05 novembre 2021

Milwaukee Blues - Louis-Philippe Dalembert

  

Depuis qu’il a composé le nine one one, le gérant pakistanais de la supérette de Franklin Heights, un quartier au nord de Milwaukee, ne dort plus : ses cauchemars sont habités de visages noirs hurlant « Je ne peux plus respirer ». Jamais il n’aurait dû appeler le numéro d’urgence pour un billet de banque suspect. Mais il est trop tard, et les médias du monde entier ne cessent de lui rappeler la mort effroyable de son client de passage, étouffé par le genou d’un policier.
Le meurtre de George Floyd en mai 2020 a inspiré à Louis-Philippe Dalembert l’écriture de cet ample et bouleversant roman. Mais c’est la vie de son héros, une figure imaginaire prénommée Emmett – comme Emmett Till, un adolescent assassiné par des racistes du Sud en 1955 –, qu’il va mettre en scène, la vie d’un gamin des ghettos noirs que son talent pour le football américain promettait à un riche avenir.
Son ancienne institutrice et ses amis d’enfance se souviennent d’un bon petit élevé seul par une mère très pieuse, et qui filait droit, tout à sa passion pour le ballon ovale. Plus tard, son coach à l’université où il a obtenu une bourse, de même que sa fiancée de l’époque, sont frappés par le manque d’assurance de ce grand garçon timide, pourtant devenu la star du campus. Tout lui sourit, jusqu’à un accident qui l’immobilise quelques mois… Son coach, qui le traite comme un fils, lui conseille de redoubler, mais Emmett préfère tenter la Draft, la sélection par une franchise professionnelle. L’échec fait alors basculer son destin, et c’est un homme voué à collectionner les petits boulots, toujours harassé, qui des années plus tard reviendra dans sa ville natale, jusqu’au drame sur lequel s’ouvre le roman.
La force de ce livre, c’est de brosser de façon poignante et tendre le portrait d’un homme ordinaire que sa mort terrifiante a sorti du lot. Avec la verve et l’humour qui lui sont coutumiers, l’écrivain nous le rend aimable et familier, tout en affirmant, par la voix de Ma Robinson, l’ex-gardienne de prison devenue pasteure, sa foi dans une humanité meilleure.

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Inutile de trop en dire sur ce nouveau roman de Louis-Philippe Dalembert puisque tout figure déjà sur cette longue quatrième de couverture : la référence au meurtre de Georges Floyd en mai 2020 à Minneapolis et l'indignation mondiale qui s'ensuivit. Mais la référence s'arrête là car le personnage du roman, Emmett, ne semble pas avoir vécu les épisodes troubles de Georges Floyd : pas de vols, de drogue, d'arrestations, de prison, de braquages, ou autres apparitions sulfureuses. Emmett est l'opposé de Georges Floyd, si ce n'est sa couleur de peau et sa mort tragique sous les genoux d'un policier blanc trop zélé.

Tour à tour, ceux qui ont côtoyés Emmett viennent nous raconter une partie de son histoire et qui il était. Emmett, ce brave garçon qui a frôlé le bonheur et la célébrité, avant de retomber dans la misère et l'anonymat. A travers le récit de sa vie, Louis-Philippe Dalembert nous raconte l'existence des habitants de Franklin Heights, banlieue pauvre de Milwaukee, où la violence le dispute à la misère, mais où l'honneur et la dignité sont la force des familles souvent éclatées par la pauvreté et les rêves d'un avenir meilleur. L'auteur nous fait également le récit de la discrimination aux Etats-Unis, qu'elle soit contre les Noirs mais aussi de toutes les autres minorités. Le discours, vers la fin du roman, du policier blanc mis à pied après "le décès du Noir" est tout à fait éloquent et témoigne du long chemin qu'il reste à parcourir vers l'égalité entre tous les êtres humains. Aux Etats-Unis comme ailleurs de par le monde.

J'aimerais pouvoir vous dire que j'ai aimé ce roman parce que les sujets abordés sont importants - la discrimination, les dégâts provoqués par les réseaux sociaux, la pauvreté, la protection de l'environnement - parce que la construction est très intéressante, permettant de suivre la vie d'Emmett par la voix de ceux qui l'ont connu, parce que le prêche de Ma Robinson est malheureusement brûlant d'actualité, et sans qu'il soit nécessaire d'aller regarder de l'autre côté de l'Atlantique...
Cependant, comme avec le précédent roman de Louis-Philippe Dalembert, Mur méditerranée, je suis restée en marge de ma lecture. Je ne suis pas parvenue à entrer pleinement dans le récit que j'ai souvent trouvé long et bavard, parfois savant. Comme dans Mur méditerranée, j'ai eu du mal à m'attacher aux personnages, à part peut-être à Nancy qui m'a touchée par son naturel et sa bienveillance. J'ai mis du temps à le lire, donnant un coup de collier à la moitié du roman pour en venir à bout (merci aux vacances). J'ai aussi finalement été gênée par ce lien entre Emmett, un garçon sans problèmes, et Georges Floyd, même si, comme il est dit dans le récit, rien ne justifie la mort d'un homme, ni ses erreurs ni son passé.
Emmett ne souffrait d'aucune pathologie grave susceptible d'entraîner sa mort. Non, il ne se droguait pas. Et quand bien même, cela faisait-il de lui un sans-droits ? Méritait-il qu'on lui enlève la vie dans ces circonstances ?
Un avis plutôt mitigé de ma lecture, malgré des sujets brûlants et une construction digne d'intérêt.

Milwaukee Blues - Louis-Philippe Dalembert
Sabine Wespieser Editions - août 2021 - 300 pages


 Des avis plus enthousiastes chez Kitty la mouette, Pamolico ou encore Instantanés futiles.






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