25 octobre 2014

A l'orée de la nuit - Charles Frazier

Auteur : Charles Frazier
 Titre : A l'orée de la nuit

Broché : 384 pages
Éditeur : Grasset
Collection : Littérature étrangère
  Édition : 3 septembre 2014

Le cœur sombre de l'Amérique.






Présentation de l'éditeur :

Dans l’Amérique des Sixties, au fin fond des Appalaches où elle vit retranchée, loin des soubresauts du monde, Luce, jeune femme farouche et indépendante, se voit confier la charge des jumeaux de sa sœur défunte. Ayant vu leur père, Bud, une brute épaisse, assassiner leur mère, les orphelins traumatisés se sont réfugiés dans un mutisme inquiétant, où sourd une violence prête à exploser à tout moment. Patiemment, Luce va tenter de réapprendre la vie à ces deux écorchés vifs, et elle-même de reprendre goût à l’amour et à la compagnie des hommes. À celle, en particulier, de Stubblefield, nouveau propriétaire des terres où elle s’est établie. Mais leur idylle est menacée par le retour de Bud, blanchi du meurtre de sa femme et bien décidé à retrouver le magot que les deux enfants, croit-il, lui ont volé. C’est le début d’une longue « nuit du chasseur » : un western d’une beauté crue et crépusculaire, où Charles Frazier se révèle une fois de plus, après l’immense succès de Retour à Cold Mountain, comme l’un des grands romanciers des espaces américains.

Ma lecture :

Ce récit est celui des grands espaces américains, où la nature est omniprésente et dicte la vie des communautés humaines qui s'y sont aventurées. C'est aussi celui de la violence, des non-dits et de la résignation.

L'histoire se situe dans les années soixante, au fin fond des Appalaches et de paysages grandioses, où Luce et quelques autres, des anciens, observent le monde moderne s'emparer de la petite ville située de l'autre côté du lac. Cette petite communauté se recentre sur l'essentiel, les saisons et la nature, les animaux qui ne s'observe qu'en dehors de l'animation des villes.
"Elle ajouta qu'elle essayait autant que possible de s'affranchir de cette mauvaise idée qu'était l'argent. Sinon, quand on prenait un boulot, on vendait inévitablement son temps à quelqu'un qui en faisait peu de cas. Luce, à l'inverse, accordait beaucoup de valeur à son temps. Luce avait tout compris. Il fallait vivre loin de conneries du commerce. Utiliser aussi peu d'argent que possible." [A l'orée de la nuit - Charles Frazier - Ed. Grasset, page 211]

Le temps dont il est question ici est aussi un facteur essentiel de ce texte. Charles Frazier prend le temps de nous immerger dans des lieux, de nous faire découvrir des personnages, de nous faire partager leur histoire, souvent malheureuse, toujours triste. On ne rigole pas dans ce livre, le sujet est grave, pesant. La nature est grandiose et pesante à la fois, elle impose son rythme à la communauté. Les habitants de ce petit bourg sont également sombres : tenant de s'affranchir de la Loi pour défendre leurs prérogatives, ils ne sont jamais rappelés à l'ordre, le shérif et son adjoint défendant également leurs intérêts. La violence s'exprime parfois, elle est toujours latente, renforcée par cette loi du silence qui s'abat sur chacun, sur les plus faibles avec encore plus de force. Cette violence n'est jamais flamboyante, elle transpire dans les comportements de la communauté. Elle prend son temps mais reste omniprésente, et avec elle, la peur.

Charles Frazier nous parle de Luce, une jeune femme qui a cessé de vivre avec son temps après avoir subit une violence de trop. Elle s'échappe de l'autre côté du lac où elle observe le monde de très loin, dans une bulle de silence. Elle recueille un jour les deux jeunes enfants de sa sœur, assassinée par son mari sous leurs yeux. Les deux orphelins sont désormais muets, témoignant d'une violence qu'ils peinent à contenir. Ils s'installent dans le monde que tente de leur construire Luce, partageant avec eux son amour de la nature. Leur vie m'est apparue très animale, un peu comme la louve tenant d'apprivoiser les petits d'une autre femelle. Luce y va par tâtonnements, elle avance de quelques pas avant de reculer un peu. Ne pas effrayer et essayer de ramener les petits vers l'humanité, une société qu'elle même fuit. Les enfants, eux, se protègent de l'extérieur et de cette violence qu'ils ont connus.

"Ce dont ils ont besoin, c'est que tout soit calme et lisse. Ni amour ni haine, ni plaisir ni douleur, ni espoir ni peur, ni sécurité ni danger. Que personne de t'embrasse la joue à l'heure du coucher pour te faire frissonner de plaisir, que personne ne te fasse saigner. Si tu acceptes une chose, alors acceptes aussi l'autre, c'est comme ça. On ne peut pas contrôler tout ce qui arrive. Ton esprit est la seule chose que tu puisses contrôler. Rends-le semblable au lac par un jour paisible. Ne réagis pas d'avantage qu'il est nécessaire, surtout pas devant des étrangers." [A l'orée de la nuit - Charles Frazier - Ed. Grasset, page 337]
Mais le beau-père des enfants, l'assassin de leur mère, revient, dans l'espoir de retrouver de l'argent que lui a subtilisé sa femme. Une chasse à l'homme, aux enfants en l'occurrence, s'engage alors, au cœur de cette nature à la fois protectrice et négligente. Une violence sourde se développe, sous les regards détournés des habitants de ce village qui ne veulent rien voir de ce qui les bouscule.
Les Appalaches - Amérique du Nord

Ce récit est tout en longueur, lent souvent. Il faut se glisser dans le rythme de l'auteur et prendre le temps avec lui, sortir de nos trépidations pour prendre le temps d'apprécier pleinement ce texte. J'ai résisté au début du livre, espérant que le tempo s'accélère. Puis j'ai compris que l'auteur souhaitait nous guider lentement dans l'univers de Luce, plein de petites choses qui en font la richesse : la nature bien sûr, mais aussi les quelques amis précieux, les enfants, le temps, le silence, la solitude, et la musique sur un vieux gramophone, la musique tellement importante tout au long de ce roman et qui donne beaucoup de densité au texte. En fait, il me semble que le lecteur gagnerait beaucoup à accompagner sa lecture des musiques évoquées dans ce livre.






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Il s'agit là de la seconde lecture commune proposée par le Comité de lecteur au cours de ce mois d'octobre, et de ma 5ème lecture de cette rentrée littéraire 2014.

http://delivrer-des-livres.fr/challenge-1-2014-les-lectures-participants/    http://itzamna-librairie.blogspot.fr/2014/09/les-lc-du-comite-de-lecteurs-octobre.html




3 commentaires:

  1. Une lecture en musique. Il ne te reste plus qu'à faire la playlist.

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    1. Là, c'est beaucoup me demander... et un peu sur-estimer mes compétences ;-). J'ai réussi à mettre un titre, c'est déjà pas mal...

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  2. Je lis ton billet après avoir lu le roman, et je te rejoins sur la relative lenteur, sur ce drôle de rythme qu'il faut attraper pour se laisser porter par le texte, savourer les descriptions, les scènes "d'action" comme suspendues..

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