23 mai 2021

Le coût de la vie - Deborah Levy

   

Un divorce forcément douloureux, une grande maison victorienne troquée contre un appartement en haut d’une colline dans le nord de Londres, deux filles à élever et des factures qui s’accumulent… Deborah Levy a cinquante ans quand elle décide de tout reconstruire, avec pour tout bagage, un vélo électrique et une plume d’écrivain. L’occasion pour elle de revenir sur le drame pourtant banal d’une femme qui s’est jetée à corps perdu dans la quête du foyer parfait, un univers qui s’est révélé répondre aux besoins de tous sauf d’elle-même. cette histoire ne lui appartient pas à elle seule, c’est l’histoire de chaque femme confrontée à l’impasse d’une existence gouvernée par les normes et la violence sournoise de la société, en somme de toute femme en quête d’une vie à soi.
Ce livre éblouissant d’intelligence et de clarté, d’esprit et d’humour, pas tant récit que manifeste, ouvre un espace où le passé et le présent coexistent et résonnent dans le fracas incessant d’une destinée. Le Coût de la vie tente de répondre à cette question : que cela signifie-t-il pour une femme de vivre avec des valeurs, avec sens, avec liberté, avec plaisir, avec désir ? La liberté n’est jamais gratuite et quiconque a dû se battre pour être libre en connaît le coût. Marguerite Duras nous dit qu’une écrivaine doit être plus forte que ce qu’elle écrit. Deborah Levy offre en partage cette expérience.


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On reste avec ce roman dans la liste des lectures du Comité de lecteurs de Libre Cour consacré aux biographies inspirantes.

Dans ce court récit, l'auteure partage un épisode banal de sa vie : son divorce à l'âge de 50 ans, quand elle décide de quitter son mari et la vie qu'elle a construite avec lui et pour leurs filles. Elle quitte la maison familiale pour se trouver un appartement qui deviendra le cocon de sa nouvelle existence. Cette séparation va être pour elle l'occasion de s'interroger sur le rôle du mariage, de la femme épouse et mère, et sur les rôles qui lui sont dévolus par la société. Car, comme elle l'indique, divorcer c'est aussi quitter un cadre social, une norme.

Non, je ne connaissais pas tant de femmes désireuses de réveiller le fantôme de la féminité. Qu'est-ce qu'un fantôme, de tout façon ? Le fantôme de la féminité est une illusion, un mirage, une hallucination collective. C'est un personnage retors à jouer et un rôle (sacrifice, endurance, souffrance joyeuse) qui a rendu certaines femmes folles. Ce n'était pas une histoire que j'avais envie d'entendre encore une fois.

J'ai aimé le style de l'auteure, intimiste et féministe. J'ai la voir retrouver son autonomie, sa liberté et y prendre un grand plaisir. J'ai adoré notamment l'épisode du cabanon au fond du jardin d'une amie, qui deviendra son refuge d'auteure. Cette liberté a un coût, celui d'un confort matériel mais également la sécurité d'une vie qui se conforme à la norme. Pourtant, le plaisir de retrouver la liberté de vivre pour elle, de s'organiser comme bon lui semble... semble bien en valoir le prix.

Alors que dans mon nouveau foyer tout avait littéralement rapetissé (à part les succulents), ma vie s'est agrandie.

Si j'ai aimé ce texte, c'est aussi parce qu'il me parle et fait en partie écho à ma vie. A celle des femmes en général aussi sans doute, de celles qui perdent leur nom et parfois jusqu'à leur identité pour devenir "la femme de...". Des femmes qui se mettent à la disposition de leur foyer et de leur famille, du mari comme des enfants, au point parfois de ne plus se sentir chez elles dans leur propre maison. Deborah Levy évoque comment la femme doit être à l'écoute de son mari et disponible pour lui à chaque instant, combien elle peut lui servir de faire-valoir sans jamais avoir l'espace suffisant pour pouvoir s'exprimer elle-même.

Il est aussi beaucoup questions des hommes dans ce texte, des maris et des pères. Et ils sont loin d'avoir le beau rôle, sans doute son divorce y est-il pour quelque chose. Mais je pense que Deborah Levy nous offre un regard pragmatique et féministe sur la famille. J'ai écouté récemment une émission de France Culture, La critique, où Le coût de la vie était évoqué. Comme l'évoque l'un des intervenants, je pense que le fait d'être une lectrice, femme, conjointe et mère, aide certainement à se sentir en empathie avec le récit et à partager le ressenti de l'auteure. L'un des journalistes s'agace de ce féminisme archaïque, dépassé selon lui... Pour ma part, je dirai que ce que l'auteure décrit dans ces quelques pages est loin d'être dépassé et que, pour ma part, beaucoup de passages m'ont parlé. Le chemin de l'émancipation est encore long.

Les politiques fluctuantes du foyer moderne étaient devenues complexes et perturbantes. Beaucoup de femmes modernes et apparemment puissantes de ma connaissance avaient créé un foyer pour tout le monde, mais ne se sentaient pas chez elles dans leur propre maison. Elles préféraient le bureau ou leur lieu de travail parce qu'elles y étaient plus que de simples épouses.

J'ai trouvé que ce texte était un bel hommage aux femmes et aux mères. Deborah Levy sait parler de son rôle de mère, en creux pour ne plus être celle qui se sacrifie pour ses enfants. Elle parle aussi de manière très touchante de sa propre mère et de toutes ces mères qui vivent pour les autres. Elle évoque le parcours de sa mère qui a lutté pour la défense des droits de l'homme en Afrique du Sud, qui a dû renoncer à faire des études parce que "personne n'a cru bon de lui dire qu'elle était très douée" et parce que les femmes à cette époque n'étaient pas censées faire des études mais se marier, avoir des enfants et trouver un petit boulot "insignifiant qui ne déboucherait pas sur une véritable carrière". Quelle femme ne serait pas sensible à ce texte ?

Merci de m'avoir appris à nager et à manœuvrer un canot à la rame. Merci d'avoir tapé à la machine pour pouvoir remplir le frigo. Quant à moi, j'ai des choses à faire en ce monde et je me montre plus impitoyable que tu ne l'étais. 

Si seulement...

Une belle biographie inspirante ! Dans un style limpide, touchant et souriant, un beau moment de partage. Le tout assaisonné de références littéraires qui m'ont encore donné envie de lire : Emily Dickinson, Marguerite Duras, Simone de Beauvoir, James Baldwin ou George Orwell...
A lire, et à offrir !


Le coût de la vie - Déborah Levy
Editions du sous-sol, août 2020, 144 pages


Pour d'autres avis, je vous invite à aller lire les billets de Mumu dans le Boccage et de Plaisirs à cultiver.




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