13 mai 2019

Fleurs de tempête - Philippe Le Guillou

Voici ma dernière lecture pour le prochain Comité des lecteurs de la bibliothèque Libre Cour qui se réunira autour des auteurs bretons. J'avais déjà lu deux des 6 titres proposés :
   - A l'angle du renard, Fabienne Juhel
   - Article 353 du code pénal, Tanguy Viel

Et j'ai donc découvert les 4 autres propositions :
   - La fille à histoires, Irène Frain
   - Rade amère, Ronan Gouézec
   - Trois éclats toutes les vingt secondes, Françoise Kerymer

Je termine mon voyage en terre bretonne avec l'ouvrage de Philippe Le Guillou, Fleurs de tempêtes. Je repars avec cette dernière lecture dans l'univers évocateur et inspirant de la pointe du Finistère. Un petit bout de terre, entre Camaret, Le Faou, Brest, et jusqu'à l'Ile de Sein… qui était déjà le territorie éloquent des récits de Tanguy Viel, Ronan Gouézec et Françoise Kerymer. Dans ce Fleurs de tempêtes, l'auteur nous fait naviguer entre Brest et Paris, à la découverte d'univers à jamais perdus.


Présentation de l'éditeur :

C'est une activité curieuse que celle à laquelle je me livre, je reviens au nimbe des commencements, comme un archiviste halluciné et maniaque, un adorateur nocturne qui voudrait capter dans la ténèbre de son chagrin l'éclat de la lumière des débuts et des seuils. L'histoire est passée, éblouissante, implacable, tragique et elle me laisse seul sur la rive. A moi à qui la littérature a tant donné il ne reste que le recours des mots. Me revient-il de donner à Hélène le tombeau qu'elle n'a pas souhaité avoir ? Elle ne repose pas auprès de son grand-père, qu'elle admirait tant, dans le petit cimetière de Logonna-Daoulas. Elle a voulu cette incinération, ce néant des flammes qui m'effraie plus que tout.
Tombeau : c'est une forme, c'est un chant dont j'aimerais qu'il n'eût pas la froideur mallarméenne. Je rêverais plutôt pour elle d'un lit de lumière, d'une nef enchantée qui l'emmène loin, dans la tradition ophélienne des dérives celtiques.


Ma lecture :

J'ai gardé ce titre pour la fin, peu enthousiasmée par le sujet et pas très motivée à l'idée de me plonger dans un récit sur le deuil. Une fois la dernière page tournée, les larmes coulant abondamment sur mes joues, je me suis demandée pourquoi les bibliothécaires avaient fait le choix de ce titre si bouleversant et tellement intime. Philippe Le Guillou, que je découvre seulement, a pourtant écrit plus d'une cinquantaine de livres ! Pourquoi ne pas en avoir choisi un autre ? D'autant qu'à ce que j'ai pu voir en feuilletant les quatrièmes de couverture, nombre de ses livres nous invitent à une déambulation poétique entre la Bretagne austère et tourmentée du Finistère, et les grandes capitales européennes. Pourquoi nous faire découvrir cet auteur par un texte aussi difficile ? Je leur poserai la question.

Car ce récit autobiographique est d'abord un hommage à Hélène, son amie la plus intime, son âme sœur, tombée au combat contre le cancer. Hélène a choisi d'être incinérée et de disperser ses cendres dans l'océan qu'elle aimait tant. Et l'auteur, poète et croyant, ne peut supporter de n'avoir pas d'endroit où se recueillir et apaiser sa peine, de n'avoir pas un lieu où aller parler avec celle qui était si indispensable à sa vie. Ce livre lui est donc apparu comme une évidence, un tombeau chaleureux et passionné, qui contient la femme débordante de vie qu'il a connu.

Dans ce texte, Philippe Le Guillou rend hommage à la femme que fut Hélène, mais aussi, et surtout, à leur amitié et à ce lien indéfectible, que 20 années n'ont pu distendre. Il fait revivre pour nous, ou pour lui peut-être, leur histoire et leurs marches infatigables dans les rues de Brest, du Faou, de Logonna et de Paris. Ce livre est un condensé de ce qui a fait leur vie pendant toutes ces années : la culture, dans toute sa majesté. Leur amour partagé de la littérature, des textes et de leurs auteurs, de la culture bretonne et celte, du patrimoine historique et particulièrement religieux, leur sens de l'amitié et des rituels amicaux, leur passion pour les marches incessantes à la découverte du patrimoine finistérien et parisien, à la recherche d'éditions uniques… Ces processions au cœur des villes et des campagnes, cette omniprésence de la littérature et la manière qu'a l'auteur de les évoquer m'ont beaucoup touchée. Philippe Le Guillou témoigne d'une sensibilité exacerbée par le destin tragique de Hélène.

Pour autant, j'ai souvent été gênée à la lecture de ce récit. Par rapport à la place et au rôle qu'il se donne dans la vie de cette femme, par ce besoin d'évoquer parfois sa douleur (bien légitime au demeurant). J'ai trouvé ce livre parfois un peu déplacé, notamment après qu'Hélène a rencontré celui qui deviendra son mari, Xavier. Le fait que cette amitié soit le sujet central du récit, faisant fi des autres amitiés et amours de Hélène m'a gêné. A moins que ce ne soit du respect pour cette famille traversée par le deuil. J'ai également été ébranlée par la lecture des derniers mois, des derniers jours de la vie de Hélène : c'est aujourd'hui une réalité si effrayante que chacun d'entre nous cherche à s'en protéger. Et l'auteur nous fait partager sa souffrance à lui, son besoin permanent d'être réconforté : j'ai trouvé que ce texte manquait un peu d'humilité et de pudeur.

Cette proposition était une prise de risque de la part des bibliothécaires : je sors de cette lecture bouleversée. J'ai été touchée par la plume de l'auteur, ses descriptions tellement poignantes des lieux qu'il a partagé avec Hélène. J'ai également été terrifiée par le destin de cette jeune femme qui fait surgir l'angoisse face au caractère inéluctable de notre disparition.

Une lecture osée, à découvrir si l'on se sait la force d'affronter la puissance de ces émotions. Pour ma part, je retournerai certainement lire quelque ouvrage de Philippe Le Guillou, après m'être assurée de leur innocuité.




Fille des môles, des ports que mouillait une fine lumière, légère et vénitienne, des grèves et des chemins vertigineux des proues de l’Armorique, Hélène portait en elle cette tradition et ce legs, elle aimait les rafales, l’air qui cingle, la rudesse de l’élément, le tumulte des vagues à l’approche de la tempête. 
A la mort de mon grand-père maternel en mars 1990, Hélène avait eu ce mot superbe en évoquant la messe d'enterrement dans l'église que frôlait la marée haute : "C'était la continuité de ta légende." Elle disait juste. La mienne était nourrie de vieillards tutélaires et insubmersibles, de chapelles aux plafonds incrustés d'étoiles, de retables d'or, d'ossuaires, de landes, de flots et de jusants. La sienne d'eaux hautes sous les falaises éboulées, de vieux sages volubiles, d'aubépines et de genêts, de tempêtes qui s'enflaient à la ligne des flots, à la suture invisible des îles d'oubli et des cités disparues.



Fleurs de tempête - Philippe Le Guillou - Gallimard - février 2008 - 176 pages.



   



2 commentaires: