19 février 2022

Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! - Eliane Viennot

   

Le long effort des grammairiens et des académiciens pour masculiniser le français a suscité de vives résistances chez celles et ceux qui, longtemps, ont parlé et écrit cette langue sans appliquer des règles contraires à sa logique. La domination du genre masculin sur le genre féminin initiée au XVIIe siècle ne s’est en effet imposée qu’à la fin du XIXe avec l’instruction obligatoire. Depuis, des générations d’écolières et d’écoliers répètent inlassablement que « le masculin l’emporte sur le féminin », se préparant ainsi à occuper des places différentes et hiérarchisées dans la société.
Ce livre retrace l’histoire d’une entreprise à la misogynie affirmée ou honteuse, selon les époques. Riche en exemples empruntés aux deux camps, il nous convie à un parcours plein de surprises où l’on en apprend de belles sur la « virilisation » des noms de métier, sur les usages qui prévalaient en matière d’accords, sur l’utilisation des pronoms ou sur les opérations « trans-genre » subies par certains mots.

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Une lecture en entraînant une autre... c'est le dernier ouvrage de Titiou Lecoq, Les Grandes oubliées, qui m'a conduite vers les livres d'Eliane Viennot, professeure émérite de littérature française de la Renaissance et membre de l'institut universitaire de France. Titiou Lecoq, et aussi la petite chronique de Laélia Veron dédiée à l'Académie française entendue pendant les vacances sur France Inter. Un second livre d'Eliane Viennot m'attend d'ailleurs dans ma bibliothèque, L'Académie contre la langue française. Sur ce sujet, je vous invite d'ailleurs à écouter une vidéo du site Linguisticae dédiée à l'Académie... exaspérant !

Bref, j'ai commencé ma découverte de cet univers semble-t-il rétrograde, conservateur et misogyne avec ce petit ouvrage de 128 pages. L'autrice fait un retour historique sur l'évolution de la langue française au cours des siècles et sur le combat mené par certains hommes de pouvoir pour la masculiniser. J'ai découvert dès les premières pages que le combat des femmes pour défendre leur place, dans la société comme dans la langue française, ne date pas d'hier. Celui-ci a cependant dû s'intensifier avec l'apparition de l'imprimerie et tous les efforts de normalisation de la langue et de manière plus forte encore avec la création de l'Académie française par le Cardinal Richelieu en 1635.

Dans cet ouvrage, Eliane Viennot nous apprend la place et le succès qu'ont toujours eu les femmes en littérature. Or, comme nous le rappelle aussi Titiou Lecoq, l'Histoire écrite par les hommes, et diffusée dans les écoles (d'abord réservées aux garçons) n'a eu de cesse d'essayer d'effacer les femmes du récit historique national. Qui se souvient aujourd'hui du succès de la princesse Marguerite de France (la Reine Margot) dont les Mémoires ont été désignés alors par l'Académie comme étant l'un des meilleurs ouvrages de son temps (seul livre écrit par une femme à jouir de cet honneur nous apprend l'autrice) ? De cette époque, personne n'a cependant oublié (ni manqué de les étudier à l'école...) Molière, La Fontaine, Racine, Charles Perrault, Corneille, Pascal... On se souviendra en parallèle du mépris d'un ancien président de la République française envers le best-seller du XVIIème siècle que fût La princesse de Clèves de Madame de la Fayette.

Eliane Viennot nous rappelle ensuite que la Grammaire du XVIIème mentionnait très logiquement que
"tout nom concernant office d'homme est de genre masculin, et tout nom concernant la femme est féminin, de quelque terminaison qu'ils soient."
Ainsi existait-il alors des duchesses, barbières, apprentisses, officières, artificières, poétesses, peintresses, inventrices ou autrices... sans que quiconque ne s'en offusque. Il y avait alors une certaine logique à la langue française, ainsi qu'une cohérence avec l'étymologie latine des noms. Même au début de l'Académie française, ces termes ne gênent personne.

Mais, un peu plus tard, à l'époque où la citoyenne ne peut être que la femme du citoyen, sans être elle-même vraiment "citoyen", l'autrice disparaît peu à peu.
Si l'on ne dit pas une femme autrice, c'est qu'une femme qui fait un livre est une femme extraordinaire ; mais il est dans l'ordre qu'une femme aime les spectacles, la poésie, etc. comme il est dans l'ordre qu'elle soit spectatrice. (Louis-Sébastien Mercier - 1801)

Pas plus que la langue française, la raison ne veut que la femme soit auteur. Ce titre, sous toutes ses acceptions, est le propre de l'homme seul. (Sylvain Maréchal - 1801) 

Si aujourd'hui, la langue française et la grammaire sont devenues pour nous des habitudes langagières, on perçoit très bien dans cette histoire de la langue française combien le français du XXIème siècle est le résultat d'une volonté politique et sociale visant à mettre la femme dans une position d'infériorité par rapport à l'homme jugé plus noble. D'où la nouvelle règle de grammaire apparu au XVIIIème siècle qui veut que le masculin l'emporte sur le féminin. La querelle qui s'ensuivit en témoigne. Ainsi, une requête des dames à l'Assemblée nationale datant de 1792 demande que
Le genre masculin ne sera plus regardé, même dans la grammaire, comme le genre le plus noble, attendu que tous les genres, tous les sexes et tous les êtres doivent être et sont également nobles.
Car cette règle qui voudrait que le masculin l'emporte sur le féminin ne date que du milieu du XVIIème siècle, à une époque où des hommes militaient pour faire reconnaitre le genre masculin comme étant plus noble que le féminin, et à été entérinée dans les règles de grammaire par l'Académie française.

Et alors, comment gérait-on les accords des adjectifs et des participes passés ? Par la simple règle des accords de proximité. Ainsi, longtemps encore après que cette nouvelle règle ait été édictée par quelques-uns en mal de reconnaissance, le peuple et les écrivain.es ont continué à utiliser cet accord de proximité. En 1691 par exemple, Racine écrivait dans Athalie : "Surtout j'ai cru devoir aux larmes, aux prières, Consacrer ces trois jours et ces trois nuits entières."

Les 128 pages de ce petit livre témoignent avec force combien les discours des académiciens et autres conservateurs pour maintenir une soi-disant règle de grammaire immuable de la langue française ne sont en fait qu'un des exemples d'un combat pour maintenir des règles d'une société élitiste et misogyne.

Le dernier chapitre sur les enjeux actuels de la langue est également très révélateur et d'une très grande richesse, faisant la liste de solutions qui permettraient de rendre la langue plus égalitaire et accessible. J'ai découvert également que depuis la fin de la seconde guerre mondiale,
la plupart des pays, y compris de langues romanes, ont adopté human, ou les mots fondés sur cette racine [pour que les droits de la déclaration universelle adoptée par les Nations Unies ne concernent pas que les hommes] : on dit derechos humanos en espagnol, diritti humani en italien, drets humans en catalan. Le Québec, lui, a préféré droits de la personne humaine. Il n'y aura bientôt plus que la France (et quelques-unes de ses anciennes colonies) pour conserver ce vocabulaire désuet et trompeur [droits de l'Homme].
Un livre indispensable qui montre combien les choses pourraient être plus simples et aussi plus logiques d'un point de vue étymologique. La langue est un objet mouvant, qui évolue avec son époque. Or certain.es tentent d'en faire un objet discriminant, figé dans une époque où certains hommes (avec la complicité de certaines femmes curieusement) s'acharnaient à reprendre le pouvoir sur leurs filles et leurs compagnes, dans un siècle où le genre masculin était jugé plus noble que le féminin. Depuis cette lecture, et ma découverte de Titiou Lecoq, je parle d'autrices et rêve de pouvoir écrire à Madame la Mairesse !

A offrir aux maîtres et maîtresses de vos enfants, pour essayer d'insuffler un peu d'égalité dans notre langue.

Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin ! - Eliane Viennot
Editions iXe - janvier 2017 - 128 pages



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