Que de (belles) surprises en cette rentrée littéraire ! Sans le Comité de lecteurs de la bibliothèque que je fréquente, il est certain que je ne me serais pas tournée vers ce titre. Pas plus que je ne me serais laissée tenter par le dernier roman de Maylis de Kerangal, Un monde à portée de main. Or, pour ces deux titres, je serais passée à côté d'un beau moment de lecture. Si je fais ce lien entre les deux récits, c'est qu'ils me paraissent très proches dans leur formation. En effet, dans les deux histoires, l'essentiel n'est pas dans l'intrigue, mais dans le thème artistique que les auteurs ont choisi de creuser : le trompe-l'œil (et la préhistoire) chez Maylis de Kerangal, la photographie, et plus précisément la photo de guerre, chez Jérôme Ferrari. A chaque fois, j'ai pris plaisir à découvrir ces univers si singuliers et passionnants.
A son image - Jérôme Ferrari.
Éditions Actes Sud, août 2018, 224 pages.
Présentation de l'éditeur :
Par une soirée d’août, Antonia, flânant sur le port de Calvi après un samedi passé à immortaliser les festivités d’un mariage sous l’objectif de son appareil photo, croise un groupe de légionnaires parmi lesquels elle reconnaît Dragan, jadis rencontré pendant la guerre en ex-Yougoslavie. Après des heures d’ardente conversation, la jeune femme, bien qu’épuisée, décide de rejoindre le sud de l’île, où elle réside. Une embardée précipite sa voiture dans un ravin : elle est tuée sur le coup.
L’office funèbre de la défunte sera célébré par un prêtre qui n’est autre que son oncle et parrain, lequel, pour faire rempart à son infinie tristesse, s’est promis de s’en tenir strictement aux règles édictées par la liturgie. Mais, dans la fournaise de la petite église, les images déferlent de toutes les mémoires, reconstituant la trajectoire de l’adolescente qui s’est rêvée en photographe, de la jeune fille qui, au milieu des années 1980, s’est jetée dans les bras d’un trop séduisant militant nationaliste avant de se résoudre à travailler pour un quotidien local où le “reportage photographique” ne semblait obéir à d’autres fins que celles de perpétuer une collectivité insulaire mise à mal par les luttes sanglantes entre clans nationalistes.
C’est lasse de cette vie qu’Antonia, succombant à la tentation de s’inventer une vocation, décide, en 1991, de partir pour l’ex-Yougoslavie, attirée, comme tant d’autres avant elle, dans le champ magnétique de la guerre, cet irreprésentable.
De l’échec de l’individu à l’examen douloureux des apories de toute représentation, Jérôme Ferrari explore, avec ce roman bouleversant d’humanité, les liens ambigus qu’entretiennent l’image, la photographie, le réel et la mort.
Ma lecture :
Ne nous y trompons pas : le sujet de ce roman n'est pas Antonia, mais la photographie de guerre. Quand on rencontre la jeune fille pour la première fois, c'est quelques heures avant sa mort dans un accident de voiture. On assiste ensuite à la cérémonie religieuse, au cours de laquelle ses proches, et plus particulièrement le prête, qui est aussi son parrain, se souviennent de la jeune fille qu'elle était. Ou plutôt, de la vie qu'elle a vécue dans cet univers du reportage photographique.
L'auteur nous présente deux faces du même art qu'est la photographie. Il y a d'un côté le reportage "alimentaire" que représente la prise de vues lors de divers évènements tels que les 50 ans de mariage de Monsieur et Madame, le loto du quatrième âge, le tournoi de pétanque de l'association du coin… et, le summum, le reportage photos proposé lors des mariages. A l'opposé, figure la photographie artistique qui n'a d'autres finalités que de produire une œuvre d'art. C'est la face noble de la photo. Entre les deux, se situent d'autres motifs photographiques comme le sont les reportages de guerre.
Marvyn O'Gorman - Autochrome - 1913 |
C'est le premier livre de Jérôme Ferrari que je lis. Mais il semble que ce thème de la représentation de guerre occupe une place importante dans son œuvre. Il a notamment écrit A fendre le cœur le plus dur, avec Olivier Rohe, une réflexion sur la représentation de la violence, sur ce que le photographe peut légitimement montrer et ce qu'il doit garder pour lui. C'est ce thème qui est très largement repris dans ce récit. L'auteur s'appuie ici sur deux photographes pour illustrer et porter la réflexion : Gaston Chérau, dont il est également question dans A fendre le cœur le plus dur, et Rista Marjanovic. Tous deux ont photographié la guerre : Chérau en Lybie entre 1911 et 1912, Marjanovic dont le travail témoignera des guerres du XXème siècle. Les réflexions présentées par Jérôme Ferrari sur la distance à prendre avec le sujet, sur la nécessité de parfois ne pas montrer, sur l'irruption de l'art aussi dans la prise de vue… sont passionnantes. Dans un monde où aujourd'hui tout est montré, traqué, exposé à la vue de tous, ces considérations sont très pertinentes.
Antiona se confrontera à toutes ces questions au cours de sa carrière : son rôle, médiocre, de reporter local, ses aspirations à témoigner de l'Histoire, avec les photos des nationalistes corses d'abord, puis celles de la guerre en Yougoslavie au début des années 1990. Elle navigue entre ses deux faces d'une même pièce, se laisse griser par ces photos de cadavres prises au plus près, du nationaliste corse fusillé dans sa voiture aux soldats yougoslaves abandonnés au bord de la route. A aucun moment elle n'aura le sentiment de photographier la mort, des être humains qui plus jamais ne respireront. Elle aime ressentir cette fébrilité lorsqu'elle se trouve au cœur du combat.
Au milieu de ces réflexions, digressions, apartés sur l'histoire de la photographie, on assiste également à l'histoire d'amour entre Antonia et Pascal B., un militant de la cause corse. C'est l'occasion, comme chez Maylis de Kerangal, d'apporter un peu d'humanité à ce récit très orienté sur l'art et sa pratique. J'ai cependant trouvé chez Jérôme Ferrari moins de passion, de sensualité, de fougue ou d'ardeur artistique que chez Maylis de Kerangal. Je n'ai pas ressenti pour Antonia l'intérêt, voire l'empathie, que je pouvais avoir pour Paula, l'élève copiste de Un monde à portée de main.
A son image est un passionnant roman, très instructif, qui fait découvrir au novice l'univers de la photographie. Il m'a juste manqué d'un peu de chaleur humaine pour en garder un souvenir inoubliable. Cela n'en reste pas moins une belle surprise de mes lectures de cette rentrée littéraire.
la réflexion autour des photos et de la guerre est très intéressante!
RépondreSupprimerJe pense que je le prendrai à la Médiathèque. Le thème m'intéresse.
RépondreSupprimerBon dimanche.
Pour la culture photographique, sans hésiter !
SupprimerMoi aussi, c'était le premier livre de Ferrari que je lisais... Une belle surprise.
RépondreSupprimerUn auteur dont j'apprécie tous les romans jusqu'à présent.
RépondreSupprimer