J'avais lu quelques critiques plutôt élogieuses de ce nouveau roman d'Eric Plamandon. J'ai hésité à l'acheter pour l'anniversaire de ma maman, la quatrième de couverture annonçant un récit qui devait lui plaire. Finalement, je l'avais laissé dans le rayon, craignant qu'elle l'ai déjà. Mais quand j'ai vu que Lise&Moi recevaient l'auteur cette semaine, je me le suis offert. Les libraires ont le don de vous faire découvrir de beaux récits, et des auteurs sympathiques. La dernière fois que j'ai assisté à une rencontre littéraire chez elles, c'était avec Colin Niel et la Guyane. Cette fois-ci, ce sera direction le Québec et la réserve de Ristigouche. Une nouvelle occasion de découvrir d'autres univers et des pages peu glorieuses de l'histoire de l'Homme blanc.
Taqawan de Eric Plamandon.
Éditions Quidam, janvier 2018, 196 pages.
Présentation de l'éditeur :
« Ici, on a tous du sang indien et quand ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. »
Le 11 juin 1981, trois cents policiers de la sûreté du Québec débarquent sur la réserve de Restigouche pour s’emparer des filets des Indiens mig’maq. Emeutes, répression et crise d’ampleur : le pays découvre son angle mort.
Une adolescente en révolte disparaît, un agent de la faune démissionne, un vieil Indien sort du bois et une jeune enseignante française découvre l’immensité d’un territoire et toutes ses contradictions. Comme le saumon devenu taqawan remonte la rivière vers son origine, il faut aller à la source…
Histoire de luttes et de pêche, d’amour tout autant que de meurtres et de rêves brisés, Taqawan se nourrit de légendes comme de réalités, du passé et du présent, celui notamment d’un peuple millénaire bafoué dans ses droits.
Ma lecture :
Que de sujets évoqués dans ce livre ! Reprenant les codes du polar, l'auteur nous invite à découvrir un pays, celui de Listuguj, une réserve indienne du Gouvernement mi'gmaq située en Gaspésie au Québec (Canada). De nombreux récits s'entrecroisent, sans jamais alourdir la lecture.
L'intrigue se déroule sur fond d'affrontements entre les habitants de la réserve de Restigouche et les autorités québécoises. Nous sommes en 1981 et la police effectue deux descentes sur le territoire afin de confisquer les filets de pêche de la population autochtone. Les droits de pêche font partie des droits ancestraux décrétés par le gouvernement fédéral, et pourtant les filets sont interdits et des pêcheurs incarcérés. La rivière de Ristigouche est réputée comme rivière à saumons et fait des envieux. Les riches américains d'abord, qui en ont privatisé certaines portions avant qu'elles ne soient rendue à la population autochtone. Eric Plamondon nous informe que les Mi’gmaq pêchaient six tonnes de saumons par an, tandis qu'à l'est du Canada, ceux qui pratiquent la pêche sportive en recueillent huit cents tonnes, et les bateaux-usines en pêchent trois mille tonnes. C'est pourtant aux Mi'gmaq que l'ont confisque les filets de pêche.
La base historique du récit est véridique : et ça j'adore. J'aime ces récits qui mêlent la fiction à l'histoire, et là, j'ai été servie. Outre ce fait historique de 1981, l'auteur revient sur l'histoire de cette portion au nord-est du Canada, de son peuplement originel à l'arrivée des Vikings, de l'invasion par les français à leur défaite face aux anglais. Il revient sur les relations politiques entre le Canada et le Québec, sur leurs relations avec les Etats-Unis... Le volet historique est particulièrement riche.
Mais Eric Plamondon n'en néglige pas pour autant son intrigue, qui réunit une jeune mi'gmaq agressée par des policiers blancs, un agent du parc qui a démissionné après les premières descentes policières, une jeune institutrice française fraîchement débarquée de Bordeaux, et un vieil indien vivant en ermite au cœur de la forêt. Tous trois vont aider la jeune fille à se remettre de cette agression et la défendre face à la barbarie de l'Homme blanc. C'est peut-être l'aspect qui m'a le plus gêné dans ce récit... La présentation binaire de l'Histoire, où la population autochtone est systématiquement infantilisée, déchue de ses droits les plus élémentaires, agressée voire assassinée, par une population blanche belliqueuse et soucieuse uniquement de ses profits. L'institutrice et l'ancien garde forestier adoucissent un peu cette image, mais pèsent bien peu dans le portrait qui nous est fait des populations qui se font face sur ce territoire. Mais finalement, l'Histoire donne sans doute raison à l'auteur... et c'est bien là le plus tragique.
Voici un livre dense, qui se lit pourtant avec fluidité, même si certains aspects historiques sont plus difficiles à appréhender pour un lecteur européen ignorant de la vie politique canadienne et des luttes qui opposent ces populations.
Une très belle découverte de cette rentrée littéraire de l'hiver 2018, et l'occasion de regarder un peu ce qui se passe ailleurs.
Je vous invite à lire les avis, tous enthousiastes, de Mots pour mots, Encore du noir, Tilly, Leatouchbook, ou encore chez Mimipinson.
Et pour les nantais, rendez-vous ce jeudi 12 avril à la librairie Lise&moi pour une rencontre avec l'auteur.
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