13 mars 2016

Dire l'injustice - Festival des littératures - Nantes 2016

Difficile d'être présente partout, surtout quand le soleil est, enfin, au rendez-vous du week-end... mais impossible de ne pas y passer un moment. J'ai choisi ce dimanche pour aller faire un tour au Festival Atlantide qui se déroule comme chaque année au Lieu Unique. La thématique de cette quatrième édition était Les mots du monde.
L'occasion de réfléchir, avec des auteurs qui parlent du monde qui nous entoure et qui témoignent de la place de "la littérature dans les chaos du monde", qui dissertent autour de thématiques telles que "une littérature européenne à inventer ?" ou encore "Dire l'injustice", conversation à laquelle j'ai choisi d'assister.



De gauche à droite : Lyonel Trouillot, William Ospina, Hakan Günday (Festival Atlantide 2016)

La question posée aux écrivains était celle de la place de la littérature dans le monde contemporain, de son pouvoir de dénonciation et de sa responsabilité face aux injustices, exclusions et inégalités sociales vécues de par le monde.

Pour Hakan Günday, auteur notamment de Encore, un roman "d'une violente actualité qui nous plonge au cœur du trafic de clandestins et de ses complicités", l'écrivain reste toujours en deçà de ce que peut produire la réalité. Ainsi, quand il écrit Encore en 2013, il est loin d'être à la hauteur de l'imagination des Hommes, capables de vendre de faux gilets de sauvetage aux migrants pour tirer profit de l'actualité.

De son côté, Lyonel Trouillot souligne que "l'écrivain doit apprendre à regarder pour donner à voir" de la réalité et du monde qui l'entoure. Les gouvernements et ceux qui détiennent le pouvoir se donnent tellement de mal pour cacher cette réalité, qu'aujourd'hui "regarder est un acte subversif". Regarder, c'est aussi exprimer le désespoir, sans pour autant contrarier la nécessité d'aller de l'avant. L'écrivain a ce regard "éclairé, anthropologique", qu'il a le devoir de partager.

Mais comme il l'indique avec une pointe de fatalisme, "ce n'est pas avec la littérature qu'on changera le monde, qu'on trouvera du travail pour tout le monde, qu'on établira l'égalité entre les Hommes".

Nantes, qui s'est considérablement enrichie sur la traite négrière, connait le poids de son histoire. Selon Hakan Günday, le premier outil utilisé par l'homme est un autre homme, et il n'aura pas fallu bien longtemps pour déterminer le prix de cet outil. Ainsi, aujourd'hui, on a tendance à penser que "le monde est assez vaste pour l'on puisse rester sourd aux injustices qui se vivent à 10 000 km de chez soi". Cette supposition est une illusion, on ne peut pas cantonner les injustices à ce que nous montre la télévision. Dans un monde mondialisé, l'injustice traverse les continents et les océans, pour échouer tel le petit Aylan, sur nos plages trop propres.

"Il y a bien longtemps que l'on vit dans un même monde. Cependant, plus on parle de mondialisation, plus on érige de murailles pour s'en prémunir" (William Ospina). Aujourd'hui pourtant, l'Homme a la responsabilité de prendre en compte cette mondialisation, ne serait-ce que parce qu'il va bien falloir sauver la planète qui nous accueille. La littérature aussi a sa part de responsabilité pour mener ce combat. Elle est là pour alerter nous rappelle William Ospina. Aujourd'hui, il semblerait que le monde évolue pour ne conserver qu'une seule espèce sur Terre, l'Homme. Mais ce dernier doit prendre conscience que sans les autres espèces du monde vivant, l'Homme ne peut survivre. Détruire toutes les espèces animales et végétales est un acte suicidaire. Et c'est ce qu'il fait quand il détruit toutes les espèces non exploitables pour pouvoir cultiver du soja ou faire paître ses vaches, ou lorsqu'il extermine, lentement mais sûrement, les abeilles qui entrent dans le cycle des fructifications.

A ce titre, William Ospina ne parle pas, dans son livre Le pays de la cannelle, de découverte de l'Amérique, mais de couverture de l'Amérique. Depuis 5 siècles, l'Homme européen, occidental, détruit tout forme de culture alternative. Quand la majorité des cultures portent une attention à  la conservation de la nature, à son respect, la culture occidentale s'oriente avec entêtement vers la destruction.

     


Hakan Güday conclura cette discussion très riche sur la façon de dire l'injustice en littérature, par une formule de Céline selon laquelle le romancier fait le travail du chien de traîneau faisant avancer l'équipage, mais qui aboie quand la glace est trop fine pour en supporter le poids. Un aboiement n'est pas doux à l'oreille, il agresse, perturbe celui qui l'entend, mais il est tout de même salvateur. Mieux vaut aboyer que rester silencieux.

Une belle conclusion sur le rôle de l'écrivain et de la littérature.

Conversation "Dire l'injustice" - Festival Atlantide - Nantes 2016


Voici en synthèse la nature des échanges recueillis lors de la conversation "Dire l'injustice". Des discours qui m'ont donné envie d'en lire un peu plus, et je suis donc repartie de ce Festival avec deux titres : La belle amour humaine, de Lyonel Trouillot et Cœur tambour, de Scholastique Mukasonga, deux nouveaux auteurs pour célébrer la Francophonie.

 




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