Pendant longtemps, je ne me suis pas autorisée à lire autre chose que des essais, politiques, économiques, philosophiques, sociologiques... ou des classiques, ayant du mal à faire de la lecture un moment de détente et de loisirs et pas simplement un outil d'apprentissage et de développement. Peut-être un biais introduit par les injonctions de l’École où la réussite scolaire passe par la Culture, littéraire notamment. Peut-être parce qu'après mes premiers plaisirs de lecture, grâce à Agatha Christie notamment, mais également aux récits pour enfants et pré adolescents comme les romans de Pierre Véry, Andrée Chédid, Emilie et Charlotte Brontë, la Comtesse de Ségur, ou encore la série des Alice de Caroline Quine... il a fallu entrer dans le moule des lectures scolaires imposées et qu'il n'y avait plus assez de temps pour les lectures plaisirs. Aujourd'hui encore, j'ai parfois mauvaise conscience à "perdre mon temps" à ces lectures "futiles" quand mon travail justifierai nombre de lectures, d'essais ou d'articles, me permettant d'affermir ma culture professionnelle et politique. Mais je résiste, ayant retrouvé grâce à ce blog la satisfaction d'une lecture "plaisir". Cependant, comme les lectures ne me semblent pas devoir être exclusives, j'ai choisi de renouer, au moins ponctuellement, avec la lecture d'essais, quitte, comme m'y a autorisé Daniel Pennac, à sauter certains passages qui me paraissent trop rébarbatifs.
Présentation de l'éditeur :
Ce livre propose une réflexion sur la signification politique de
l’éducation dans les sociétés démocratiques, articulée sur plusieurs
thèmes : le statut de l’enfant, la nature de l’égalité, la place de la
culture, la fonction du civisme. Sans dogmatisme, il propose d’abord de
clarifier ces questions et les dilemmes auxquelles elles donnent lieu :
faut-il centrer l’enseignement sur l’élève ou sur les savoirs ? Comment
développer le respect des cultures singulières dans le souci de forger
une culture commune ? Le civisme peut-il s’enseigner ? L’école peut-elle
être à la fois égalitaire et exercer une fonction de classement, etc. ?
C’est sans doute parce que l’école concentre ainsi les plus vifs
paradoxes de la démocratie contemporaine qu’elle est à ce point un sujet
sensible.
Ma lecture :
J'ai donc choisi de renouer avec les essais par cet ouvrage collectif sur l'éducation. Cherchant en librairie un autre ouvrage de Marcel Gauchet, La Religion dans la démocratie : parcours de la laïcité, je suis tombée sur cette réflexion politique de l'éducation dans nos sociétés avec un sommaire très intéressant et pleinement d'actualité.
En effet, à l'heure de la réforme des rythmes scolaires et de la mise en place de Projets Éducatifs de Territoires, la communauté éducative s'interroge sur le sens de l'éducation au 21ème siècle. L'apparition des PEDT "formalise une démarche permettant aux collectivités territoriales volontaires de proposer à chaque enfant un parcours éducatif cohérent et de qualité avant, pendant et après l'école, organisant ainsi, dans le respect des compétences de chacun, la complémentarité des temps éducatifs." Tous les acteurs éducatifs, école en premier lieu, mais également collectivités, associations, parents, sur tous les temps de l'enfant (scolaire, péri et extrascolaire), sont invités à participer à cette définition d'un cadre éducatif cohérent, et ce dans l'intérêt de l'enfant.
Ce travail est l'occasion de confronter les points de vue des différents acteurs sur le sens et les objectifs de ce parcours éducatif. Et il est flagrant que les conceptions divergent, au sein de l'école elle-même, mais également avec ses partenaires que sont les collectivités, les associations, fédérations d'éducation populaire entre autres, ou encore avec les parents et la société civile. Quel doit-être le rôle de l'école aujourd'hui ? L'apprentissage des fondamentaux, l'épanouissement de l'enfant et la construction des adultes de demain, la recherche du "bien-être" de l'enfant à l'école (terme très à la mode aujourd'hui), la lutte contre les inégalités, le renforcement de la cohésion sociale, la prévention du décrochage, la lutte contre la violence, la recherche de l'employabilité des futurs adultes... ? Et j'en oublie très certainement. Autant d'enjeux qui montrent à quel point les tensions peuvent être vives entre les différents acteurs éducatifs.
C'est l'ensemble de ces paradoxes les plus sensibles qu'aborde cet ouvrage collectif, sous l'angle philosophique. Décomplexée (presque) depuis l'ouverture de ce blog et la lecture des deux ouvrages de Daniel Pennac, Chagrin d'école et Comme un roman, j'ai commencé par sauter une partie du premier chapitre, "La question de l'éducation comme question philosophique", trop philosophique à mon goût.
Puis j'ai enchaîné sur la présentation historique et politique des enjeux qui se posent aujourd'hui encore. Ou comment, avec l'arrivée des toutes jeunes sciences humaines (psychologie puis sociologie), "le développement de l'enfant devient la base de l'éducation rationnelle, opposée à une éducation centrée sur la formation de l'adulte futur" (page 99). De même la notion de pédagogie connaît une évolution très sensible, "s'émancipant de la tutelle du projet politique à l'origine de l'école [...] pour placer l'avenir sous l'égide du changement social et du développement de l'enfant, considérés comme des mouvements immanents" (page 107).
Le chapitre suivant questionne de façon tout à fait passionnante, et historique, la place de l'enfant dans la conception de l'éducation. A la fin du 18ème siècle, l'éducation doit permettre à chacun de trouver sa place dans la société, se développer selon ses aspirations et ses compétences. Les "inégalités de talents" étant acquises, chacun a une plus-value à apporter au collectif social, l'éducation et l'épanouissement de chacun à sa place ne peut que rendre la société future meilleure. La pédagogie est alors descendante, mais "affirme la caractère indispensable de l'expérience personnelle pour la formation du raisonnement et des connaissances" (page 130). Progressivement, et là encore grâce aux avancées de la psychologie de l'enfant, s'affirme le principe du "puérocentrisme", qui veut que "le maître suive l'élève plutôt que le programme" et "critique le système éducatif basé sur l'universalité du programme et sur l'autorité nécessaire pour la faire entrer dans les faits" (page145).
Cette affirmation, qui veut que chaque enfant progresse selon ses aptitudes, son rythme et ses appétences, conforme avec les notions d'épanouissement et de bien-être de l'enfant dont il est beaucoup question aujourd'hui, est cependant est totale contradiction avec l'ambition du système scolaire de lutte contre les inégalités. La sociologie de la reproduction souligne ce paradoxe d'une société voulant faire de l'école le creuset de l'égalité entre les individus en maintenant une pédagogie homogène entre des enfants issus de milieux hétérogènes, avec des bagages culturels si différents. On le voit dans nos collectivités aujourd'hui, combien il est difficile de franchir le pas de la discrimination positive et du renforcement des moyens pour les publics les plus défavorisés. Sans doute le contexte financier que connaissent aujourd'hui les Villes imposera ce type d'arbitrage.
Le chapitre 4 pose cette question de l'égalité. De quoi parle-t-on quand on évoque l'égalité ? Égalité de moyens, de résultats, égal accès à l'instruction, enseignement primaire d'abord, puis secondaire, unique, "atténuation des privilèges de naissance, élévation du niveau de tous, mobilité sociale, épanouissement personnel..." (page 176). Chacun parle aujourd'hui d'égalité des chances... mais chance de quoi ? D'apprendre, d'accéder à des postes valorisant et mieux rémunérés, de s'épanouir dans sa vie et son travail... ? Comment parler encore d'égalité quand, bien plus que la réussite scolaire, ce sont les héritages familiaux qui déterminent les parcours professionnels ? Peut-on craindre comme Condorcet "un égalitarisme mal compris qui pourrait conduire à abaisser le niveau d'instruction de telle sorte que celle-ci reste accessible à tous" ?
L'ouvrage aborde ensuite la question de la culture et la crise de sa transmission, la culture dite "classique" particulièrement, celles des cultures, de leur diversité et de ce qui doit faire sens commun. Il se termine avec le thème du civisme, de la citoyenneté et de la participation démocratique, de la morale républicaine que d'aucuns appellent de leurs vœux en ces temps de troubles, autant de sujets qui traversent les politiques publiques et mobilisent la communauté éducative.
Un ouvrage particulièrement riche, qui éclaire les enjeux de politique publique en ce début de 21ème siècle. Un livre qui met les Politiques face à leur responsabilités : qu'attendent-ils de l’École ? Qu'attend-on de cette institution républicaine qui ne saurait être le remède exclusif à tous les maux de la Démocratie ? Un essai également comme un vrai plaidoyer en faveur de l’École et de ses enseignants. Mais il n'est pas que ça, loin de là : c'est une très juste réflexion de société, tellement d'actualité. C'est une vraie satisfaction de renouer avec les essais par ce titre.
En effet, à l'heure de la réforme des rythmes scolaires et de la mise en place de Projets Éducatifs de Territoires, la communauté éducative s'interroge sur le sens de l'éducation au 21ème siècle. L'apparition des PEDT "formalise une démarche permettant aux collectivités territoriales volontaires de proposer à chaque enfant un parcours éducatif cohérent et de qualité avant, pendant et après l'école, organisant ainsi, dans le respect des compétences de chacun, la complémentarité des temps éducatifs." Tous les acteurs éducatifs, école en premier lieu, mais également collectivités, associations, parents, sur tous les temps de l'enfant (scolaire, péri et extrascolaire), sont invités à participer à cette définition d'un cadre éducatif cohérent, et ce dans l'intérêt de l'enfant.
Ce travail est l'occasion de confronter les points de vue des différents acteurs sur le sens et les objectifs de ce parcours éducatif. Et il est flagrant que les conceptions divergent, au sein de l'école elle-même, mais également avec ses partenaires que sont les collectivités, les associations, fédérations d'éducation populaire entre autres, ou encore avec les parents et la société civile. Quel doit-être le rôle de l'école aujourd'hui ? L'apprentissage des fondamentaux, l'épanouissement de l'enfant et la construction des adultes de demain, la recherche du "bien-être" de l'enfant à l'école (terme très à la mode aujourd'hui), la lutte contre les inégalités, le renforcement de la cohésion sociale, la prévention du décrochage, la lutte contre la violence, la recherche de l'employabilité des futurs adultes... ? Et j'en oublie très certainement. Autant d'enjeux qui montrent à quel point les tensions peuvent être vives entre les différents acteurs éducatifs.
C'est l'ensemble de ces paradoxes les plus sensibles qu'aborde cet ouvrage collectif, sous l'angle philosophique. Décomplexée (presque) depuis l'ouverture de ce blog et la lecture des deux ouvrages de Daniel Pennac, Chagrin d'école et Comme un roman, j'ai commencé par sauter une partie du premier chapitre, "La question de l'éducation comme question philosophique", trop philosophique à mon goût.
Puis j'ai enchaîné sur la présentation historique et politique des enjeux qui se posent aujourd'hui encore. Ou comment, avec l'arrivée des toutes jeunes sciences humaines (psychologie puis sociologie), "le développement de l'enfant devient la base de l'éducation rationnelle, opposée à une éducation centrée sur la formation de l'adulte futur" (page 99). De même la notion de pédagogie connaît une évolution très sensible, "s'émancipant de la tutelle du projet politique à l'origine de l'école [...] pour placer l'avenir sous l'égide du changement social et du développement de l'enfant, considérés comme des mouvements immanents" (page 107).
Le chapitre suivant questionne de façon tout à fait passionnante, et historique, la place de l'enfant dans la conception de l'éducation. A la fin du 18ème siècle, l'éducation doit permettre à chacun de trouver sa place dans la société, se développer selon ses aspirations et ses compétences. Les "inégalités de talents" étant acquises, chacun a une plus-value à apporter au collectif social, l'éducation et l'épanouissement de chacun à sa place ne peut que rendre la société future meilleure. La pédagogie est alors descendante, mais "affirme la caractère indispensable de l'expérience personnelle pour la formation du raisonnement et des connaissances" (page 130). Progressivement, et là encore grâce aux avancées de la psychologie de l'enfant, s'affirme le principe du "puérocentrisme", qui veut que "le maître suive l'élève plutôt que le programme" et "critique le système éducatif basé sur l'universalité du programme et sur l'autorité nécessaire pour la faire entrer dans les faits" (page145).
Cette affirmation, qui veut que chaque enfant progresse selon ses aptitudes, son rythme et ses appétences, conforme avec les notions d'épanouissement et de bien-être de l'enfant dont il est beaucoup question aujourd'hui, est cependant est totale contradiction avec l'ambition du système scolaire de lutte contre les inégalités. La sociologie de la reproduction souligne ce paradoxe d'une société voulant faire de l'école le creuset de l'égalité entre les individus en maintenant une pédagogie homogène entre des enfants issus de milieux hétérogènes, avec des bagages culturels si différents. On le voit dans nos collectivités aujourd'hui, combien il est difficile de franchir le pas de la discrimination positive et du renforcement des moyens pour les publics les plus défavorisés. Sans doute le contexte financier que connaissent aujourd'hui les Villes imposera ce type d'arbitrage.
Cahiers pédagogiques - CRAP |
Le chapitre 4 pose cette question de l'égalité. De quoi parle-t-on quand on évoque l'égalité ? Égalité de moyens, de résultats, égal accès à l'instruction, enseignement primaire d'abord, puis secondaire, unique, "atténuation des privilèges de naissance, élévation du niveau de tous, mobilité sociale, épanouissement personnel..." (page 176). Chacun parle aujourd'hui d'égalité des chances... mais chance de quoi ? D'apprendre, d'accéder à des postes valorisant et mieux rémunérés, de s'épanouir dans sa vie et son travail... ? Comment parler encore d'égalité quand, bien plus que la réussite scolaire, ce sont les héritages familiaux qui déterminent les parcours professionnels ? Peut-on craindre comme Condorcet "un égalitarisme mal compris qui pourrait conduire à abaisser le niveau d'instruction de telle sorte que celle-ci reste accessible à tous" ?
L'ouvrage aborde ensuite la question de la culture et la crise de sa transmission, la culture dite "classique" particulièrement, celles des cultures, de leur diversité et de ce qui doit faire sens commun. Il se termine avec le thème du civisme, de la citoyenneté et de la participation démocratique, de la morale républicaine que d'aucuns appellent de leurs vœux en ces temps de troubles, autant de sujets qui traversent les politiques publiques et mobilisent la communauté éducative.
"Mais ceux qui, dans la hiérarchie de l’Éducation ou parmi les parents d'élèves, profèrent des attaques répétées et globales contre "les enseignants" doivent savoir qu'ils détruisent ainsi la condition de l'effort qui est demandé à tout élève qui veut grandir : cette confiance qui lui permet, s'il ne voit pas le sens de ce qu'on lui propose, de s'en remettre à quelqu'un qui, lui, le connaît et s'en porte garant."
Un ouvrage particulièrement riche, qui éclaire les enjeux de politique publique en ce début de 21ème siècle. Un livre qui met les Politiques face à leur responsabilités : qu'attendent-ils de l’École ? Qu'attend-on de cette institution républicaine qui ne saurait être le remède exclusif à tous les maux de la Démocratie ? Un essai également comme un vrai plaidoyer en faveur de l’École et de ses enseignants. Mais il n'est pas que ça, loin de là : c'est une très juste réflexion de société, tellement d'actualité. C'est une vraie satisfaction de renouer avec les essais par ce titre.
Pour une philosophie politique de l'éducation de MC Blais, M Gauchet, D Ottavi.
Librairie Arthème Fayard, collection Pluriel, mars 2013. 303 pages.
Oh! Nous avons des lectures communes de jeunesse ;-) "Alice" <3
RépondreSupprimerSuperbe article sur un sujet si vaste, si conflictuel, si douloureux!
Je crois que l'école a beaucoup, et s'est beaucoup, perdue avec la "non" politique familiale qui est menée. Les frontières entre éducation et instruction sont devenues floues, chacun reste sur ses positions, on alloue moins de moyens mais plus de charges, tous se renvoient la balle et le nivellement par le bas va grandissant! Je le ressent au-travers de mes enfants.
Je vais essayer de lire cet essai bien vite car le sujet m'intéresse (et devrait intéresser tout un chacun!).
Blandine.
Merci. Et effectivement, cet ouvrage vaut le détour.
SupprimerIl a l'air très riche, en effet. J'adore tes illustrations.
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