11 mai 2018

Désorientale - Négar Djavadi

Voici ma troisième lecture pour notre prochaine rencontre du Comité de lecteurs sur le thème de l'exil. Après deux courts récits, Rêves oubliés de Léonor de Secondo et Le bleu des abeilles de Laura Alcoba, ce troisième texte est beaucoup plus dense et mélange la petite et la grande histoire, celle de la famille Sadr et celle de l'Iran, des relations entre l'Orient et l'Occident... Les clés de lecture sont nombreuses : outre l'Histoire de l'Iran depuis le début du XXème siècle, il y a celle de Kimiâ et de sa famille, de Sara et Darius, d'Emma et de Nour, les "mères" de la famille, il y a le récit de l'exil, la souffrance et la solitude, mais aussi celui de l'adolescence, de la découverte de la sexualité, le besoin impérieux de liberté. Un texte foisonnant et très riche. Passionnant.

Désorientale de Négar Djavadi.
Éditions Liana Levi, août 2016, 350 pages.


Présentation de l'éditeur :

Si nous étions en Iran, cette salle d'attente d'hôpital ressemblerait à un caravansérail, songe Kimiâ. Un joyeux foutoir où s'enchaînerait bavardages, confidences et anecdotes en cascade. Née à Téhéran, exilée à Paris depuis ses dix ans, Kimiâ a toujours essayé de tenir à distance son pays, sa culture, sa famille. Mais les djinns échappés du passé la rattrapent pour faire défiler l'étourdissant diaporama de l'histoire des Sadr sur trois générations : les tribulations des ancêtres, une décennie de révolution politique, les chemins de traverse de l'adolescence, l'ivresse du rock, le sourire voyou d'une bassiste blonde ...
Une fresque flamboyante sur la mémoire et l'identité ; un grand roman sur l'Iran d'hier et la France d'aujourd'hui.

Ma lecture :

Le contexte du récit de Kimiâ est un peu particulier puisque c'est dans la salle d'attente d'une consultation en Procréation Médicalement Assistée qu'elle ouvre la porte à ses souvenirs. La perspective de devenir mère la ramène des décennies en arrière, au moment de sa propre naissance, puis au-delà, à l'histoire de sa famille. Les allers et retours sont nombreux dans ce récit, entre les époques, les personnages, les lieux... pouvant rendre la lecture un peu confuse si l'on n'y prête pas attention. C'est quand j'ai eu le temps de m'y plonger pleinement et d'y consacrer le temps qu'il était nécessaire, que j'ai pu savourer ma lecture. Sachez également que l'auteur nous a offert une petite aide en ajoutant en fin de récit une notice sur la généalogie des personnages qui apparaissent au fil de pages. Si je l'avais repérée au début de ma lecture, cela m'aurait bien aidé. Mais si vous vous laissez conduire par le récit, vous trouverez rapidement vos marques.

Ce que j'apprécie dans ce genre de récit, comme ce fut le cas avec Rêves oubliés, de Léonor de Secondo, c'est l'imbrication entre l'Histoire (avec un grand h) et les récits intimes d'une famille. Ici, l'auteure nous accompagne en Iran et nous fait partager la vie d'une famille iranienne s'opposant aux gouvernements successifs et rêvant de démocratie. Nous traversons un siècle de régimes autoritaires, laïc ou islamique et (re)découvrons que ce pays est d'une grande richesse, culturelle et économique, traversé par des intérêts politiques contradictoires, et fortement bouleversé par les multiples pressions occidentales qui cherchent avant tout à protéger leurs intérêts (pétrole, vente d'armes...) même si c'est au détriment de la stabilité du pays et de la sécurité de sa population.

Les décennies passent, et dans cet Iran chahuté, se construit petit à petit la famille de Kimiâ. L'auteur nous montre la place des hommes et celle de leurs épouses, de leurs filles et de  leurs fils. On y découvre également tout un tas de croyances qui donnent une patine un peu merveilleuse au récit. Le poids de la famille et des traditions est très lourd, mais l'envie de liberté également. C'est dans cet environnement que naît Kimiâ, troisième et dernière fille de Darius et Sara. Ces derniers sont des intellectuels en vue dans l'Iran de l'après seconde guerre mondiale. Darius écrit pour changer le monde, Sara partage ses avis dans ses salles de cours. Mais très vite la famille se met en danger et finira, après avoir longtemps résisté, par devoir quitter l'Iran.

En Iran, nous partageons l'évolution de la famille, sous le regard critique de Kimiâ. En Europe, et à Paris plus particulièrement, c'est à la transformation de Kimiâ que nous assistons. Jeune femme écartelée entre des origines qui se trouvent à plusieurs milliers de kilomètres de chez elle et une France qui n'est pas à la hauteur de ses rêves et de l'éducation qu'elle a reçue, elle peine à trouver sa place. La question de son homosexualité vient ajouter de la confusion à sa construction identitaire.

"Quand on a grandi avec la certitude que la France est l’alliée infaillible, toujours à vos côtés pour vous protéger, on a du mal à accepter qu’elle vous plante délibérément un couteau dans le dos et vous observe vous rétamer sur le bitume. Toutes ces belles citations, tous ces beaux personnages, les Hugo, Voltaire, Rousseau, Sartre, autour desquels avaient gravité nos existences, n’étaient qu’une fiction moyen-orientale, une fable naïve pour des individus à l’esprit romantique comme Sara. Nous n’avions ni allié, ni ami, ni refuge. Nous n’avions de place nulle part, telle était la vérité." (page 253)


Ce roman, très ambitieux, ne se laisse pas résumer facilement. Très dense, il mêle les récits et les réflexions, pour une analyse passionnante sur l'époque qui est la nôtre. La lecture n'est pas simple (simpliste) car les récits se superposent, de même que les époques. Une belle lecture, dans laquelle j'ai un peu tardé à me plonger pleinement, mais que j'ai fini par dévorer.
Dernière remarque, sur le titre, "Désorientale" : un superbe néologisme, qui résume magnifiquement ce que peut être l'exil.

Un premier roman prometteur.

"Le déracinement avait fait de nous non seulement des étrangers chez les autres, mais des étrangers les uns pour les autres. On croit communément que les grandes douleurs resserrent les liens. Ce n’est pas vrai de l’exil. La survie est une affaire personnelle." (page 273)

D'autres avis chez Kitty la mouette, Alex Mot à mots, SylireMimi pinson... entre autres.






5 commentaires:

  1. De très bons avis sur ce livre. Je crois qu’il vient de sortir en poche. Je le note pour un prochain passage en librairie

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  2. Une lecture sur l'exil qui ne m'avait pas emballé plus que cela.

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    1. Plus qu'un texte sur l'exil ça a été pour moi une page de l'histoire de l'Iran, un récit sur la construction de l'identité, multiple bien souvent...

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  3. Sur le sujet de l'exil il y a un très beau roman d'un auteur néo-zélandais Lloyd Jones "Donne moi le monde".

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    1. Merci du conseil ! J'en ai encore 2 dans ma liste, mais après, pourquoi pas ;-)

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