Chaque parution d'un livre de Gaëlle Josse est pour moi un évènement. Je ne les ai pas encore tous lus, mais tous ceux que j'ai eu le plaisir de lire m'ont convaincue. Comme ce dernier titre, qui a vite rejoint ma bibliothèque. Et il ne sera pas resté bien longtemps dans ma PAL : 192 pages vite dévorées. Vite lues certes parce que l'ouvrage n'est pas bien long, mais surtout parce qu'une fois plongée dans l'histoire d'Anne et sa famille, il n'est pas possible d'en ressortir avant d'avoir tourné la dernière page. J'aime l'écriture de Gaëlle Josse, la langue, le rythme, la poésie... le récit, l'histoire de cette longue attente... et bien sûr son évocation de la Bretagne ! Un magnifique portrait de femme qui rend un bel hommage à toutes ces pleureuses bretonnes.
Une longue impatience de Gaëlle Josse.
Editions Notabilia, 04 janvier 2018, 192 pages.
Présentation de l'éditeur :
Ce soir-là, Louis, seize ans, n’est pas rentré à la maison. Anne, sa mère, dans ce village de Bretagne, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, voit sa vie dévorée par l’attente, par l’absence qui questionne la vie du couple et redessine celle de toute la famille.
Chaque jour, aux bords de la folie, aux limites de la douleur, Anne attend le bateau qui lui ramènera son fils. Pour survivre, elle lui écrit la fête insensée qu’elle offrira pour son retour. Telle une tragédie implacable, l’histoire se resserre sur un amour maternel infini.
Avec Une longue impatience, Gaëlle Josse signe un roman d’une grande retenue et d’une humanité rare, et un bouleversant portrait de femme, secrète, généreuse et fière. Anne incarne toutes les mères qui tiennent debout contre vents et marées.
« C’est une nuit interminable. En mer le vent s’est levé, il secoue les volets jusqu’ici, il mugit sous les portes, on croirait entendre une voix humaine, une longue plainte, et je m’efforce de ne pas penser aux vieilles légendes de mer de mon enfance, qui me font encore frémir. Je suis seule, au milieu de la nuit, au milieu du vent. Je devine que désormais, ce sera chaque jour tempête. »
Ma lecture :
Petits formats pour grandes lectures en ce début d'année 2018. Après Faire Mouche de Vincent Almendros, me voici de nouveau plongée dans un récit de l'intime et de la pudeur. Changement de lieu et d'époque, mais toujours un récit de l'intérieur, du secret, du familial et de l'émotion.
Ici, Gaëlle Josse nous invite en Bretagne, dans l'après seconde guerre mondiale. La guerre et la présence de l'ennemi dans la communauté ont laissé des traces. Ce qui fait l'âme de la Bretagne est magnifiquement dépeint ici : c'est un monde des contrastes, entre l'Argoat (l'intérieur des terres) et l'Armor, entre l'usine et les bateaux de pêche, entre la bourgeoisie des petits bourgs et le monde austère des marins. Gaëlle Josse nous parle avec émotion de ces arbustes bleus sur fond de pierres granitiques qui sont l'image de la Bretagne, mais aussi de ce que représentait la galette de blé noir avec qu'elle ne devienne une partie du folklore breton. Au-delà des représentations de cartes postales, c'est le portrait d'une Bretagne viscérale, intime, qui est brossé dans ce livre.
A travers l'histoire d'Anne et de son fils Louis, ayant fuit par la mer la violence d'une éducation paternaliste, c'est ce peuple de la mer qu'évoque en arrière plan Gaëlle Josse. Celui que l'on croise dans le port de pêche, que l'on voit errer dans le vent autour des chapelles qui peuplent le littoral, de ces chapelles dans lesquelles le visiteur ignorant découvre avec surprise ces bateaux suspendus censés protégés les équipages partis en mer.
Rien que pour cela j'aurais adoré ce récit.
Mais plus que cela encore, il y a l'histoire de cette femme, Anne, veuve d'un marin tué en mer à la fin de la guerre par l'aviation alliée, avec qui elle a eu un fils, Louis. Après la guerre, elle se remarie avec le pharmacien du bourg, Etienne, et ce sera la rencontre de deux mondes, deux univers. L'attachement, l'amour, entre le mari et la femme sont sincères. Mais ces deux univers les tiennent à distance. Et puis il y a Louis, ce fils d'un premier mariage qu'Etienne s'est juré d'aimer comme son propre fils, mais dont la présence au sein du foyer rappelle une autre histoire. Louis se fait le plus discret possible, s'efface contre les murs... mais rien n'est jamais assez pour Etienne et un jour, c'est la confrontation de trop : Louis s'enfuit, prend le premier bateau et part sillonner les océans. Le récit de ce livre, c'est l'attente d'une mère, son espoir jamais éteint, ses peurs, sa manière de faire face et de donner le change, pour ses enfants, son mari et pour la communauté médisante, jalouse.
Dans son récit, Gaëlle Josse nous fait ressentir l'émotion de cette mère, ses détours pour vivre avec l'absence, garder l'espoir, ses allers retours entre son ancienne vie, dans la petite maison dans le village des pêcheurs où elle attend, et son quotidien, au-dessus de la pharmacie, avec son mari et ses enfants. Sans qu'on s'en rende bien compte, le temps passe, les années, sans que rien ne vienne jamais combler ce vide, cette absence. On se demande comment tout cela peut se terminer...
Tout cela est dit avec une langue magnifique, pleine de poésie, dans un rythme chantant, un peu comme ces mélopées monotones qui rythment la vie d'un village. Les mots sont précis et évoquent un monde de bruits et d'odeurs, de sentiments et d'émotions.
"Chaque jour je continue à aller sur le chemin, à guetter les bateaux qui arrivent au port, là-bas, à la grande ville ; j'avance dans le criaillement des goélands, des sternes, dans leurs aigus désespérés, dans un parfum d'iode et de sel qui me prend comme une étreinte. C'est une stridence qui m'enveloppe, je ne les entends plus, tant ce cri fait partie de moi, depuis toujours. Parfois il devient douleur, comme s'il me réveillait et me déchirait le crâne. Alors je voudrais disparaître pour ne plus les entendre, pour ne plus rien entendre." (Une longue impatience - Gaëlle Josse)
Puis le dénouement justement, quelle souffrance, quelle violence, cette douleur ! J'étais en colère. Je n'ai pas compris Louis et ses années passées en mer, si loin sans jamais se retourner vers celle dont il semblait pourtant si proche. Je lui en ai voulu, profondément. Mais finalement, je ne pense pas non plus avoir compris Anne (si j'ai bien saisi le sens de ces lettres et de son ouvrage). Ses sentiments en fin de lecture ne font qu'ajouter à la force du récit. Il y a la peine, bien sûr, mais aussi l'incompréhension, la colère, un puissant sentiment de gâchis.
Un beau roman, mon premier coup de cœur de l'année !
Pleureuse de l'île de Sein (René Quillivic), arrivée par certains détours de l'Histoire, à Nantes (44). |
2nde lecture |
Comme tu donnes envie de lire ce roman et de découvrir cette auteure. Merci!
RépondreSupprimerSi tu ne la connais pas encore, fonce !
SupprimerUne lecture passionnante, je te rejoins tout à fait.
RépondreSupprimerJe le lirai certainement, tout le monde en dit du bien !
RépondreSupprimer@ Alex Mot-à-Mots et Une Comète : lire Gaëlle Josse apporte toujours satisfaction et beaucoup de plaisir. Ce dernier livre ne fait pas exception.
RépondreSupprimerJe suis aussi sensible à l'écriture de Gaelle Josse, à ses thèmes. Je n'ai pas encore lu les derniers. J'avais eu un grand coup de coeur pour " Nos vies désaccordées ".
RépondreSupprimerVisiblement, ce roman séduit. J'ai adoré Nos vies désaccordées mais pas Le gardien d'Ellis Island.
RépondreSupprimer@ Maryline et Valérie : je n'ai pas lu "Nos vies désaccordées", mais j'ai adoré "Le dernier gardien d'Ellis Island". J'ai apprécié son poids historique.
RépondreSupprimer