10 novembre 2018

Khalil - Yasmina Khadra

En voilà enfin un qui faisait partie de ma wish-list. Pour ma 8ème lecture de cette rentrée littéraire, je me suis laissée conduire dans le sombre univers du terrorisme, à la fois si proche et si lointain. De Yasmina Khadra, j'avais lu et beaucoup aimé Les hirondelles de Kaboul. Avec Khalil, je retrouve cette écriture simple et fluide qui sert un propos et une réflexion essentiels. Car même si l'écriture est de qualité, ce n'est pas là l'essentiel. A travers des sujets incontournables de notre époque, Yasmina Khadra nous donne matière à réflexion. Il nous donne des clés pour aller regarder dans ces mondes que nous côtoyons sans jamais les rencontrer ni les connaître vraiment. Un pari audacieux que ce récit du terrorisme contemporain.

Khalil - Yasmina Khadra.
Éditions Julliard, août 2018, 264 pages.


Présentation de l'éditeur :

Vendredi 13 novembre 2015. L'air est encore doux pour un soir d'hiver. Tandis que les Bleus électrisent le Stade de France, aux terrasses des brasseries parisiennes on trinque aux retrouvailles et aux rencontres heureuses. Une ceinture d'explosifs autour de la taille, Khalil attend de passer à l'acte. Il fait partie du commando qui s'apprête à ensanglanter la capitale.
Qui est Khalil ? Comment en est-il arrivé là ?
Dans ce nouveau roman, Yasmina Khadra nous livre une approche inédite du terrorisme, d'un réalisme et d'une justesse époustouflants, une plongée vertigineuse dans l'esprit d'un kamikaze qu'il suit à la trace, jusque dans ses derniers retranchements, pour nous éveiller à notre époque suspendue entre la fragile lucidité de la conscience et l'insoutenable brutalité de la folie.


Ma lecture :

Si cela n'avait pas été Yasmina Khadra, je ne pense pas que je me serai tournée vers ce livre. Le sujet me semblait trop polémique pour ne pas être racoleur. Mais le traitement qu'en propose l'auteur, tout en retenue et en pudeur, permet d'entrer dans ce récit avec confiance. Il nous place pourtant dans l'esprit de Khalil, qui projette de se faire exploser dans le métro parisien, à la fin du match de l'équipe de France ce funeste 13 novembre 2015. Mais il le fait avec, m'a-t-il semblé, beaucoup de respect pour les vraies victimes de ces massacres. Car nous quittons vite Paris pour découvrir en Belgique le quotidien de ce Khalil. L'auteur ne s'attarde pas sur les morts, mais cherche plutôt à comprendre ce qui a pu conduire ce jeune homme, imaginaire, à vouloir devenir un kamikaze.

On découvre, ce que l'on sait déjà, le parcours de cette jeunesse désabusée et désœuvrée, sans espoirs et sans rêves, qui cherche dans la religion ce qui pourra être un phare dans la nuit, la lumière au bout du tunnel. Nous avons tous besoin de quelque chose à quoi nous raccrocher pour avancer dans la vie : une carrière, une famille, des passions, des amis, des rêves… Mais pour cette jeunesse qui grandit à l'écart, dans des quartiers abandonnés à eux-mêmes, dans des familles qui ont vu leurs rêves d'émancipation et d'ascension sociale s'effondrer, qui n'offrent pas le cadre et l'autorité à une évolution structurée, à quoi peuvent-ils bien se rattacher ? Naviguant de petits jobs en boulots au noir, sans le sous et sans espoirs, cette jeunesse est une proie facile pour tous ces marchands de mort.

Pour travailler auprès de ces quartiers, avec des professionnels qui côtoient ces jeunes tous les jours, je sais que toute la place que nous laisserons sera prise par ces pseudo religieux qui cherchent à détruire cette cohésion que nous nous acharnons à construire. L'aide et le soutien que nous n'apportons pas, eux le donneront. Cela prend la forme de prêches dans les caves des immeubles, mais aussi de pseudo cours de soutien à la scolarité ou sorties familiales. Quand l'Education Nationale est empêchée de donner sa chance à chaque enfant de la République, ce sont ces Emir (je ne sais pas si le terme est juste) qui prennent le relai et façonnent les esprits. Ces attentats, c'est notre défaite à tous, nous sommes tous responsables de laisser ces quartiers vivre en vase clos et s'embraser périodiquement, responsables de ne pas soutenir les plus fragiles d'entre nous. Ce n'est pas en détournant notre regard que ce drame disparaîtra.

"Les grandes causes sont parfois l'aboutissement de vœux pieux ; elles naissent au détour d'une lueur d'espoir, se prolongent dans les gémissements d'un opprimé, s'affermissent dans la promesse d'un jour meilleur. Paradoxalement, lorsqu'elles consolident leurs rangs, elles se mettent à pécher par excès et à surenchérir jusqu'à réclamer l'extase dans l'autoflagellation. Ce qui était béni au départ s'en retrouve maudit ; ce qui était loué s'embourbe dans l'abjuration. Les serments d'hier nous deviennent des sommations, et celui qui cherchait le salut se surprend en train de courir à sa perte."

De ce point de vue, j'ai trouvé le texte de Yasmina Khadra très juste et très pertinent. D'un autre côté, pour ne connaître cette réalité que de très loin, comme la plupart d'entre nous, j'ai du mal à me convaincre que de tels drames peuvent ne résulter que d'un mépris social et culturel. Cela paraît si démesuré que je ne voulais pas croire qu'il ne s'agit que d'une expression de cette colère, récupérée et alimentée par des extrémistes, sous couvert de religion. Cette réserve m'a parfois donnée le sentiment de lire une version romantique de ces événements terroristes, avec un Khalil poussé à commettre un attentat par une condition sociale et familiale qui l'exonérerait presque de toute responsabilité. Et cela me gêne. Néanmoins, le récit nous montre bien qu'il s'agit malheureusement d'une affaire de rencontres, bonnes ou mauvaises, à un moment de l'existence où tout peut basculer. Et là, on ne peut que regretter l'absence de moyens suffisants pour œuvrer dans nos quartiers et prêter une oreille attentive à ces jeunes en quête de repères.

Ce qui m'a marquée également à la lecture de Khalil, ce sont les parallèles que j'ai pu faire entre les dogmes de l'Islam et notre culture chrétienne. Car quand on y regarde bien, cette souffrance nécessaire sur terre pour parvenir à un paradis de lumière et de joie éternelle, ce sens du sacrifice, de la soumission et du devoir, la place faite aux femmes également… tout cela ne me semble pas tellement éloigné… Travailler à diffuser le bonheur partout et chaque jour de cette vie, nous éviterait peut-être bien des drames et désillusions… Mais c'est un autre débat.

"Nous sommes tous soumis à l'épreuve, frère Khalil. Nul ne sait quand, ni où, ni comment s'éteindra sa flamme. Cette marge-là est du domaine du Seigneur. Dieu ne nous reprend que ce qu'il nous a prêté. Rien, sur cette terre, ne nous appartient. Ni la fortune ni notre propre progéniture. Celui qui accepte son sort aura compris l'objet de son existence su terre. Il dit "je reviens à Dieu en toutes circonstances" et le Seigneur lui donnera la force et le courage de surmonter ce qu'il n'a pu empêcher. Quant à celui qui s'insurge contre le malheur qui le frappe, celui-là ne fera qu'ajouter à sa douleur […]"

Le sujet n'était pas facile mais a été traité avec subtilité par Yasmina Khadra. S'il peut heurter ou déplaire par certains côtés, notamment par l'empathie que l'on se surprend à avoir pour Khalil, il a surtout le mérite de questionner et de générer débat et réflexion. Espérons aussi qu'il pourra provoquer l'action : pensez-vous que nos élus ont eu ce livre entre leurs mains ? A mettre surtout entre les mains des jeunes pour qu'ils aient "une longueur d'avance sur l'intégrisme islamiste", comme le dit Yasmina Khadra.

Un livre qui se lit d'une traite, dans un souffle, et qui me donne envie de revenir à cet auteur pour découvrir ses autres récits.



   




3 commentaires:

  1. J'en avais lu un précédent de cet auteur sur le même sujet.

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    1. Oui, je pense que c'est l'un de ses sujets de prédilection.

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  2. Yasmina Khadra est un écrivain talentueux!

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