Changer : méthode - Edouard Louis

   

" Une question s'est imposée au centre de ma vie, elle a concentré toutes mes réflexions, occupé tous les moments où j'étais seul avec moi-même : comment est-ce que je pouvais prendre ma revanche sur mon passé, par quels moyens ? J'essayais tout. " E.L.

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Après ma découverte d'Edouard Louis avec son premier récit autobiographique En finir avec Eddy Bellegueule, j'ai voulu poursuivre ma rencontre avec celui qui était devenu Edouard Louis. Dans son dernier récit autobiographique, l'auteur nous offre une méthode de transformation. Chapitre après chapitre, étape après étape, il témoigne de sa transformation, de son arrachement à son ancienne vie et des efforts qu'il a dû fournir pour s'enraciner dans la nouvelle personne qu'il souhaitait devenir.

Après avoir découvert la souffrance qu'a été l'enfance du jeune Eddy, on comprend l'acharnement que l'auteur a mis à changer de vie et à s'éloigner toujours plus de la famille et du village qui l'ont vu naître et grandir. Au fil des chapitres, l'auteur nous donne la méthode pour changer de vie : s'éloigner géographiquement d'abord, toujours plus loin, à Amiens, la grande ville du coin, puis Paris, l'Europe et le monde entier. S'éloigner culturellement, par les études mais aussi par les rencontres. S'éloigner socialement, et financièrement, grâce aux petits boulot puis aux rencontres choisies qui donnent aussi l'aisance financière. S'éloigner en changeant d'apparence, vestimentaire d'abord puis par la transformation physique (la dentition, les cheveux, le visage...). Et changer enfin, de prénom et de nom.

Ce sont toutes les étapes de sa transformation qu'Edouard Louis partage avec son lecteur parfois mal à l'aise devant tant de rejet. Particulièrement lors des rencontres comme avec Elena et sa famille, qui lui ont tant apporté culturellement mais également humainement, mais qu'il a fini par délaisser pour s'échapper encore plus loin. De la même manière, le lecteur s'interroge sur les rencontres amoureuses de l'auteur : étaient-ce réellement des sentiments ou un moyen de s'échapper et de grimper encore plus haut dans l'échelle sociale ? On peut imaginer, comme le dit Edouard Louis lui-même, qu'il était plutôt attiré par des hommes qui lui offraient cet échappatoire et une assurance financière qui lui a toujours manquée dans son enfance et son adolescence.

Durant une grande partie du livre j'ai eu cette impression, comme les personnes dont l'auteur parle au fil de son récit, qu'il utilisait ces hommes et ces femmes, pour arriver à ses fins et atteindre la reconnaissance et l'indépendance financière auxquelles il aspirait tellement. Mais les derniers chapitres du livre, qui renvoient notamment à sa petite enfance et m'ont rappelé ce que j'ai pu lire dans son premier récit, expliquent avec tellement de force et de violence la nécessité de ce parcours et de cette rupture. J'ai compris à quel point il était impossible pour ce jeune homme de garder des liens avec les étapes précédentes de sa vie, à quel point il était nécessaire pour lui de s'échapper toujours plus et plus loin de ses origines. Pour s'en affranchir et trouver sa propre voie/voix. Pour prendre sa revanche sur tous ceux qui l'ont mis à l'écart et réussir là où les autres n'auraient pas imaginé s'aventurer.

Est-ce que je suis condamné à toujours espérer une autre vie ?

Ce que je lui souhaite désormais, une fois ce dernier livre refermé, c'est de pouvoir lire dans son prochain livre autre chose qu'une biographie. Je lui souhaite de pouvoir s'en affranchir, de pouvoir quitter ce passé qui le ramène toujours à l'enfance. Comme il semble vivre pleinement et sereinement son homosexualité, je lui souhaite de parvenir enfin à accepter celui qu'il est devenu mais surtout, faire la paix avec l'enfant qu'il a été. Dans les dernières pages de son livre, on le sent plus proche de sa famille. Pour ma part, je lui souhaite de pouvoir faire la paix avec elle et avec le village qui l'a vu grandir, qui font tous deux partie de lui et qui ont contribué à faire de lui ce qu'il est devenu aujourd'hui. Ne pas pardonner la violence et la haine, mais l'accepter et vivre en paix avec toute cette histoire et ce parcours. Peut-être pour pouvoir en faire, comme Didier Eribon, son mentor et ami, et autre transfuge de classe, un matériaux d'étude ou artistique. Son expérience de l'homosexualité par exemple, et l'image assumée et grandement partagée semble-t-il, qu'il en donne est très intéressante. J'ai découvert tout un univers à travers ce livre, dont le témoignage serait, je pense, très utile à de nombreux jeunes gens qui peuvent se sentir seuls dans leur famille ou leur entourage.

Je pense que je voulais changer pour me libérer et que j'aurais pris n'importe quelle issue pour m'enfuir.

Je suis curieuse de découvrir quel sera le sujet du prochain livre d'Edouard Louis.

Et pour comprendre pourquoi Edouard Louis n'écrira sans doute pas autre chose que de l'autobiographie, je vous invite à écouter l'interview que je découvre à l'instant. Passionnant. Un discours qui montre combien ce que je viens d'écrire dans le dernier paragraphe de ce billet est à côté de la plaque... et c'est très bien !

D'autres avis sur Au fil des images, ou Lire au lit. et Double marge.

Changer : méthode - Edouard Louis

Edition du seuil, septembre 2021, 336 pages