06 mars 2022

Islam et école en France - Samia Langar

  

Pourquoi et comment sommes-nous passés de la « Marche des Beurs » de 1983, revendiquant l’égalité et la pleine citoyenneté française, à un nouvel investissement de la religion musulmane qui, selon certains, frappe aux portes de l’école ? C'est ce processus complexe que Samia Langar analyse dans cet ouvrage.
Après un retour indispensable et sans concession sur le contexte historique qui a façonné cette « question de l’islam », la chercheuse donne la parole aux premiers intéressés : les personnels de l’Éducation nationale et les parents de culture musulmane. Ces enfants souvent montrés du doigt sont des élèves comme les autres et, à ce titre, enseignants comme parents pensent d’abord à leur réussite scolaire. Ces enfants sont aussi les habitants de territoires enclavés de la banlieue lyonnaise, devenus leur seul refuge. Ces enfants sont enfin des Français que l’on qualifie encore, après quatre générations nées en France, comme étant « issus de l’immigration ».
Les questions d’intégration, d’identité et de laïcité traversent les échanges, et laissent clairement transparaître un déficit de reconnaissance. Quant au retour à la religion, il apparaît davantage comme un recours face au sentiment d’exclusion, et son expression est avant tout celle d’une aspiration intérieure et non d’une revendication collective.

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Après avoir été "oubliée" ces dernières années des campagnes Masse Critique proposées par Babelio, j'ai eu le plaisir d'être de nouveau sélectionnée pour recevoir un livre en échange de ma critique. Deux fois coup sur coup ! L'intérêt de ce rendez-vous est de nous permettre de découvrir des textes vers lesquels nous ne nous serions peut-être tournés naturellement. Après la pièce de théâtre Pieds-blancs, de Zoubeir Ben Bouchta, j'ai reçu cette fois-ci un essai de sociologie. Doctoresse en Sciences de l'Education et chargée d'enseignement à l'Institut des sciences et des pratiques d'éducation et de formation à l'Université Lumière Lyon 2, l'autrice, Samia Langar, est également membre du laboratoire Education, Cultures, Politiques, au sein duquel œuvre l'incontournable Philippe Meirieu.

J'ai eu grand plaisir à recevoir ce titre, qui recouvre des sujets qui me sont chers : la sociologie d'abord, les Sciences de l'éducation, les enjeux politiques, les questions culturelles et sociales... Des enjeux qui traversent mon quotidien professionnel et qui invitent à se poser et prendre de la distance.

Cet essai est une présentation de la thèse de Doctorat de l'autrice, Samia Langar, qui s'est plongée pour l'occasion dans le milieu éducatif du plateau des Minguettes, quartier politique de la ville de la commune de Vénissieux en métropole Lyonnaise. Dans ce quartier d'où toute mixité sociale et culturelle a disparu, responsables d'établissements scolaires, enseignants et parents d'élèves s'interrogent sur l'avenir des enfants qui y vivent, portant un fort sentiment d'exclusion, de relégation et d'isolement.

L'autrice commence son propos par un retour sur l'histoire de ces quartiers Politique de la Ville, qui furent un temps des lieux d'ascension sociale et de mixité culturelle, avant de voir les familles d'origine italienne ou espagnole ou les classes populaires françaises "blanches" les quitter petit à petit pour ne réunir depuis le début des années 1980 que des familles françaises de culture musulmane et originaires du Maghreb, d'Algérie pour l'essentiel en ce qui concerne les Minguettes.

Samia Langar se tourne alors vers les responsables d'établissements, puis les enseignants et enfin les parents. La thèse de l'autrice, appuyée très largement sur de nombreuses ressources bibliographiques et sur les entretiens réalisés, est que la question de l'islam à l'école n'est que "l'arbre qui cache la forêt" comme elle le dit dans diverses interviews. Le sujet de l'islam est d'abord celui de l'exclusion, du déclassement social, des discriminations sociales et culturelles, de la précarité et de la ghettoïsation de certains territoires, de l'absence de toute mixité. Dans ces quartiers, les populations, françaises depuis plusieurs générations, qui sont exclues de l'emploi, des logements ou des stages, en raison d'un nom de famille, d'un lieu de résidence ou d'une différence visible.

Samia Langar s'appuie sur le concept de "reconnaissance", ou de déficit de reconnaissance, développé par Axel Honneth, pour construire son analyse. Ces quartiers en mal de reconnaissance se tournent vers les ressources qui peuvent leur permettre de retrouver la force et la fierté de leur histoire. Quand leurs parents se sont éloignés de la religion et de la culture de leurs aïeuls, et constatant les discriminations qu'ils subissent malgré tout, leurs enfants reviennent avec d'autant plus d'ardeur vers leurs racines, et vers l'islam. Mais pour les familles interrogées ici, il s'agit d'un islam cultivé : les parents, souvent sous l'impulsion des mères, lisent et se forment, assistent à des conférences ou se rendent à la Mosquée pour se former à un islam choisi et adapté aux attentes de chaque famille.

Beaucoup de sujets essentiels sont abordés dans ce livre : celui de la laïcité d'abord, de la place de l'islam dans l'école, le voile bien sûr et la loi de 2004 sur l'interdiction des signes ostentatoires à l'école. La question de l'enclavement et de la précarisation de ces territoires est également prégnante. A la lecture de cet essai, le retour/recours à l'islam des familles et des quartiers ne semble être que la conséquence d'une discrimination toujours plus grande sur certains territoires et de certaines populations. Les revendications (voile, halal, enseignements...) semblent, elles, être marginales, aux dires des responsables d'établissements comme des enseignants (et ce malgré quelques accommodements qui laissent songeurs...)  : la préoccupation de tous, parents comme professionnels, est celle de la réussite scolaire, à travers notamment l'accès à une culture d'héritiers. La foi des familles en l'éducation et leur très forte perception des enjeux d'une scolarité réussie, les conduit à mettre en place des stratégies devant concourir à la réussite de leurs enfants, que ce soit dans l'école publique (qui les a pourtant souvent exclus, lorsqu'eux-mêmes étaient enfants), dans des écoles privées catholiques ou des écoles musulmanes. Comme tous les parents, ceux des quartiers populaires rêvent de réussite et d'ascension sociale pour leurs enfants. Mais la confrontation avec la réalité les rend souvent amers et les conduit vers un islam leur permettant de trouver la reconnaissance à laquelle ils aspirent.

Cet essai est passionnant, et ce malgré les nombreuses questions qu'il laisse en suspens. En effet, nous rencontrons ici des familles (peu nombreuses d'ailleurs) qui témoignent d'une ouverture d'esprit, d'une soif de connaissance, d'une prise de recul par rapport à leur pratique religieuse, qui peut cependant être intense, et leur inscription dans un territoire. Pour ma part, j'aurais aimé une plus grande diversité des profils car il m'a semblé que l'analyse ne prend ici qu'une partie de la réalité. Elle passe selon moi sous silence un autre volet du quotidien de ces familles, isolées et renvoyées à un entre-soi qu'elles subissent, certaines dépassées par leur quotidien et celui de leurs enfants, dans un climat tendu, dans un environnement gangrené par des trafics en tout genre, par la pression de grands frères sur leurs sœurs... et sans échappatoire possible.

Une identité rassurante, mais qui s'avère être un cercle vicieux : les élèves trouvent refuge au sein même de ce qui les exclut. Le piège se referme. Nous pouvons bien ici diagnostiquer une forme de dérive de la reconnaissance, et même de "pathologie de la reconnaissance" (Honneth, 2006). Au lieu d'accéder à l'estime de soi et à la reconnaissance réciproque dans la sphère sociale générale dont l'école est à la fois la porte et la première marche, ces jeunes trouvent refuge dans l'estime de l'entre-soi d'une culture enclavée, quasi communautaire. [...]dans les beaux quartiers, c'est pareil, mais il y a plus la possibilité d'ouverture. Ceux qui ont beaucoup reçu ont plus de moyens pour s'ouvrir, s'intéresser à autrui, au monde. (Samia Langar - page 125)

Le regard de Samia Langar est très intéressant et tout en nuances. Il invite à en lire plus : sa bibliographie me permettra sûrement d'approfondir le sujet. Et plus que tout, en tant que citoyenne, je me demande ce que notre société manque, à côté de quoi elle passe en ne reconnaissant pas l'ensemble de ses enfants, ce que nous pouvons/devons faire pour reconnaître à chacun la place qui doit être la sienne en tant que français, dans toute sa spécificité. Comment permettre à ces populations de sortir de la ghettoïsation qui s'impose à elles ? Des questions que se pose aussi Edgar Morin, dont je viens d'entendre l'interview dans la Libraire francophone sur France Inter, et dont je vais sûrement lire le dernier ouvrage en date, Réveillons-nous !

Merci à Babelio et aux Presses Universitaires de Lyon pour cette bonne entrée en matière.

Dernière remarque : les classes inclusives favorisant l'accueil des enfants en situation de handicap, dont il est fait mention dans le livre, sont des classes ULIS (Unités Localisées pour l'Inclusion Scolaire)... et non Ulysse... (c'est très gênant quand on se réclame des Sciences de l'Education...).

Islam et école en France - Samia Langar
Presses Universitaires de Lyon - Septembre 2021 - 240 pages


 








1 commentaire:

  1. Je ne crois pas que je le lirai faute de temps mais j'ai beaucoup aimé lire ton billet. Il très intéressant et résumé bien l'ouvrage. Merci.

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