03 mars 2020

Nirliit - Juliana Léveillé-Trudel



 

Une jeune femme du Sud qui, comme les oies, fait souvent le voyage jusqu'à Salluit, parle à Eva, son amie du Nord disparue, dont le corps est dans l'eau du fjord et l'esprit, partout. Le Nord est dur « il y a de l'amour violent entre les murs de ces maisons presque identiques » et la missionnaire aventurière se demande « comment on fait pour guérir son cœur ». Elle s'active, s'occupe des enfants qui peuplent ses journées, donne une voix aux petites filles inuites et raconte aussi à Eva ce qu'il advient de son fils Elijah, parce qu'il y a forcément une continuité, une descendance, après la passion, puis la mort.
Juliana Léveillé-Trudel livre un récit d'amour et d'amitié beau et rude comme la toundra. Nirliit partage la « beauté en forme de coup de poing dans le ventre » qu'exhale le Nord.

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Quand nos libraires s'envolent pour le Québec, elles nous ramènent forcément des livres et de belles histoires. Et parmi ces découvertes, une maison d'édition, La Peuplade, et une auteure, Juliana Léveillé-Trudel, qui nous offrent un très beau livre : Nirliit.

Avant de vous parler du contenu, je ne peux ne pas évoquer le contenant. Parce que ce livre est un objet précieux : son format, les couleurs de sa couverture, la mise en page et les caractères choisis en font un livre à part, poétique. Rien que la forme, en plus du titre et de l'univers dans lequel le récit prend place, m'a donné envie de découvrir le texte.

Direction le Grand Nord du Québec, dans la province du Nunavik, là où les neiges et la glace recouvrent le pays une bonne moitié de l'année. Une province qui réunit 13 000 habitants, sur une surface grande comme l'Espagne et à peine plus petite que la France métropolitaine. L'histoire se déroule à Salluit, un village de 1 483 habitants, situé tout au nord de la province du Nunavik. Y vivent des Inuits, isolés dans un environnement à couper le souffle. Isolés… pas tant que ça, et c'est bien le problème au cœur de ce récit. Car chaque été, y débarquent de nombreux travailleurs venus notamment du Québec et du Canada, pour construire des maisons, instruire les enfants, et profiter du temps un peu plus clément pour faire les travaux qui ne peuvent être réalisés sous la neige.

C'est comme en Afrique, c'est bizarre… Comment deux coins du monde si éloignés l'un de l'autre peuvent-ils se ressembler autant?
Ce n'est pas bizarre: tout le monde est pareil au fond. Sauf les Occidentaux. Indian time, African time, Mexican time, c'est le même temps, c'est nous [les Occidentaux] qui vivons à l'envers, et c'est nous qui sommes convaincus d'avoir raison.

Et c'est bien de cela dont il est question dans ce premier roman de Juliana Léveillé-Trudel, auteure québécoise, née à Montréal. Des peuples autochtones détruits à petit feu par le capitalisme et la culture occidentale. Une nature exploitée par l'homme blanc, qui peut être noir parfois, et qui pense se dédouaner en arrosant les populations locales d'argent et d'alcool. Il est terrifiant de voir ce que notre mode de vie est capable de produire, de détruire plutôt.

Dans ce village du bout du monde où personne ne parle français (mais quel québécois installé chaque été à Salluit parle l'inuktikut ?), des hommes arrivent chaque été pour travailler. Ils viennent seuls, laissant leur famille au pays, et séduisent les (très) jeunes filles du village, prêtent à tout pour s'envoler elles aussi. Pas encore adultes, elles donnent naissance à des enfants qui erreront bientôt dans les rues du village, à la charge de qui voudra bien s'en occuper. Très vite abandonnées, voyant s'effondrer leurs rêves d'une vie meilleure, d'un vrai lit où abriter leurs amours, ces jeunes femmes perdent vite leur innocence et sombrent dans les affres de l'alcool et de la drogue. Les pères, ces hommes blancs arrivant et repartant avec les oiseaux migrateurs (les oies sauvages, Nirliit), n'auront pas connaissance de leur progéniture (et éviteront soigneusement de se renseigner).

"Et vous mourrez. Vous n'en finissez plus de mourir, il y a tous ces accidents stupides qu'on pourrait éviter, il y a la toundra impitoyable qui ne vous laisse aucune chance, il y a les maladies que nous n'avons plus, comme la tuberculose, mais qui vous attaque encore parce que vous vivez dans des conditions sanitaires dignes de 1850, il y a tout ça mais en plus vous vous tuez vous-même, crisse."

Malgré un contexte tragique et révoltant, Juliana Léveillé-Trudel parvient à diffuser une certaine poésie, de la douceur, dans ce récit. Comme partout à travers le monde, les habitants de Salluit rêvent d'amour et de paix. Ils espèrent en un avenir lumineux. Il y a aussi des personnages qui apportent l'espoir, comme Suzanne, prof de sixième année à Salluit depuis quinze ans, "levée aux aurores chaque jour pour préparer ses célèbres sandwichs aux oeufs, vendus à l'école toute l'année pour payer des séjours au Sud à ses élèves les plus persévérants." ou Rémi qui vit à l'année et tient le bistrot du village, lieu de discussion et socialisation. Rémi qui vient de loin, qui regarde et ne juge jamais, qui reste à distance, comme les habitants de Salluit.

Bref, je vais en rester là... pour simplement vous conseiller vivement de le lire.

Nirliit - Juliana Léveillé-Trudel
Editions La peuplade - 23 août 2018 (France) - 173 pages




Salluit - Nunavik


3 commentaires:

  1. Tiens, je viens justement de le recevoir en cadeau. Ce billet va m'inciter de lire vite au lieu de l'oublier dans ma vaste PAL !
    Bon jeudi.

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    1. En cette période d'isolement, ce n'est sûrement pas un livre à mettre de côté ;-) Un beau cadeau.

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  2. Je l'avais noté car conseillé lors d'une formation sur la littérature canadienne ... merci pour ce rappel !

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