Un premier roman percutant, une très belle plume.
122 pages particulièrement prometteuses. Le récit d'une descente aux enfers, d'une ambition démesurée qu'une histoire familiale finit par rattraper. Un texte vif, dense où beaucoup de sujets sont abordés dans une écriture efficace, qui va droit à l'essentiel.
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De la blessure que lui firent les fils de fer barbelés, alors qu’elle s’élançait, confiante, dans un champ où broutaient des vaches, la petite fille n’a gardé qu’une trace sur le bras. Elle qui ne voulait pas grandir a réussi un parcours sans faute. Son enfance terne, sa première histoire d’amour avec un jeune homme aussi rangé qu’elle, elle les a remisées bien loin. Marjorie, après de brillantes études, est devenue la « plume » d’un ministre. Caparaçonnée dans ses certitudes, belle et conquérante, elle se joue des hommes et de son passé.
Mais le numéro qui s’affiche sur l’écran de son téléphone portable tandis qu’elle s’apprête à rejoindre son ministère, elle le reconnaîtrait entre mille, bien qu’elle ne l’ait plus composé depuis longtemps : sa mère l’appelle au chevet de son père mourant. Quand, au volant de sa puissante voiture, elle quitte l’autoroute qui la conduisait chez ses parents, pensant prendre un raccourci, un choc violent la fait s’arrêter net. Elle vient de heurter un animal. Bouleversée, tremblante dans la nuit de la forêt, elle recueille le dernier souffle du grand cerf qu’elle a tué. Et c’est à ce moment que sa vie bascule.
L’Odeur du Minotaure, comme les contes initiatiques auxquels il s’apparente par l’extrême concision de sa langue et la simplicité de sa structure, est un beau roman de la métamorphose.
Premier titre proposé dans le cadre des Lectures Communes du Comité de Lecteurs de décembre, L'odeur du minotaure est une très belle découverte ! Les premières pages du livre sont particulièrement percutantes. Écrites dans un style très vif et cinglant, elles nous présente une petite fille fonceuse, à qui rien ne fait peur. Bosseuse, cette fille unique a de l'ambition et est prête à renier sa famille et son milieu pour atteindre les sommets et devenir "la plume" d'un Ministre. Hautaine, fière, elle a mis son cœur et ses sentiments sous clé, enfermés à double tour. Rien n'a plus d'importance désormais que les entrefilets qu'elle découvre dans les journaux et qui la présente comme une jeune femme aux dents longues. Peu importe les critiques du moment que l'on parle d'elle. Dominatrice, elle a tous les attributs de la femme puissante. Cette première partie du livre est époustouflante.
"J'aurai humilié mes parents jusqu'au bout : quand j'ai commencé à gagner ma vie, je leur ai envoyé un chèque avec tout ce qu'ils avaient déboursé pour moi cette année-là ; comme on donne leurs gages à des employés diligents pour leur signifier qu'on n'a plus besoin d'eux. Et puisqu'ils n'encaissaient pas le chèque, j'ai fait un virement bancaire." (L'odeur du minotaure - Marion Richez - Ed. Sabine Wespieser - août 2014 - page 15)
Ce paragraphe est significatif de cette froideur dont fait preuve Marjorie, jeune trentenaire prête à tout écraser sur son passage pour conserver sa place.
Oui mais voilà, tout ne se passe pas comme prévu et la jeune femme se retrouve brutalement face à elle même, avec ce cœur qui sort de sa cage, cette conscience qui refait surface avec violence. S'ensuit un étrange passage où la jeune femme laisse s'exprimer l'animal qui est en elle (ou l'esprit de l'animal). Cette second partie du récit, pas totalement fantastique, aux confins d'un imaginaire (ou d'un vécu) fantasmagorique, déstabilise. Marjorie perd cette indestructible assurance et commence à vaciller pour progressivement sombrer dans la folie.
Et c'est là la troisième partie de ce roman, où l'on perçoit la folie à travers les pensées de la jeune femme. Le lecteur est constamment sur le fil, ne sachant s'il doit conclure à la folie ou si le raisonnement de la narratrice pourra la sauver.
"Il n'y a pas pire cruauté qu'un animal des forêts jeté dans une ville. C'est la folie pour lui à coup sûr, la démence, le corps heurté contre les pierres, sa conscience brisée. Pourtant, je dois sortir, retrouver la piste des odeurs aimées, le doux tapis des feuilles pourrissantes dans les sous-bois, moelleux au sabot, les copeaux de pins rouge vif jaillissant sous les coups furieux de ma jeune ramure."(L'odeur du minotaure - Marion Richez - Ed. Sabine Wespieser - août 2014 - page 70)
Certains passages sont surréalistes, tel cette rencontre avec la vieille dame, qui me fait penser à cette "vieille dame", dans un livre de ma fille, qui accueille par une froide nuit d'hiver un petit ours qui ne parvient pas à trouver le sommeil. Dans ce récit pour enfants, il n'est jamais dit de façon explicite que cette "vieille dame" pourrait être la lune, mais les dernières phrases peuvent nous le laisser imaginer. J'ai trouvé que dans ce roman de Marion Richez, la "vieille dame" avait cette même saveur d'irréel, accueillante, bienveillante, mais pas tout à fait réel non plus.
Le dénouement de cette histoire est également très surprenant, et l'on finit par se demander si l'Histoire et les récits mémoriels répétés ne seraient pas un poids trop lourd pour les jeunes gens de notre époque (cf le thème de L'oubli, de Frederika Amalia Finkelstein).
Un regret néanmoins, pour ce qui me concerne, j'aurais aimé que l'auteure creuse plus ce qu'étaient les relations, ou l'absence de relations, entre Marjorie et sa famille. Ce thème m'est paru particulièrement fort dans la façon dont il est abordé dans ce livre, si douloureux également, que j'aurais aimé que Marion Richez développe plus. Cette absence totale d'attachement de la jeune femme pour sa famille est exprimée avec une telle force que j'aurais aimé pouvoir mieux la comprendre.
"J'ai un mouvement de colère qui me fait dévier légèrement de la route. J'aurais voulu être comme les chats, qui se déprennent des tétines de leur mère et grandissent en parfait oubli. A quoi ça rime d'avoir un père et une mère quand on a trente ans ? Est-ce qu'on ne pourrait pas être comme des îles ?" (L'odeur du minotaure - Marion Richez - Ed. Sabine Wespieser - août 2014 - page 35)
L'odeur du minotaure de Marion Richez. Sabine Wespieser Éditions, août 2014. 122 pages.
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Il s'agit d'une lecture commune du Comité de lecteurs de décembre, de ma 12ème lecture de cette rentrée littéraire 2014 (2% !), d'un premier roman et d'une plume au féminin.
Un livre qui nous entraine dans la folie ? Pas en ce moment.
RépondreSupprimerLa folie, oui, mais sans souffrance ni douleur aucune. Avec finalement une infinie douceur et un sentiment de retour à l'essentiel. Subtil.
SupprimerJe l'ai sur ma pile à lire - et me réjouis de le lire. Merci d'avoir partagé ces impressions, qui me rendent curieux! Et merci pour ta participation au Défi Premier roman.
RépondreSupprimerLe titre est facile à retenir. Je retiens donc.
RépondreSupprimerBonne fin de semaine.
Pas la même lecture pour moi, mais j'ai bien aimé également. Je suis sans doute resté plus en surface que toi, mais je ne sais pas nager...
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