02 mai 2015

Je viens - Emmanuelle Bayamack-Tam

Seconde lecture sur le thème de la famille pour le rendez-vous de mars du Club de lecture proposé par Lise & moi. Après avoir traîner dans ma lecture de Notre famille qui m'a quelque peu déçue, je craignais que ce nouveau roman ne soit pas non plus à la hauteur de mes espérances, grandes si je me fie à la quatrième de couverture.
Le racisme, la vieillesse, la famille... sont des thèmes annoncés de ce roman. La langue doit être belle et forte, prendre la forme d'une farce. La quatrième de couverture laisse entrevoir une énergie et une vivacité, un humour que j'avais hâte de découvrir.
Dès les premiers mots, la première page, je sens que je vais être enthousiasmée par ce texte !


Présentation de l'éditeur :

Je viens vérifie la grande leçon baudelairienne, à savoir que le monde ne marche que sur le malentendu.
Je viens mouline les sujets qui fâchent, le racisme qui a la vie dure, la vieillesse qui est un naufrage, la famille qui est tout sauf un havre de paix.
Je viens illustre les lois ineptes de l'existence et leurs multiples variantes : l'amour n'est pas aimé, le bon sens est la chose du monde la moins partagée, les adultes sont des enfants, les riches se reproduisent entre eux et prospèrent sur le dos des pauvres, etc.
Mais pour accablante qu'elle soit, la réalité devrait pouvoir s'écrire sans acrimonie, dans une langue qui serait celle de la farce ou du vaudeville :
Je viens, c'est aussi la proclamation par Charonne de sa volonté de redresser les torts, de parler contre les lois ineptes et de faire passer sur le monde comme un souffle de bienveillance qui en dissiperait la léthargie et les aigreurs.

Ma lecture :

"L'un des grands avantages de la négligence parentale, c'est qu'elle habitue les enfants à se tenir pour négligeables. Une fois adultes, ils auront pris le pli et seront d'un commerce aisé, faciles à satisfaire, contents d'un rien. A l'inverse, ceux qu'on aura élevés dans le sentiment trompeur qu'ils sont quelque chose multiplieront à l'infini les exigences affectives, s'offusqueront au moindre manquement et n'auront de cesse qu'ils ne vous pourrissent l'existence. Faites le test." (Je viens - Emmanuelle Bayamack-Tam - POL éditeur - janvier 2015 - page 11)

Tout ce que j'ai adoré dans ce roman est contenu dans ces toutes premières lignes. Il y a la langue, les mots, le style, très contemporain, l'humour, caustique, et une énergie folle.

Ce roman est le récit de trois femmes, trois générations d'une même famille, trois autoportraits d'une même histoire, vue à travers des prismes très différents. Il y a d'abord Charonne, une jeune femme, noire, adoptée par une famille qui oscille entre un franc racisme et une incompréhension de la diversité et de l'altérité. Charonne, je l'ai adorée dès les premiers mots : elle est pleine de vie, entière, toute en rondeurs et en énergie. Charonne, je l'ai imaginée belle, flamboyante, vive, enthousiaste, discrète et bienveillante, curieuse, cultivée. Alors que ses parents adoptifs tentent de la rendre au Foyer d'Aide Sociale à l'Enfance, après s'être rendus compte qu'elle était vraiment noire, Charonne, 6 ans, fait un pas vers eux en se disant qu'elle s'est quand même attachée à cette étonnante famille. C'est cette vie de famille que Charonne, sa grand-mère, Nelly et sa mère, Gladys, vont nous raconter, chacune avec son propre vécu et son regard personnel.

"Je transpire. C'est ce qui arrive fréquemment aux petites filles quand elles sont grosses et noires - et nous touchons là au principal motif de déception de mes parents, même si la tête sur le billot ils n'en conviendraient pas : je suis noire. Des gens plus avertis s'en seraient aperçus tout de suite, mais voilà, au moment de mon adoption, j'étais plutôt d'une pâleur olivâtre due au confinement hivernal." (Je viens - Emmanuelle Bayamack-Tam - POL éditeur - janvier 2015 - page 14)
 
Les mots de ces trois femmes sonnent terriblement juste. Charonne est très seule mais également très forte, au sens propre comme au figuré, et elle se construit un avenir dans sa relation avec sa grand-mère, la seule à lui porter un intérêt sincère, sa découverte de la lecture et de la littérature, et dans son lien fantasmé avec le poète héroïnomane Coco de Colchide, de son vrai nom Roger Gilbert-Lecomte. L'intervention de ce personnage, que je découvre avec ce roman, est tout à fait savoureuse. Emmanuelle Bayamack-Tam ne nous dit pas grand-chose de cet homme, mais en cherchant un peu, on trouve qu'il s'agit d'un poète du début du XXème siècle, pilier de la revue Le Grand Jeu, un groupement de jeunes garçons expérimentant la rencontre entre visible et invisible, et ce par tous les moyens (stupéfiants, perte de la notion d'espace, de temps, privation de sommeil, et plus précisément pour Lecomte, excès en tout et pour tout). La présence surnaturelle de cet écrivain dans le récit est parfaitement jubilatoire. La relation littéraire entre Charonne et Coco, à un siècle de distance est très réjouissante et apporte beaucoup à l'atmosphère du roman.

"Coco, il faut le reconnaître, accueille complaisamment mes choix éclectiques, et nous passons de Bernanos à Mazo de la Roche sans qu'il y trouve à redire. Je n'ai pas encore osé lui proposer des auteurs contemporains mais il faut dire aussi qu'à part moi, personne dans cette maison n'aurait l'idée d'ouvrir une publication postérieure aux années 1970. Et d'ailleurs, je m'en tiens généralement à ce que je trouve dans la bibliothèque familiale, me fiant aux titres et plus encore aux illustrations parfois fanées : ah, Le Disciple de Paul Bourget, ces messieurs à chapeaux claques et lorgnons plongés dans une conversation grave et passionnée !"(Je viens - Emmanuelle Bayamack-Tam - POL éditeur - janvier 2015 - page 86)

Il y a ensuite Nelly, la grand-mère ex-star adulée qui revient pour le plaisir de sa petite-fille sur les articles et les photos de Paris Match. Mais le temps a passé et Nelly sent la fin toute proche. Elle profite de ses bons moments que lui offre Charonne, de l'énergie, l'optimisme et la fraîcheur que celle-ci lui apporte. Nelly est très réaliste sur sa vie passée et sur la femme qu'elle est devenue. Elle partage cette sagesse avec Charonne et garde pour elle les souvenirs de l'amante qu'elle a été pour son premier mari. Elle aura peut-être quelques regrets par rapport à sa fille dont elle n'aura pas su être suffisamment proche. Gladys, la fille de Nelly et mère adoptive de Charonne, est celle qui n'aura jamais trouvé un réel équilibre dans sa vie et qui sera passée à côté de tellement de bonheurs, faute de n'avoir pas su accueillir la vie avec bienveillance. Des malentendus, des non-dits, des incompréhensions... et la vie de cette femme est définitivement déstabilisée. Si les deux premiers chapitres m'ont emportés par tant d'énergie et de vie, d'optimisme et de bienveillance, le dernier, celui de Gladys, est empli de peine, de regrets et de détresse.




Les hommes dans ce roman n'ont pas le beau rôle. Racistes, feignants, égoïstes, violents et violeurs... C'est pourtant par eux que viendra la rédemption ; eux que l'on n'entend dans ce roman que par la voix des femmes, se laissent attendrir et emporter par la vie et l'optimisme. Le propos du roman est dur, sur fond de racisme, de violence, sociale et physique, d'isolement et de résignation. Mais le ton employé par l'auteur, son écriture alerte, en font un récit savoureux et dense.

Un roman que j'ai adoré et une plume réjouissante. Un auteur à suivre.

Je viens de Emmanuelle Bayamack-Tam.
P.O.L. Éditions, janvier 2015. 464 pages.


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Pour vous faire un autre point de vue, je vous invite à aller lire les billets de Clara, Yv (billet que je découvre à l'instant, ayant retardé ce moment pour ne pas me laisser influencer...), Moon ou encore Skywriter.

Il s'agit de ma seconde lecture pour le Club de lecteurs de mars (toujours pas en avance...) organisé par la librairie Lise & moi, et de ma troisième participation au Challenge de la rentrée littéraire d'hiver à retrouver chez Laure. C'est enfin une (superbe) plume au féminin.


http://itzamna-librairie.blogspot.fr/search/label/Comit%C3%A9%20de%20lecteurs http://biblimaginaire.blogspot.fr/ http://micmelo-litteraire.com/challenge-rentree-hiver-2015-la-page/



2 commentaires:

  1. Tu as pu voir que je suis mitigé et sévère, je l'ai sans doute lu trop au premier degré...

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  2. Deux avis vraiment très différents. Mais ton enthousiasme est communicatif.

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