16 avril 2020

Trump - Alain Badiou

 

Les esprits éclairés aiment à se moquer de Donald Trump. Il serait le symbole d'une forme de stupidité politique qui n'attendrait que le réveil des gens de bonne volonté pour s'évanouir comme un mauvais rêve. Mais rien n'est plus faux. Plutôt qu'un symbole, Trump est un symptôme : celui de la disparition progressive de la politique dans un gigantesque processus d'unification, où les camps en apparence les plus hostiles se tiennent en réalité la main. Pour en finir avec Trump, c'est cette disparition qu'il convient de combattre, en restaurant les possibilités d'une opposition qui résiste au consensus fondamental de notre temps. Ce consensus porte un nom : capitalisme démocratique.

*****

J'ai découvert Alain Badiou à l'occasion d'un cycle de conférences ouvert à tous, qu'il donnait il y a 20 ans à Paris. J'avais adoré ces moments que je suivais sans être une de ses élèves, juste pour ma culture générale. J'ai pu retrouver ce plaisir quelques années après en suivant assidûment les leçons de Michel Onfray à l'Université Populaire de Caen, sur France Culture. Je regrette d'ailleurs qu'en cette période de confinement, les médias ne nous offrent pas ce genre de moments culturels.

Bref, après avoir lu "De quoi Sarkozy est-il le nom", que j'avais beaucoup aimé, puis "L'antisémitisme partout - aujourd'hui en France" qu'il a écrit avec Eric Hazan, un petit livre courageux, combatif et constructif, je retrouve avec plaisir les petits écrits d'Alain Badiou. Cet ouvrage de 90 pages réunit en fait deux interventions de l'auteur aux Etats-Unis, juste après l'élection de Trump, puis une petite analyse de l'état du monde 3 ans après cette élection.

Comme souvent avec Badiou, le ton est parfois un peu extrême et polémique. Je ne partage pas toujours cette tonalité un peu moqueuse et parfois méprisante : car malgré tout, ce n'est pas le système qui a voté pour Trump, mais ce sont bien les américains. Et on ne peut pas faire comme si ce choix était méprisable.

A part cela, je trouve toujours que le regard que porte Alain Badiou sur le monde est très pertinent et instructif. J'ai malheureusement l'impression de toujours lire un peu la même chose et que malgré les années, le monde ne change pas.

Dans ce livre, le propos de Badiou porte sur notre démocratie et notre système politique qui est capable de porter au pouvoir des hommes comme Trump, Berlusconi ou Bolsonaro, ou encore Sarkozy. Badiou place ces hommes du côté des gangsters, soit au sens des chefs de gang, soit au sens de voyous, sexistes, racistes et vulgaires. Ce qui m'a intéressé ici, c'est l'analyse de cette arrivée au pouvoir de tels personnages. Nous sommes parvenus selon lui dans un monde qui veut nous faire croire qu'il n'y a aucune alternative au capitalisme global que la grande majorité des êtres humains subit dans la misère et la souffrance. Il pointe le fait que le débat politique s'est déplacé sur la droite de l'échiquier et que finalement ce sont des tempéraments qui s'affrontent et non plus des stratégies différentes : toutes les alternatives lors des élections recrutent dans un même camp, celui de la défense du système capitalisme dans toute sa violence.

Alain Badiou propose une alternative et nous invite à penser le monde et les propositions qui nous sont faites à l'aune de 4 principes non négociables :
  •  Il n'est pas obligatoire, contrairement à ce qu'on nous serine à longueur de discours et de flashs d'information, qu'une organisation sociale soit fondée sur la propriété privée et les inégalités monstrueuses qui en découlent ;
  •  Il faut travailler à faire disparaître l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel : là encore, on perçoit bien qu'il y a une incohérence à établir une hiérarchie entre les travailleurs, mais que nous sommes bien loin de la voir disparaître ;
  •  Il n'est pas non plus nécessaire que les humains soient séparés par des frontières, qu'elles soient nationales, raciales, religieuses ou sexuelles (entre autres) ;
  •  Tout ce qui concerne la vie des gens et leur avenir doit pouvoir être discuté de manière appropriée avec les gens eux-mêmes.
Vous l'aurez reconnu, et Alain Badiou ne s'en est jamais caché, ces propositions défendent un monde "communiste", qu'il assume même s'il reconnait que ce mot a souvent été historiquement corrompu.

Je ne sais quel mot il faudrait utiliser, mais il est certain qu'un monde où 267 personnes possèdent autant d'argent que 7 milliards d'autres ne peut satisfaire personne. Un monde où des gens dorment dans la rue, errent à travers le monde à la recherche de travail ou d'une vie meilleure, tandis qu'une poignée d'autres ne savent pas comment dépenser leur fortune au point d'acheter des œuvres d'art des centaines de millions d'euros… ne peut pas faire rêver l'humanité. Ne le devrait pas. Jamais l'écart entre les plus riches et le reste de l'humanité n'a été aussi abyssal. Comment entendre encore ces politiques et ces journalistes qui nous rabâchent à longueur de journée qu'aucun autre système n'est possible, qu'il faut relancer la croissance, que les pauvres seront moins pauvres à mesure que les riches s'enrichiront… !

"Ce type de personnage présidentiel, nous savons qu'il se répand aujourd'hui dans le monde, mettant à profit la contradiction centrale dont nous sommes les contemporains accablés : la contradiction entre une oligarchie transnationale qui contrôle le processus d'accumulation et de concentration du Capital, et un pouvoir politique, chargé de soumettre les peuples à ce processus planétaire, mais qui s'exerce encore, pour l'essentiel, au niveau étroit des nations."

Ce que nous vivons aujourd'hui, confinés dans nos chez nous, est révélateur de ce monde que nous mettons en danger dans une course effrénée à la possession, à l'argent et au pouvoir. Combien parions-nous que malgré tous leurs beaux discours, nos dirigeants repartirons de plus belle dans la mondialisation.

"La menace terrible est que devienne évidente, pour tout le monde, la remarque de Marx, faite il y a presque deux siècles : les gouvernements "démocratiques" ne sont composés que de fondés de pouvoir du Capital."

Je m'arrête ici car je ne voudrais pas écrire plus de mots dans ce billet qu'il n'y en a dans le livre de Badiou : lisez-le plutôt ! Je suis toujours très surprise que ce type de discours et de points de vue ne diffuse pas plus : ils offrent une vraie alternative au monde qui est aujourd'hui le nôtre. Même s'ils ne sont pas non plus parfaits, ils ont le mérite de placer l'humanité au cœur de la réflexion. Je regrette surtout que les médias ne fassent pas leur travail et ne stimulent pas la réflexion et l'ouverture d'esprit dans leur public. La réflexion et la confrontation sont rafraichissantes, quand elles portent sur des alternatives réelles et essentielles, ce qui n'est malheureusement plus le cas dans nos médias où l'on recycle les mêmes débats creux au fil des émissions.

"Je pense que nous devons absolument trouver quelque chose qui se situe du côté de l'universalité et de l'égalité, que nous devons créer quelque chose de neuf. Nous ne pouvons plus répéter, nous devons inventer."

A vous de me dire ce que vous avez pensez de cet ouvrage paru en janvier 2020, car j'ai trouvé bien peu de billets à travers les blogs.

Trump - Alain Badiou
Editions PUF - janvier 2020 - 90 pages


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire