06 novembre 2016

Petit pays - Gaël Faye




Toute la blogosphère parle de ce premier roman, les critiques sont particulièrement élogieuses, les notes sur Babelio frôlent la perfection... Je ne pouvais pas rester longtemps ignorante de ce succès littéraire, couronné du Prix du roman Fnac 2016. J'ai donc suivi Gabriel, 10 ans, dans son quotidien au Burundi en 1992. Sauf que Gabriel est le fils d'un entrepreneur français et d'une mère rwandaise, une Tutsi, à la veille d'une guerre civile qui fera 800 000 morts en 100 jours, entre avril et juillet 1994.

Petit pays de Gaël Faye.
Éditions Grasset, 24 août 2016. 224 pages.





Présentation de l'éditeur :

"Au temps d'avant, avant tout ça, avant ce que je vais raconter et le reste, c'était le bonheur, la vie sans se l'expliquer. Si l'on me demandait "Comment ça va ?" je répondais toujours "Ça va !". Du tac au tac. Le bonheur, ça t'évite de réfléchir. C'est par la suite que je me suis mis à considérer la question. A esquiver, à opiner vaguement du chef. D'ailleurs, tout le pays s'y était mis. Les gens ne répondaient plus que par "Ça va un peu". Parce que la vie ne pouvait plus aller complètement bien après tout ce qui nous était arrivé." G.F.
Avant, Gabriel faisait les quatre cents coups avec ses copains dans leur coin de paradis. Et puis l'harmonie familiale s'est disloquée en même temps que son "petit pays", le Burundi, ce bout d'Afrique centrale brutalement malmené par l'Histoire.
Plus tard, Gabriel fait revivre un monde à jamais perdu. Les battements de cœur et les souffles coupés, les pensées profondes et les rires déployés, le parfum de citronnelle, les termites les jours d'orage, les jacarandas en fleur... L'enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais.


Ma lecture :
"Regarde autour de toi. Ces montagnes, ces lacs, cette nature. On vit dans de belles maisons, on a des domestiques, de l'espace pour les enfants, un bon climat, les affaires ne marchent pas trop mal pour nous. Qu'est-ce que tu veux d'autre ? Tu n'auras jamais tout ce luxe en Europe. Crois-moi ! C'est très loin d'être le paradis que tu imagines. Pourquoi penses-tu que je construis ma vie ici depuis vingt ans ? Pourquoi penses-tu que Jacques préfère rester dans cette région plutôt que de rentrer en Belgique ? Ici, nous sommes des privilégiés. Là-bas, nous ne serons personne." (Petit pays, Gaël Faye - Ed. Grasset - août 2016 - page 27)

Ce premier roman est riche de réflexions politiques très contemporaines et toujours très actuelles. Le racisme d'esprit colonialiste n'est pas bien loin. En toile de fond, on voit ces européens qui viennent profiter de leur pouvoir d'achat dans des pays ruinés et opprimés, avoir recours à une domesticité soumise qui en Europe appartient à une époque révolue, ces "blancs" qui épousent les filles du pays mais qui semblent garder une distance, un certain sentiment de supériorité sur leurs compagnes, la mère de leurs enfants, eux qui ont l'argent en guise de pouvoir.

C'est le cas du père de Gabriel, qui ne comprend pas ce qui attire tant sa femme dans la perspective de vivre en Europe. Il ne comprend pas son sentiment d'être étrangère dans ce Burundi où elle est réfugiée depuis qu'elle a quitté son Rwanda natal, quitté en 1963 par une nuit de massacre. Lui, le "colon", ne comprend pas ces regards qui se pose sur sa femme, Tutsi, "les insultes, les insinuations, les quotas et numerus closus à l'école". Il ne comprend pas ce besoin de sécurité. Lui ne voit que ce que l'argent peut lui offrir dans un pays rongé par la misère.

Lac Kivu - Rwanda


Et c'est dans cet environnement malgré tout privilégié, protégé, que grandit Gabriel, dans une impasse, une sorte de cocon, qu'il partage avec ses copains, enfants privilégiés de familles mixtes. Protégés dans cette impasse, ils grandissent comme devraient grandir tous les enfants du monde, insouciants, heureux, pieds nus dans la nature, sur les chemins de terre et dans le lit des rivières. Dans la première partie du récit, c'est cette légèreté enfantine, ce bonheur innocent que l'on ressent. Et ce malgré les tensions au sein du couple parental.

Puis progressivement, le drame approche. On le sent venir de l'extérieur. Si les habitants de l'impasse restent à l'abri, protégés par on ne sait quels murs, les personnes venues de l'extérieur apporte de cette tension dramatique. Ce qui avait été vécu par la mère de Gabriel, est affirmé avec force par les employés de la famille : les tensions entre ethnies sont complexes mais profondément enracinées. Si Gabriel cherche à tout prix à conserver cette innocence de l'enfance, l'histoire le rattrapera après l'attentat contre l'avion présidentiel provoquant la mort des présidents rwandais et burundais. On ressent cette énergie déployée par Gabriel pour ne pas sortir de son monde, du cocon de l'enfance et de l'impasse. Mais comme la violence rattrapera sa mère désespérément, elle s'imposera à lui par des actes terrifiants.

Dans la seconde partie du récit, la violence est partout, atténuée d'abord par l'atmosphère protectrice de l'impasse qu'elle finit pourtant par faire voler en éclats. J'ai préféré ce second temps du récit, parce que la réalité apparaît dans toute sa violence et dans son ambiguïté. Par contraste, le début du récit est trop tendre, trop idéalisé comme peut l'être le monde des enfants, rêvé. Mais petit à petit Gabriel perd sa candeur et rejoint ses copains qui, eux, ont déjà perdu cette innocence.

Lac Kivu - Rwanda


Même s'il m'est difficile de l'admettre à la lecture des avis dithyrambiques lus ici et là, je ne ferai pas de ce texte un coup de cœur. Peut-être parce que je l'ai lu juste après Le garçon, de Marcus Malte, qui m'a laissé une si forte impression. Sûrement parce que le style m'est paru trop classique après la poésie qui se dégage du livre de Marcus Malte. La seconde partie a compensé la première, un peu trop simple à mon goût. La construction est néanmoins très intelligente, justement par l'opposition entre une première partie "gentillette" et la seconde où l'on bascule dans l'horreur du génocide. De la même manière, Gabriel quitte l'enfance pour entrer dans ce monde sans concession, d'une violence inouïe.

Gaël Faye, qui a transposé ses origines dans le personnage de Gabriel, indique dans une interview qu'il n'a "pas eu besoin de ce livre pour déposer un fardeau ou pour être dans une forme de thérapie par l’écriture. La musique [lui] avait permis déjà de franchir ce pas. Ce roman, [il l'a] écrit beaucoup plus en souriant qu’en pleurant." J'ai trouvé cette phrase très juste car c'est mon ressenti à la lecture de ce texte : il y est question d'un épisode historique dramatique, mais qui nous est exposé avec une certaine distance. Comme il le dit plus loin dans l'interview, Gaël Faye "aborde [surtout dans ce roman] la question du paradis perdu".

Un texte à découvrir sans hésiter, malgré mes petites réserves.

D'autres avis partout sur les blogs, et notamment chez Argali, Alex, Estelle Calim ou encore Miss Alfie... pour ne citer qu'elles.










4 commentaires:

  1. Je trouve qu'il aborde bien cette idée du passé perdu.

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    1. En effet. C'est en écrivant l'article que ce sentiment du passé perdu m'est réellement apparu. Je ne l'avais pas ressenti à ce point à la lecture. Il m'a fallu prendre le temps de digérer ma lecture.

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  2. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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