans ma mémoire. Je vais essayer cependant de rendre fidèlement l'impression qu'il m'a laissée, de la première à la dernière page.
Présentation de l'éditeur :
En cette année 1831, Mary, une jeune fille de 15 ans entame le tragique
récit de sa courte existence : un père brutal, une mère insensible, en
bref, une banale vie de misère dans la campagne anglaise du Dorset.
Simple et franche, mais lucide et entêtée, elle raconte comment, un été, sa vie a basculé lorsqu’on l’a envoyée chez le pasteur Graham, pour servir et tenir compagnie à son épouse, une femme fragile et pleine de douceur. Avec elle, elle apprend la bienveillance. Avec lui, elle découvre les richesses de la lecture et de l’écriture… mais aussi obéissance, avilissement et humiliation. Finalement l’apprentissage prodigué ne lui servira qu’à écrire noir sur blanc sa fatale destinée. Et son implacable confession.
Simple et franche, mais lucide et entêtée, elle raconte comment, un été, sa vie a basculé lorsqu’on l’a envoyée chez le pasteur Graham, pour servir et tenir compagnie à son épouse, une femme fragile et pleine de douceur. Avec elle, elle apprend la bienveillance. Avec lui, elle découvre les richesses de la lecture et de l’écriture… mais aussi obéissance, avilissement et humiliation. Finalement l’apprentissage prodigué ne lui servira qu’à écrire noir sur blanc sa fatale destinée. Et son implacable confession.
Ma lecture :
"ceci est mon livre et je l’écris de ma propre main.
nous sommes en l’an de grâce mille huit cent trente et un,
j’ai quinze ans et je suis assise à ma fenêtre. je vois beaucoup
de choses. je vois les oiseaux qui piaillent dans le ciel. je vois
les arbres je vois les feuilles.
et chaque feuille a ses veines.
chaque tronc a ses fissures.
je suis pas très grande et mes cheveux ont la couleur du lait.
je m’appelle mary et j’ai appris à écrire mon nom. m. a. r. y.
ce sont les lettres de mon nom." (La couleur du lait - Nell Leyshon - Ed. Phébus - 28/08/2014)
La première chose qui marque le lecteur, est le style employé par l'auteur. Cette forme à mi-chemin entre l'écriture et le récit parlé, conduite un peu maladroitement par une jeune fille qui découvre l'écrit, est quelque peu déstabilisante. Je me suis souvent demandée, au début, quel aurait été l'impact de ce récit s'il avait pris une forme plus conventionnelle. Était-ce un passage obligé pour faire partager au lecteur les préoccupations de Mary, ses pensées, nous rendre palpable son caractère ?
Puis je me suis vite détachée de ces considérations pour m'imprégner pleinement du récit, ce style tellement particulier n'étant plus un filtre à ma lecture. Mary nous raconte donc la courte histoire de sa vie. Née au début du 19ème siècle dans une famille modeste de paysans anglais, elle est la quatrième et dernière des enfants, toutes des filles, au grand désespoir de son père qui aurait attendu des bras un peu plus solides pour l'aider à la ferme.
Ne se contentant pas d'être fille, Mary est aussi handicapée par une jambe qui la fait boiter. Et, surtout, la jeune fille a du bagout, bavarde, elle ne sait tenir sa langue et dit toujours très exactement ce qu'elle pense. Dans un environnement familial où personne d'autre que le père n'est vraiment autorisé à s'exprimer, la fraîcheur et la franchise de Mary dérangent. Pourtant la cadette ne ménage pas sa peine, toujours prompte à se mettre à l'ouvrage, elle est aussi celle qui met de la vie et de l'humanité dans cette famille terriblement terne et austère.
Comme dans les familles à l'époque, la maisonnée compte également le grand-père, le seul à porter de l'intérêt à Mary, qui est également la seule à lui porter de l'attention. Sans elle, l'ancêtre, impotent, serait cantonné dans la réserve à pommes, jamais nourrit ni lavé, n'ayant personne à qui parler. Pleine de sensibilité, Mary porte un regard attendri et frais à la nature et aux Hommes qui l'entourent. Cette relation entre Mary et son grand-père est très forte, très touchante.
Puis vient le jour où Mary est placée auprès du pasteur Graham pour tenir compagnie à sa femme, malade et alitée. Là encore, dans ce milieu si différent du sien, le bon caractère de Mary fait des merveilles. Elle devient indispensable, pour le pasteur comme pour sa femme à qui elle porte toutes ses attentions. C'est à ce moment que le pasteur lui apprend à lire et à écrire, lui permettant, quelques temps plus tard, de rédiger cette confession. Ce passage, les relations de Mary avec le pasteur et sa femme, avec le fils du pasteur ou l'autre domestique de la maison, m'est paru parfois un peu long et sans réelle épaisseur. Comme sil l'auteur ne voulait pas nous conduire trop vite vers le dénouement. Les retours de Mary à la ferme, pour visiter sa famille, m'ont beaucoup plus intéressée.
Ce récit est cependant très humain ; Mary, qui paraît parfois si simple, se révèle d'une compassion et d'une force de caractère admirable. Jamais révoltée, elle assume sa condition de femme pauvre et soumise dans la société de son temps. Et lorsque le drame survient, il paraît également sans violence, comme une continuité, une fatalité. S'il n'y a pas de préméditation dans les actes de Mary, il n'y a pas non plus de regrets. Comme si la jeune fille se contentait de suivre le chemin tracé pour elle par le destin, ne cherchant pas à s'octroyer une once de liberté.
La liberté, Mary la connaîtra à la fin du récit, dans un dénouement tragique, d'une force et d'une violence contenues. C'est là que l'oppression s'achève, dans un drame ultime.
Une fois le livre fermé, j'ai pu répondre à la question que je me posais en le commençant, concernant le style employé par l'auteure. Il est certain qu'avec un style narratif plus classique, l'histoire n'aurait pas été celle vécut et racontée par Mary, mais celle de Mary rapportée par l'auteure. Dans ce texte, Nell Leyshon semble s'effacer totalement derrière son héroïne au destin si tragique. Une posture d'auteur qui me plaît beaucoup et une écrivain que j'aurai plaisir à retrouver lorsque ses autres livres seront traduits en français.
D'autres avis chez Anne-Sophie, Mimi Pinson, Vanessa, Alex ou encore Bianca.
Ma 18ème participation au challenge du 1% rentrée littéraire 2014 proposé par Hérisson, c'est aussi une très belle plume au féminin sur une idée de Lexylis (ex Opaline). Et c'est bien sûr l'occasion de renouer avec le challenge de Calypso, Un mot, des titres...
Shaftsbury - Dorset - UK |
Ne se contentant pas d'être fille, Mary est aussi handicapée par une jambe qui la fait boiter. Et, surtout, la jeune fille a du bagout, bavarde, elle ne sait tenir sa langue et dit toujours très exactement ce qu'elle pense. Dans un environnement familial où personne d'autre que le père n'est vraiment autorisé à s'exprimer, la fraîcheur et la franchise de Mary dérangent. Pourtant la cadette ne ménage pas sa peine, toujours prompte à se mettre à l'ouvrage, elle est aussi celle qui met de la vie et de l'humanité dans cette famille terriblement terne et austère.
Comme dans les familles à l'époque, la maisonnée compte également le grand-père, le seul à porter de l'intérêt à Mary, qui est également la seule à lui porter de l'attention. Sans elle, l'ancêtre, impotent, serait cantonné dans la réserve à pommes, jamais nourrit ni lavé, n'ayant personne à qui parler. Pleine de sensibilité, Mary porte un regard attendri et frais à la nature et aux Hommes qui l'entourent. Cette relation entre Mary et son grand-père est très forte, très touchante.
Hardy's Cottage, Dorchester, Dorset, UK |
Puis vient le jour où Mary est placée auprès du pasteur Graham pour tenir compagnie à sa femme, malade et alitée. Là encore, dans ce milieu si différent du sien, le bon caractère de Mary fait des merveilles. Elle devient indispensable, pour le pasteur comme pour sa femme à qui elle porte toutes ses attentions. C'est à ce moment que le pasteur lui apprend à lire et à écrire, lui permettant, quelques temps plus tard, de rédiger cette confession. Ce passage, les relations de Mary avec le pasteur et sa femme, avec le fils du pasteur ou l'autre domestique de la maison, m'est paru parfois un peu long et sans réelle épaisseur. Comme sil l'auteur ne voulait pas nous conduire trop vite vers le dénouement. Les retours de Mary à la ferme, pour visiter sa famille, m'ont beaucoup plus intéressée.
Ce récit est cependant très humain ; Mary, qui paraît parfois si simple, se révèle d'une compassion et d'une force de caractère admirable. Jamais révoltée, elle assume sa condition de femme pauvre et soumise dans la société de son temps. Et lorsque le drame survient, il paraît également sans violence, comme une continuité, une fatalité. S'il n'y a pas de préméditation dans les actes de Mary, il n'y a pas non plus de regrets. Comme si la jeune fille se contentait de suivre le chemin tracé pour elle par le destin, ne cherchant pas à s'octroyer une once de liberté.
Glastonbury Abbey - Dorset - UK |
La liberté, Mary la connaîtra à la fin du récit, dans un dénouement tragique, d'une force et d'une violence contenues. C'est là que l'oppression s'achève, dans un drame ultime.
Une fois le livre fermé, j'ai pu répondre à la question que je me posais en le commençant, concernant le style employé par l'auteure. Il est certain qu'avec un style narratif plus classique, l'histoire n'aurait pas été celle vécut et racontée par Mary, mais celle de Mary rapportée par l'auteure. Dans ce texte, Nell Leyshon semble s'effacer totalement derrière son héroïne au destin si tragique. Une posture d'auteur qui me plaît beaucoup et une écrivain que j'aurai plaisir à retrouver lorsque ses autres livres seront traduits en français.
La couleur du lait de Nell Leyshon.
Editions Phébus, août 2014. 176 pages.
D'autres avis chez Anne-Sophie, Mimi Pinson, Vanessa, Alex ou encore Bianca.
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Ah le voilà donc ce livre dont on nous a parlé en comité... Malgré tout, je ne suis pas sûr d'être tenté.
RépondreSupprimerLe portrait de Mary est très beau. Même si certains passages sont plus faibles (chez le pasteur, ou la relation avec le fils de celui-ci...), j'en garde un bon souvenir.
SupprimerUn lecture que j'avais bien aimé. Le style si particulier, surtout.
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