En 1749, l'Académie de Dijon met au concours la
question suivante : "Si le rétablissement des sciences et des arts a
contribué à épurer les moeurs." Alors qu'il va rendre visite
à Diderot prisonnier à Vincennes, Rousseau feuillette le Mercure de France
qui publie la question : « Si jamais quelque chose a ressemblé à une
inspiration subite, écrira-t-il plus tard,
c'est le mouvement qui se fit en moi à cette lecture ; tout à coup,
je me sens l'esprit ébloui de mille lumières ; des foules d'idées vives
s'y présentèrent à la fois avec une force et une
confusion qui me jeta dans un trouble inexprimable. » A la question
posée, il répond par la négative et l'Académie couronne son Discours qui connaît un succès foudroyant.
Ma lecture :

Si les rêveries du promeneur
solitaire doivent se mériter, on ne tarde pas à se trouver concerné par ce premier Discours.
L'édition que j'ai choisie comprend une présentation et des annotations de Jacques Berchtold,
professeur de langue et littérature françaises à La Sorbonne et membre
du programme
scientifique autour de Jean-Jacques Rousseau. Sa contribution
apporte une véritable plus-value : il est rare que j'aille au bout des
présentation ainsi faites de textes importants, mais celle-ci
m'a vraiment intéressée. Les notes sont également riches
d'enseignement.
Le Discours lui, est construit en deux parties. Dans un premier temps, Rousseau présente sa position à travers des exemples historiques.
Il ne fait pas mystère de
l'orientation de sa démonstration, à total contre-courant des idées
de ce siècle : selon lui, les sciences et les arts n'ont en aucun cas
contribué à épurer les moeurs. Dans sa seconde partie,
Jean-Jacques Rousseau développe son argumentaire en s'appuyant sur
l'observation de la société de son temps. Cette partie est
particulièrement riche et m'est apparue toujours d'une très
grande actualité dans ses questionnements.
On perçoit bien dans ce Discours, l'un des premiers textes de
Jean-Jacques Rousseau (texte écrit en 1750), et au moins celui qui
apparaît comme fondateur, tout la substance de ce
qui constituera les ouvrages qui suivront, que ce soit le Discours sur les fondements et l'origine de l'inégalité parmi les hommes, l'Emile ou Du contrat social,
notamment. Le texte est particulièrement riche et nous interpelle sur bon nombre de questionnements.
J'ai pu noter, entre autres propositions, des remarques sur la place
des sciences et des arts dans la société et particulièrement le rôle
que peuvent leur faire jouer tant le gouvernement que les
lois. Nous ne sommes pas loin du "panem et circenses" de la Rome
antique. Faisant constamment référence aux Essais de Montaigne, Jean-Jacques Rousseau propose également une
vision idéalisée (ou peut-être pas...) du sauvage, pur et heureux dans son ignorance.
Quelles leçons pourraient également en tirer nos gouvernants !
Celles-ci sont tellement nombreuses qu'il est difficile de les citer
toutes. Je n'en relèverais qu'une seule :
"Quand
Cinéas prit notre Sénat pour une assemblée de rois, il ne fut ébloui ni
par une pompe vaine, ni par une élégance
recherchée. Il n'y entendit point cette éloquence frivole, l'étude
et le charme des hommes futiles. Que vit donc Cinéas de si majestueux ? Ô
citoyens ! Il vit un spectacle que ne donneront jamais
vos richesses ni tous vos arts ; le plus beau spectacle qui ait
jamais paru sous le ciel, l'assemblée de deux cents hommes vertueux,
dignes de commander à Rome et de gouverner sur la
terre." (Discours sur les sciences et les arts - Jean-Jacques Rousseau - Edition Le Livre de Poche - page 47)
La seconde partie est particulièrement dense. Chaque page m'a donné
l'occasion de prendre des notes. Jean-Jacques Rousseau nous présente
l'origine des sciences et des arts (les vices des Hommes
selon lui), nous questionne sur leur utilité. Il insiste ensuite sur
la relation nécessaire entre les sciences et les arts et le luxe,
interroge à nouveau sur l'argent et le rôle décisionnaire du
politique...
"Que nos politiques daignent suspendre leurs calculs pour réfléchir à ces exmples, et qu'ils apprennent une fois qu'on a de
tout avec de l'argent, hormis des moeurs et des citoyens." (Discours sur les sciences et les arts - Jean-Jacques Rousseau - Edition Le Livre de Poche - page 59)
Il intervient ensuite sur le rôle de la femme, celui de l'école, sur
la question de l'inégalité entre les hommes. Il met en balance les
géomètres, physiciens, chimistes, poètes et musiciens...
avec les citoyens, ceux "qui nous donnent du pain et qui donnent du lait à nos enfants." Il intervient enfin sur la
place de l'écrit et de l'imprimerie dans nos sociétés.
La place du lecteur par rapport au texte de Rousseau n'est pas si
facile à trouver : parfois on partage son point de vue, à d'autres
moment on doute...
J'ai hâte d'approfondir ma connaissance de l'auteur pour me forger
une opinion solide. J'attends pour cela la livraison de deux nouveaux
livres, dont une biographie de Jean Starobinski -
Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l'obstacle.
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