"La porte du voyage sans retour" est le surnom donné à l'île de Gorée, d'où sont partis des millions d'Africains au temps de la traite des Noirs. C'est dans ce qui est en 1750 une concession française qu'un jeune homme débarque, venu au Sénégal pour étudier la flore locale. Botaniste, il caresse le rêve d'établir une encyclopédie universelle du vivant, en un siècle où l'heure est aux Lumières. Lorsqu'il a vent de l'histoire d'une jeune Africaine promise à l'esclavage et qui serait parvenue à s'évader, trouvant refuge quelque part aux confins de la terre sénégalaise, son voyage et son destin basculent dans la quête obstinée de cette femme perdue qui a laissé derrière elle mille pistes et autant de légendes.
S'inspirant de la figure de Michel Adanson, naturaliste français (1727-1806), David Diop signe un roman éblouissant, évocation puissante d'un royaume où la parole est reine, odyssée bouleversante de deux êtres qui ne cessent de se rejoindre, de s'aimer et de se perdre, transmission d'un héritage d'un père à sa fille, destinataire ultime des carnets qui relatent ce voyage caché.
Après la mort de son père, le botaniste Michel Adanson, sa fille Agalé découvre ses carnets testament cachés dans un coffret qu'elle seule était en mesure de découvrir. Dans ce témoignage, le père souhaite faire connaître à sa fille un épisode de sa vie alors qu'il était au Sénégal pour un travail d'étude botanique. Ce père qui a réussi à lui transmettre sa passion pour la botanique était aussi un père absent, séparé de la mère d'Aglaé, totalement envoûté par son travail et son rêve narcissique de réaliser une encyclopédie du vivant. Mais si ce père vivait un peu en marge de sa famille et de la société, c'est surtout en raison de cet épisode de sa vie sur lequel revient le roman, de sa rencontre avec une jeune africaine, Maram, dont il tomba amoureux, et avec le jeune Ndiak qui fut son seul vrai ami.
Ce récit est celui d'une rencontre entre deux hommes, et entre un homme et une femme, à une époque où de telles relations sont contre-nature. Dans ce XVIIIème siècle de la traite des populations africaines, hommes, femmes et enfants sont embarqués vers l'Amérique après avoir et été enlevés par les tribus voisines et remis aux blancs des concessions françaises ou anglaises. Le regard porté par Michel Adanson sur ces populations à la rencontre desquelles il va pour renforcer ses connaissances de naturaliste, est troublant. Il mêle à la fois une perception de son époque dans laquelle perdure une certaine distance et un regard très scientifique de ces peuples autochtones, avec une proximité née du temps passé dans ces villages et notamment avec le jeune Ndiak mis à sa disposition le temps de son séjour.
Dans ce récit, David Diop démontre avec talent et subtilité combien l'ignorance et la méconnaissance des autres peuvent conduire au mépris et ont autorisé la pratique de l'esclavage. L'intérêt pour la rencontre entre cultures, la bienveillance et l'intérêt tout scientifique qu'il a pu leur porter dans un premier temps ont permis à Michel Adanson de s'attacher à ces tribus africaines, à Ndiak et Maram surtout.
Par la vision qu'il porte sur son époque, sur la nature qui l'entoure ou sur ces terres inconnues, par son goût de la découverte et de l'aventure, son intérêt très ethnographique pour les êtres humains quels qu'ils soient, sa remise en cause de l'esclavage... David Diop fait de Michel Adanson un homme moderne. Difficile de savoir ce qui relève de la réalité ou de la légende dans ce récit qui nous emporte dans une aventure où la violence se mêle au fantastique et aux légendes.
Si les nègres sont esclaves, je sais parfaitement qu’ils ne le sont pas par décret divin, mais bien parce qu’il convient de le penser pour continuer à les vendre sans remords.
Une lecture plaisante mais des personnages auxquels j'ai eu du mal à m'attacher, ce qui fait sans doute que je suis restée un peu trop à distance de ce récit. Je ne suis pas sûre de garder longtemps souvenir de cette histoire.
La porte du voyage sans retour - David Diop
Editions du Seuil - 19 août 2021 - 320 pages
D'autres avis chez Sylire, Sur la route de Jostein, La culture dans tous ses états, ou encore Baz'art.
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