27 novembre 2016

L'amour a le goût des fraises - Rosamund Haden

C'est le hasard qui m'a guidée vers ce titre. En furetant dans ma librairie habituelle, j'ai aperçu ce livre sur la table des nouveautés (c'était déjà en mai cette année). J'aime bien cette maison d'édition et le titre m'a séduite. A la lecture de la quatrième de couverture, j'ai confirmé mon choix, qui devait m'entraîner vers des territoires littéraires nouveaux pour moi. Je m'aventure en effet rarement vers l'Afrique dans mes lectures. Et juste après Petit pays, de Gaël Faye, je retrouve ici en toile de fond la guerre du Rwanda qui a fait fuir Françoise et sa sœur Doudou en Afrique du sud.

L'amour a le goût des fraises de Rosamund Haden.
Éditions Sabine Wespieser, mai 2016. 399 pages.




Présentation de l'éditeur :

L'annonce de la mort brutale, dans la force de l'âge, du peintre Ivor Woodall sème la consternation parmi ceux qui fréquentaient son cours de dessin.
Françoise, une jeune Rwandaise réfugiée au Cap, était modèle pour arrondir ses fins de mois. Elle découvre avec inquiétude la nécrologie – accompagnée d'une invitation à une exposition posthume où figure son propre portrait par Ivor – dans un bus la ramenant de Lubumbashi. Elle y était partie en catastrophe sur les traces de sa jeune sœur, la plantureuse et imprévisible Doudou, dix-sept ans, qui tentait de vendre au Congo la voiture volée quelques mois auparavant… à Ivor Woodall. La sage Françoise, l'aînée, essaie tant bien que mal de préserver le fragile équilibre que les deux jeunes filles ont retrouvé en arrivant en Afrique du Sud, après des mois d'errance. De mère tutsie, elles avaient fui le Rwanda au moment du génocide, après le remariage de leur père avec une Hutue.
Stella, elle, était élève du cours de dessin depuis peu de temps. La perte d'Ivor la plonge pourtant dans un profond désarroi, elle qui était tombée par hasard sur l'atelier du peintre parce que s'en échappaient les paroles d'une chanson de Miriam Makeba. L'amour a le goût des fraises, elle ne cessait de l'écouter avec sa mère, dont elle ne parvient pas à surmonter la mort récente.
Rosamund Haden, explorant le passé de ses deux protagonistes et de leur entourage – la jeunesse du Cap –, livre de magnifiques portraits de femmes, mais tient aussi son lecteur en haleine. Semant les indices au fil d'une narration diaboliquement construite, elle le conduit à un dénouement qui lève le voile de manière plutôt inattendue sur une bien soudaine disparition.


Ma lecture :
"Françoise enroule la page "Décès" du journal autour du papier blanc graisseux contenant son poulet et ses frites. Pour que sa sœur Doudou ne la lise pas. Il est dangereux de montrer à Doudou la moindre chose importante. Doudou est une utilisatrice ; Françoise, une rétentrice : de secrets, de chagrins." (L'amour a le goût des fraises, Rosamund Haden- Ed. Sabine Wespieser - mai 2016 - page 15)

Rosamund Haden, auteure sud africaine, nous offre ici un roman polyphonique où se répondent les voix de Françoise et Stella, les deux jeunes femmes sur lesquelles repose ce récit. Nous sommes au tout début des années 2000 et toutes deux participent au cours de dessin d'après modèle dispensé par Ivor Woodall, peintre réputé du Cap. L'une est modèle, l'autre s'essaye au dessin. Toutes deux sont plutôt discrètes, à la recherche d'un nouvel équilibre dans leur vie bouleversée par la guerre et la fuite pour l'une, Françoise, et par la mort d'une mère, pour Stella. Les deux jeunes femmes se croisent sans jamais se rencontrer réellement : l'une pose, l'autre dessine. Françoise, de mère Tutsie, a fuit le Rwanda, son père et sa belle-mère, Hutue pleine de haine et de violence. Elle garde espoir de retrouver sa mère, Tutsie, qui avait fuit le pays au début de la guerre. Stella, elle, a perdu sa mère quelques mois plus tôt, et tente de faire son deuil de cette mère artiste elle-même, pleine d'assurance et de confiance en elle, qui confisque à Stella son premier amour d'adolescente mal dans sa peau.




Ce sont deux parcours qui se croisent au long des 400 pages du livre : l'une, Françoise, qui cherche ses racines et sa mère, aura grandit trop vite dans un monde de violence où elle se retrouve responsable d'une sœur insouciante et égoïste, Doudou ; l'autre, Stella, essaye de faire le deuil de sa mère et de son amour d'adolescente, Ivor justement, rencontré au cours d'un voyage en Grèce. Des pages doivent se tourner, qui impliquent souffrance et résignation.
"Sa mère était étalée en travers du lit. Dans son sommeil, ses cheveux blonds foncé s'étaient déployés en vrilles sur l'oreiller. Pour la première fois, Stella l'avait regardée comme une étrangère. Cette femme était sa mère. Curieux. Comment pouvaient-elles être si différentes, partager les mêmes gênes ? Stella devait porter ceux de son père. Mais elle ne le rencontrerait jamais. Pour la première fois, elle se sentait exister dans un monde distinct de celui de sa mère. C'était à la fois terrifiant  et excitant. Sa mère avait alors ouvert les yeux et souri." (L'amour a le goût des fraises, Rosamund Haden- Ed. Sabine Wespieser - mai 2016 - page 202)

A côté de Françoise et Stella, on entend aussi les voix de Doudou, Jude, Luke, Timothy et des autres participants du cours de dessin. On découvre le milieu très bohème d'Ivor, mentor qui affiche son autorité sur ses élèves, et sa faiblesse pour ses petits protégés, ces jeunes garçons qui squattent dans sa propriété, entre drogue, alcool et sexe.

Ce roman est riche, les portraits de femmes sont touchants, les caractères sont forts, plus ou moins aimables, rien n'est lisse. Beaucoup de choses s'expriment, grâce aux personnages, au contexte de cette ville, du pays, du continent. Il y est question de la guerre, de la pauvreté, de la mort, de l'amour, de l'amitié, de la jalousie, de l'art...

Le Cap - Afrique du Sud

Un bémol cependant, dans la construction du roman qui ne veut pas se satisfaire d'un récit chronologique, et qui commence aujourd'hui, nous parlant de Françoise et de Stella comme si nous les connaissions déjà, avant de nous entraîner quelques mois plus tôt et de nous donner les clés de compréhension de l'histoire. L'alternance des narrateurs, les allers retours entre le temps présent et le passé suffisaient à donner du rythme au récit. Nul besoin selon moi de cet effet de style au début du roman qui aurait pu avoir pour effet de me décourager à poursuivre ma lecture. Le dénouement, lui, que l'on ne voit pas venir, nous fait revisiter le roman à cette lumière nouvelle.

Une belle découverte qui me donne envie de lire l'autre roman de Rosamund Haden, L'église des pas perdus.






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