15 février 2022

Pieds-blancs - Zoubeir Ben Bouchta

   

C'est la rencontre dans un hangar du port de Tanger de deux personnages : Arab Lafrance, un Français d'origine marocaine, parti de Clichy-sous-Bois après les émeutes de 2005 à la recherche de sa petite amie à Marseille, et qui se retrouve, sans le vouloir, sur le quai du port de Tanger ; Assas (gardien en arabe), un Marocain des environs de Ouarzazate, arrivé à Tanger dans le but d'immigrer clandestinement en Europe, et qui, après plusieurs tentatives vouées à l'échec, est devenu gardien d'un hangar de camions. Désir et rêve d'immigrer de part et d'autre d'une Méditerranée devenue le cimetière de tant de rêves et de destins, c'est ce qui inscrit Pieds-Blancs au cœur d'une actualité brûlante et tragique.

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Je vais tout d'abord remercier Babelio de m'avoir permis de revenir dans le cercle semble-t-il fermé de ceux qui ont la chance d'être désignés par le sort et de recevoir un ouvrage en échange d'une critique. Alors que je recevais régulièrement des livres les premières années de ce blog, cela faisait quelques années que je faisais partie des déçus. C'est donc avec grand plaisir que j'ai vu arriver à la maison ce petit ouvrage plein de surprises.

Décidément, je ne savais pas à quoi m'attendre avec ce livre de 105 pages. D'ailleurs, je ne pensais pas qu'il serait si court. En ouvrant l'ouvrage, j'ai eu la surprise de constater également qu'il était écrit en français, sur la page de gauche, et en arabe sur la page de gauche. N'ayant aucune connaissance de cette langue, j'ai plongé avec ce récit dans un univers exotique, d'abord inquiète à l'idée de ne comprendre qu'une page sur deux... puis très vite rassurée, les deux pages étant la traduction d'une de l'autre.

Seconde surprise, ce texte est une pièce de théâtre... forme que je n'ai absolument pas l'habitude de lire... et à laquelle je ne m'attendais pas. Quelques inquiétudes de nouveau, malgré la brièveté du livre.

Et puis, l'auteur nous fait entrer rapidement dans le récit, à la rencontre de deux jeunes hommes, Arab Lafrance et Assas. Le premier est né en France et, se croyant en route pour Marseille, débarque par erreur à Tanger. Le second rêve d'exil et de France et attend à Tanger le bateau qui le conduira vers ses rêves. Tous deux se rencontrent dans un hangar du port de Tanger où Assas retient Arab avant de le remettre aux autorités, le pensant clandestin.

S'ensuit un échange entre les deux hommes, tout au long de la nuit, au cours duquel chacun se raconte, sa vie, ses espoirs, ses rêves. Il y est question de la police et des banlieues françaises, de l'intégration et de ce que cela est censé signifier pour des enfants nés en France, de religion et de la radicalisation de certains, des confrontations entre les "beurs" et les "gwaris" ou français de souche, des enfants des cités et de la police qui se veut de proximité. La  pièce évoque également la place de la femme et la manière dont est perçu le mariage de part et d'autre de la méditerranée.

Tu vois ça [ce passeport], c'est juste quelques feuilles sur lesquelles on a inscrit mon nom et mon adresse puis ils ont collé une photo, c'est tout. Ne t'abaisse jamais pour ces quelques feuilles. Parce que tu es un être humain fait de chair et de sang et à qui Dieu a donné un cerveau pour penser et un cœur pour aimer.

Cette pièce est celle des rêves déçus, de la confrontation entre celui qui a le passeport et ne se sent pas chez lui en France et celui qui rêve d'en avoir un sans savoir ce qu'il va quitter ni ce qu'il trouvera de l'autre côté. Deux récits d'une même misère, de deux vies de part et d'autre de la méditerranée, celles de deux hommes qui n'ont rien, ou si peu qu'ils n'ont pas peur de perdre le peu qu'ils ont.

Je ne pense pas avoir lu une pièce de théâtre depuis mes années de collège ou de lycée. Je suis contente d'avoir eu cette occasion avec cette pièce très riche dans les thématiques abordées, et très actuelle. J'ai lu dans un commentaire que le langage transcrivant l'accent marocain était inutile : j'ai trouvé pour ma part qu'il induisait un rythme au phrasé. Il met également une distance avec la lectrice "gwari" que je suis  tout en m'entraînant dans un univers et un contexte très différents de mon quotidien.

C'est de là qu'on vient, même si les racines de nos parents se trouvent là-bas. La blancheur de nos pieds vient du cœur de cette terre. Nous avons grandi et on nous a éduqué avec. Nous sommes les enfants du ghetto, c'est ici que nous sommes nés, même si nos ancêtres sont là-bas. Appelez-nous comme vous voulez. Beurs, oui, nous sommes des beurs, mais n'oubliez pas que nos pieds sont blancs comme les vôtres étaient noirs au nord de l'Afrique.

Merci à Babelio et aux Presses Universitaires du Midi pour cette découverte.

Pieds-blancs - Zoubeir Ben Bouchta
Presses universitaires du midi - mai 2021 - 105 pages





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