01 février 2018

Les garçons de l'été - Rébecca Lighiéri

J'ai découvert Rébecca Lighiéri, alias Emmanuelle Bayamack-Tam, avec Je viens, un récit jubilatoire autant que dérangeant que j'avais adoré. Je la retrouve ici avec son dernier livre paru début 2017 sous le nom de Rébecca Lighiéri. Pourquoi ce changement de nom, je ne sais pas trop, mais la précision, l'énergie et le ton caustique de l'auteur sont toujours présents... pour notre plus grand plaisir ! On y retrouve le regard froid et réaliste de ses personnages principaux, qui ne se cachent pas derrière les bonnes manières ou une éducation bourgeoise, mais assènent avec aplomb et nonchalance des vérités troublantes.

Les garçons de l'été de Rébecca Lighiéri.
Editions P.O.L., 03 janvier 2017, 448 pages.


Présentation de l'éditeur :

Zachée et Thadée, deux frères, étudiants brillants et surfeurs doués, déploient les charmes de leur jeunesse sous l'été sauvage de la Réunion.
Mais l'été et la jeunesse ont une fin, et il arrive qu'elle survienne plus vite et plus tragiquement que prévu.


Ma lecture :

Prénoms puissants et marquants pour demi-dieux adulés par leur maman. Parce qu'avant le drame qui ne manquera pas de surgir, c'est d'abord de cela dont il s'agit : deux jeunes hommes portés aux nues par leur mère et, dans une moindre mesure, par leur père, et à qui tout semble réussir. Beaux comme des dieux, intelligents, talentueux sur les vagues et entourés d'une cour d'admirateurs, ils apparaissent comme particulièrement horripilants. Ysé, leur jeune sœur, si elle semble plus "normale" que ses héros de frères, s'avère très vite être un peu étrange... originale. Beaucoup plus jeune que ses frères, elle grandit dans une famille toute entière tournée vers la lumière de ses aînés qui la remarquent très peu. D'autant moins qu'elle passe pour la "tordue" de la famille. Le père, moins obnubilé par ses fils pourrait porter quelque attention à sa fille, si seulement sa maîtresse ne lui prenait tout son temps.

Très vite le lecteur perçoit cependant que cette adoration sans limite peut faire naître des tempéraments égocentriques, manipulateurs, voire sadiques. C'est en Thadée, l'aîné et fils préféré, que tous ces traits de caractère se trouveront concentrés. Zachée, éternel second, en tirera une nature plus posée, discrète, plus altruiste et sociable aussi. Rapidement dans le livre, les choses se mettent en place. L'auteur alterne les points de vue, entre les enfants, la mère, le père, la petite amie de Zachée, Cindy... Il s'agit d'un roman chorale où  la place de chacun n'est cependant pas égale. Les chapitres peuvent faire 2 pages comme une dizaine. Dès le second chapitre, avec Mylène, la mère, le lecteur perçoit un certain malaise. On retrouve des thèmes déjà abordés dans Je viens tels que le racisme, sournois et bourgeois, condescendant, ou celui de la famille, bien souvent étouffante et déviante. Au troisième chapitre, on frôle l'horreur, on touche le drame du doigt... puis l'auteur nous laisse en plan, suspendus à cette drôle d'impression, sensation d'étrangeté. Qu'a-t-elle voulu nous dire, à nous, lecteurs ? Avec le temps et les pages, on finit par se demander si on n'a pas rêvé, si elle va revenir sur cet épisode si violent... C'est alors comme un orage qui se fait attendre, qui pèse sur la lecture et dont le lecteur attend l'explosion. Mais il faudra attendre... et découvrir les caractères troubles des uns et des autres, de Thadée essentiellement qui déploie son ombre sur la famille.




Comme dans Je viens, les hommes n'ont pas le beau rôle ici : ils sont tyranniques ou absents, attentistes pour la plupart. Les femmes sont plus fortes, parfois dures et froides, mais elles s'assument, pleines d'autorité. Certaines, comme Mylène ou Jasmine, la compagne de Thadée, peuvent se révéler plus faibles, dominées par le caractère manipulateur et destructeur de l'aîné de la famille.

Rébecca Lighiéri sait à merveille décrire les tourments de l'âme humaine. Après le drame qui laisse Thadée amputé d'une jambe, les caractères des uns et des autres se révèlent, renforçant au fil des pages ce sentiment de malaise que l'auteur diffuse avec talent. Dans un monde qui se veut de plus en plus lisse, homogène et bien pensant, Rébecca Lighiéri bouscule ses lecteurs, les pousse dans leurs retranchements, remettant en question leurs certitudes et leur monde bien dessiné. En ouvrant ce livre, il ne faut avoir peur d'être secoué ni de plonger dans l'horreur, le cynisme et le sordide, au rythme des vagues qui déferlent sur la côte basque.

Qu'est-ce que ça fait du bien de sortir de son confort et de se laisser ainsi chahuter ! J'avais adoré Je viens, j'ai pris grand plaisir à retrouver l'auteur avec ce dernier titre.

Voici ma seconde lecture tirée de ma PAL pour cette année 2018 ! Dire qu'on peut stocker des lectures aussi enthousiasmantes... quel dommage ! Vous pourrez lire d'autres avis chez Mes miscellanéeslire au lit (j'adore le concept !), Sans connivence, Instantanés futiles...




 




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