Parce qu'il était hors de question de paraître aussi bête que nos Ministres qui ne connaissent rien aux auteurs contemporains reconnus par la communauté des "sachants", par ceux dont l'avis fait autorité... Bref, je me suis dit que, moi aussi, il fallait que je lise du Modiano.
Le rendez-vous du mois de mars du Blogoclub a scellé ma décision : je lirai Modiano pour le 1er mars. Oui, mais lequel ? Je suis tombée à plusieurs reprises sur des articles de blogueurs au sujet de ce titre : certains positifs, d'autres non. Le sujet m'intéressant a priori, et le dernier livre de l'auteur m'ayant été plutôt déconseillé, j'ai décidé de rencontrer l'auteur par cette voie.
Présentation de l'éditeur :
J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l'Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.
Ma lecture :
L'impression que m'a laissée ce texte est rare parce qu'inhabituelle. Sans être totalement ambigus, mes sentiments sur ce livre ont beaucoup évolué au fil des pages. Il m'a fallu m'approprier le style de l'auteur, et passer outre de nombreux a priori et réticences. Il me semble finalement que je n'ai pu affirmer mon point de vue sur ce texte qu'une fois la dernière page tournée.
Patrick Modiano utilise ici un style qui habituellement m'exaspère : prétextant raconter l'histoire d'un personnage, réel ou fictionnel, l'auteur se met en scène et parle de lui à la première personne du singulier. Dans ce livre, Modiano fait de nombreux parallèles souvent très audacieux, entre la vie de la jeune Dora Bruder dans le Paris de l'occupation et sa propre vie de jeune adolescent fugueur et mal dans sa peau, quelques 20 années plus tard. Ces rapprochements m'ont gênée, me paraissant inappropriés, voire irrespectueux de la souffrance de la jeune fille.
Les liens que fait Patrick Modiano entre sa vie et celle de Dora Bruder 20 ans plus tôt, sont nombreux. Ils tiennent aux lieux, un Paris que l'auteur connaît comme sa poche et apprécie visiblement. Ils tiennent également à leur âge, leur caractère aussi sans doute, à l'histoire du père de Patrick Modiano qui a vécu l'occupation de Paris aux mêmes moments et dans les mêmes lieux que Dora. Le lecteur déambule avec l'auteur dans le Paris des quartiers populaires, il observe la vie qui se déroule sous ses yeux des années 1940 aux années 1960 puis à l'orée du 21ème siècle. La ville a changé, mais sous la plume de Patrick Modiano, on retrouve à chaque carrefour une trace du passé. Comme si l'auteur regrettait cette évolution, de ne pas retrouver la ville de son adolescence. Cette posture aussi m'a un temps agacée, l'imaginant comme ces personnes qui trouvent que c'était toujours mieux avant, "de leur temps".
Et puis progressivement, je me suis laissée conduire dans cette quête d'un passé oublié. Même si l'auteur sait finalement peu de choses de Dora Bruder, il parvient à nous faire ressentir les dernières années de sa vie. Là encore, j'ai failli crier à l'imposture en début d'ouvrage, me rendant compte que l'auteur avait bien peu d'éléments concernant l'existence de Dora et de ses parents. Beaucoup de "peut-être" dans le récit de Modiano. Trop de suppositions... Mais toujours des hypothèses réalistes et historiquement documentées. Des conjectures qui naissent toujours d'un contexte historique et de l'expérience partagée par d'autres qui ont vécu ses heures sombres.
Finalement, Patrick Modiano se livre ici à un formidable exercice de mémoire sur cette époque terrifiante. A travers l'histoire de Dora Bruder, de son père, Ernest, et de sa mère, Cécile, Patrick Modiano rend un remarquable hommage aux nombreux anonymes disparus durant la seconde guerre mondiale. Il a pris le temps de chercher les traces de cette famille disparue et oubliée depuis 70 ans. A travers ce récit, il s'attarde sur de nombreux autres anonymes dont l'Histoire se souviendra seulement comme étant l'une des dizaines de millions de personnes tuées dans le monde au cours de ces 6 années. Pour l'auteur, ces anonymes retrouvent un nom et un prénom, une date et un lieu de naissance, une adresse que les parisiens reconnaîtront sans peine, un métier... en un mot, leur humanité.
Et quand Patrick Modiano semble regretter le Paris de l'occupation, ou celui des années 1960, il n'en est rien bien entendu. Ou du moins je le pense. C'est l'oubli qui accompagne cette évolution qui l'attriste. Les immeubles qu'il voit détruits, avec leur lambeaux de tapisserie exhibés à la vue des passants, sont des éléments de mémoire qui disparaissent, des noms que l'on ne prononcera plus, des destins oubliés, la mémoire d'une histoire effroyable qui s'éloigne peu à peu pour n'être plus qu'une somme de chiffres dans les manuels d'histoire. Avec ce livre, Patrick Madiano nous rapproche un instant de ces hommes et ces femmes qui vivaient dans le Paris de l'occupation, nous rapproche de ce qu'ont vécu nos grands-parents et qui semble déjà si lointain.
Un magnifique hommage à chacun et chacune des millions de morts de la seconde guerre mondiale.
D'autres avis, partagés, chez Mimi Pinson, Gambadou, Wictoria, Kitty la mouette, ou au café littéraire de Céline. Une lecture du Blogoclub.
Présentation de l'éditeur :
J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l'Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler.
Ma lecture :
L'impression que m'a laissée ce texte est rare parce qu'inhabituelle. Sans être totalement ambigus, mes sentiments sur ce livre ont beaucoup évolué au fil des pages. Il m'a fallu m'approprier le style de l'auteur, et passer outre de nombreux a priori et réticences. Il me semble finalement que je n'ai pu affirmer mon point de vue sur ce texte qu'une fois la dernière page tournée.
Patrick Modiano utilise ici un style qui habituellement m'exaspère : prétextant raconter l'histoire d'un personnage, réel ou fictionnel, l'auteur se met en scène et parle de lui à la première personne du singulier. Dans ce livre, Modiano fait de nombreux parallèles souvent très audacieux, entre la vie de la jeune Dora Bruder dans le Paris de l'occupation et sa propre vie de jeune adolescent fugueur et mal dans sa peau, quelques 20 années plus tard. Ces rapprochements m'ont gênée, me paraissant inappropriés, voire irrespectueux de la souffrance de la jeune fille.
"Vingt ans plus tard, je prenais souvent le métro à Simplon. C'était toujours vers dix heures du soir. La station était déserte à cette heure-là et les rames ne venaient qu'à de longs intervalles. Elle [Dora Bruder] aussi devait suivre le même chemin de retour, le dimanche, en fin d'après-midi." (Dora Bruder, Patrick Modiano, éditions Gallimard, Folio, page 45)
Les liens que fait Patrick Modiano entre sa vie et celle de Dora Bruder 20 ans plus tôt, sont nombreux. Ils tiennent aux lieux, un Paris que l'auteur connaît comme sa poche et apprécie visiblement. Ils tiennent également à leur âge, leur caractère aussi sans doute, à l'histoire du père de Patrick Modiano qui a vécu l'occupation de Paris aux mêmes moments et dans les mêmes lieux que Dora. Le lecteur déambule avec l'auteur dans le Paris des quartiers populaires, il observe la vie qui se déroule sous ses yeux des années 1940 aux années 1960 puis à l'orée du 21ème siècle. La ville a changé, mais sous la plume de Patrick Modiano, on retrouve à chaque carrefour une trace du passé. Comme si l'auteur regrettait cette évolution, de ne pas retrouver la ville de son adolescence. Cette posture aussi m'a un temps agacée, l'imaginant comme ces personnes qui trouvent que c'était toujours mieux avant, "de leur temps".
Dora Bruder (1926-1942) entre sa mère, Cécile et son père, Ernest. |
Et puis progressivement, je me suis laissée conduire dans cette quête d'un passé oublié. Même si l'auteur sait finalement peu de choses de Dora Bruder, il parvient à nous faire ressentir les dernières années de sa vie. Là encore, j'ai failli crier à l'imposture en début d'ouvrage, me rendant compte que l'auteur avait bien peu d'éléments concernant l'existence de Dora et de ses parents. Beaucoup de "peut-être" dans le récit de Modiano. Trop de suppositions... Mais toujours des hypothèses réalistes et historiquement documentées. Des conjectures qui naissent toujours d'un contexte historique et de l'expérience partagée par d'autres qui ont vécu ses heures sombres.
Finalement, Patrick Modiano se livre ici à un formidable exercice de mémoire sur cette époque terrifiante. A travers l'histoire de Dora Bruder, de son père, Ernest, et de sa mère, Cécile, Patrick Modiano rend un remarquable hommage aux nombreux anonymes disparus durant la seconde guerre mondiale. Il a pris le temps de chercher les traces de cette famille disparue et oubliée depuis 70 ans. A travers ce récit, il s'attarde sur de nombreux autres anonymes dont l'Histoire se souviendra seulement comme étant l'une des dizaines de millions de personnes tuées dans le monde au cours de ces 6 années. Pour l'auteur, ces anonymes retrouvent un nom et un prénom, une date et un lieu de naissance, une adresse que les parisiens reconnaîtront sans peine, un métier... en un mot, leur humanité.
"Monsieur le Directeur, Excusez-moi, si je me permets de m'adresser à vous, mais voici mon cas : le 16 juillet 1942, à 4h du matin, on est venu chercher mon mari et comme ma fille pleurait, on l'a prise aussi. Elle se nomme Paulette Gothelf, âgée de 14 ans 1/2 née le 19 novembre 1927 à Paris dans le 12è et elle est française..." (Dora Bruder, Patrick Modiano, éditions Gallimard, Folio, page 86)
Paulette Gothelf (19/11/1927 - 21/09/1942) |
Et quand Patrick Modiano semble regretter le Paris de l'occupation, ou celui des années 1960, il n'en est rien bien entendu. Ou du moins je le pense. C'est l'oubli qui accompagne cette évolution qui l'attriste. Les immeubles qu'il voit détruits, avec leur lambeaux de tapisserie exhibés à la vue des passants, sont des éléments de mémoire qui disparaissent, des noms que l'on ne prononcera plus, des destins oubliés, la mémoire d'une histoire effroyable qui s'éloigne peu à peu pour n'être plus qu'une somme de chiffres dans les manuels d'histoire. Avec ce livre, Patrick Madiano nous rapproche un instant de ces hommes et ces femmes qui vivaient dans le Paris de l'occupation, nous rapproche de ce qu'ont vécu nos grands-parents et qui semble déjà si lointain.
"Je me suis dit que plus personne ne se souvenait de rien. Derrière le mur s'étendait un no man's land, une zone de vide et d'oubli. Les vieux bâtiments des Tourelles n'avaient pas été détruits comme le pensionnat de la rue de Picpus, mais cela revenait au même." (Dora Bruder, Patrick Modiano, éditions Gallimard, Folio, page 131)
La caserne des Tourelles, 141 boulevard Mortier dans le 20e arrondissement. Paris. |
Un magnifique hommage à chacun et chacune des millions de morts de la seconde guerre mondiale.
Dora Bruder de Patrick Modiano.
Éditions Gallimard, Folio, 1997. 145 pages.
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D'autres avis, partagés, chez Mimi Pinson, Gambadou, Wictoria, Kitty la mouette, ou au café littéraire de Céline. Une lecture du Blogoclub.
Tu donnes vraiment envie de découvrir ce titre. Et la période de l'occupation m'intéresse. Modiano ne laisse personne indifférent, c'est très étonnant de lire les différents ressentis de lecture des participants.
RépondreSupprimerJe l'ai découvert en version audio (malheureusement abrégée mais très bien lue) et j'ai beaucoup aimé ce titre qui avait été ma première rencontre avec l'auteur. J'aime ses déambulations et son travail sur la mémoire.
RépondreSupprimerUn Modiano qui m'attend sur ma PAL.
RépondreSupprimerIl ne doit pas y rester ! A découvrir, assurément.
SupprimerJe l'ai lu quand j'étais ado et j'en garde un souvenir de flou. Mais j'étais très jeune, j'ai dû passer à côté de pas mal de choses.
RépondreSupprimerIl m'a fallu beaucoup de temps pour réellement apprécier ce texte. Il a fallu que je parvienne à oublier certaines postures de l'auteur qui me dérangeaient. Ce n'est qu'une fois le livre refermé (ou presque) que j'ai pu pleinement le savourer. Ce qui me reste de ma lecture est, finalement, le plus important.
SupprimerVoilà un auteur que je n'ai pas encore lu!
RépondreSupprimerJe te lis toujours régulièrement mais, chez moi, Blogspot ne me permet plus de laisser de coms. A l'école, ça fonctionne!
Bonne semaine.