Je vous suggère cette lecture très forte pour célébrer dignement cette date du 20 mars, retenue pour être la Journée internationale de la Francophonie. Je ne sais pas bien ce qui m'a tenue éloignée de ce livre si longtemps puisque cela faisait un moment que je tournais autour. Mais dès les premières pages, j'ai su que je ne regretterai pas cette lecture. Pour l'écriture d'abord, vive et pleine de fraîcheur, pour l'humour qui se dégage de ces mots, leur poésie et leur sensibilité aussi. Pour le récit enfin, témoignage saisissant de la distance qui sépare l'Europe et l'Afrique, où la première apparaît comme l'Eldorado mais se révèle aussi bien sombre à ceux qui osent franchir les océans.
Le ventre de l'Atlantique - Fatou Diome.
Le Livre de Poche, septembre 2015, 255 pages.
Présentation de l'éditeur :
Salie vit en France. Son frère, Madické, rêve de l'y rejoindre. Mais comment lui expliquer la face cachée de l'immigration, lui qui voit la France comme une terre promise où réussissent les footballeurs sénégalais, où vont se réfugier ceux qui, comme Sankèle, fuient leur destin tragique ? Les relations entre Madické et Salie nous dévoilent l'inconfortable situation des " venus de France ", écrasés par les attentes démesurées de ceux qui sont restés au pays et confrontés à la difficulté d'être l'autre partout. Distillant leurre et espoir, ce premier roman, sans concession, est servi par une écriture pleine de souffle et d'humour.
Ma lecture :
"Je ne cours pas les vedettes et les étoiles ne brisent pas ma nuque. Ma grand-mère m'a très tôt appris comment cueillir les étoiles : la nuit, il suffit de poser une bassine d'eau au milieu de la cour pour les avoir à ses pieds." (Le ventre de l'Atlantique, Fatou Diome, Le Livre de Poche, septembre 2015, page 12)
Ce premier roman de Fatou Diome est le récit saisissant de ceux qui rêvent de fuir la misère africaine pour devenir les symboles de la réussite à l'européenne. Un texte réaliste, qui montre à merveille l'ambiguïté de cet exil de la misère : l'ambivalence de ces migrants qui refusent de révéler à ceux qui sont restés au pays une réalité loin d'être aussi belle que ce que l'on en raconte, loin de ce que la télévision en laisse voir.
Ici, c'est Salie qui est partie en Europe voilà 10 ans déjà. Elle est la narratrice de cette histoire. Elle pose un regard cru et douloureux sur la situation de ces migrants qui peinent à trouver leurs repères dans une Europe du chacun pour soi et de la performance, et qui perdent en même temps la sécurité de leur vie d'avant, quand ils étaient reliés physiquement à leurs racines, aux lieux et aux odeurs de leur enfance.
Et c'est bien cette réalité cruelle qui fait la richesse de ce récit, servie par la langue de Fatou Diome qui nous transporte dans ces univers, en Europe et en Afrique, où la misère et l'espoir sont les denrées les mieux partagées. Quand elle revient au pays, Salie, comme tous les expatriés, est assaillie par ses amis, sa famille, ses voisins et tous les gens du village, qui réclament présents et argent comme un dû. Sauf que les conditions de vie ne sont pas pour ces exilés, on le sait bien, l'Eldorado qu'ils avaient imaginé. Impossible pourtant d'éclairer ceux qui attendent tout de vous pour survivre : ils ne vous croiraient pas, persuadés que vous voulez garder vos richesses pour vous. Il n'est pas possible non plus de faire venir simplement frères et sœurs en Europe, quand on connaît la réalité de la vie sur place, entre foyers Sanacotra, privations et solitude.
"Puisque tu ne veux pas m'aider, laisse-moi faire. Tu es devenue une Européenne, une individualiste. Un gars du village revenu de France dit que tu réussis très bien là-bas, que tu y as publié un bouquin. Il jure qu'il t'a même vue à la télé. Des gens disent ici qu'un journal de chez nous a aussi écrit des choses à propos de ton livre. Alors, avec tout le fric que tu gagnes maintenant, si tu n'étais pas si égoïste, tu m'aurais payé le billet, tu m'aurais fait venir chez toi." (Le ventre de l'Atlantique, Fatou Diome, Le Livre de Poche, septembre 2015, page 159)
On sait bien pourtant, que publier un livre n'empêche pas de subir la précarité, et que tous les africains arrivés sur le sol européen ne deviennent pas les stars multimillionnaires du football qu'ils voient à la télévision. Sacro sainte télé, qui alimente les rêves de ceux qui ne sont pas encore partis, et qui leur donne une image déformée de la réalité vécue par ceux qui ont tenté leur chance. Quel drame.
Il n'y a aucun jugement de la part de l'auteur dans ce texte, juste, sans doute, le sentiment d'un gâchis, d'un côté comme de l'autre de la méditerranée, pour cette jeunesse à qui l'on vole ses rêves et qui ne trouvera nulle part les conditions de son épanouissement.
Ile Niodior - Sénégal (www.salysenegal.net) |
Un très beau texte, soutenu par la langue riche, poétique et pleine d'humour de Fatou Diome. Une belle contribution pour ce rendez-vous de la Francophonie.
Je vous invite à aller lire l'avis de La plume francophone.
Une très belle plume francophone, alors.
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