08 janvier 2022

Ultramarins - Mariette Navarro

    

Ils commencent par là. Par la suspension. Ils mettent, pour la toute première fois, les deux pieds dans l’océan. Ils s'y glissent. A des milliers de kilomètres de toute plage. A bord d’un cargo de marchandises qui traverse l’Atlantique, l'équipage décide un jour, d’un commun accord, de s’offrir une baignade en pleine mer, brèche clandestine dans le cours des choses. De cette baignade, à laquelle seule la commandante ne participe pas, naît un vertige qui contamine la suite du voyage. Le bateau n'est-il pas en train de prendre son indépendance ? Ultramarins sacre l'irruption du mystère dans la routine et l'ivresse de la dérive.

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Mariette Navarro est une dramaturge et poétesse française qui a travaillé avec plusieurs compagnies et théâtres et publié plusieurs pièces. Avec Ultramarins, son premier roman, elle nous entraîne dans un univers saisissant, envoutant et poétique.

Ce que je retiens d'abord de ce roman, c'est son ambiance. J'ai plongé rapidement et avec délice dans un univers qui projette le lecteur, en même temps que les membres de l'équipage de ce monstre des océans, dans un monde parallèle, une parenthèse qui bouleversera les marins et leur Commandante en les faisant revenir dans un monde qui ne sera plus tout à fait le même qu'avant.

Le lecteur prend d'abord pied sur un gigantesque cargo, rempli de containers, au large des Açores. L'organisation à son bord y est rigoureuse, quasi militaire. La Commandante dirige son petit monde de 20 marins avec autorité. Ses compétences sont reconnues, son organisation bien rodée. Rien n'est laissé au hasard, chacun sait ce qu'il a à faire et où est sa place.

Jusqu'au moment où une proposition fuse, accordée par celle qui dirige le Cargo. Pourquoi cette idée de faire une baignade en plein océan ? Qu'est-ce qui se passe, dans l'esprit de la Commandante, pour qu'elle accepte de briser cette routine austère qui rassure tout le monde ?

Quoi qu'il en soit, au moment convenu, tous les membres d'équipage plongent dans l'océan, à l'ombre de ce bâtiment imposant qui les rend si petits, laissant leur cheffe seule aux commandes du navire. Pour elle comme pour eux, c'est un sentiment immense de liberté et de joie qui les submerge. Un sentiment de paix pour elle aussi, seule sur ce gigantesque cargo. Une fois les premiers moments d'excitations passés, cependant, tous passent par des émotions et sentiments divers, en commençant par le trouble puis la peur. Parce que ce n'est pas pareil de se baigner à proximité des côtes de sable fin qu'au beau milieu de nulle part, à côté d'un bateau de 20m de hauteur, avec des kilomètres d'eau sous les pieds...

À chacun son image secrète de liberté, à chacun son choc en changeant d’élément. On voit sous leurs paupières passer des paysages, des vacances d’enfance, des plaines si vastes qu’on les croit préhistoriques, des pluies de déluge, des vélos lancés sous des soleils de plomb, des maisons minuscules cachées dans les rochers, des champs de tournesols et des champs de colza, des plages, des épices, des cabanes.
Les 20 hommes d'équipage se baigneront une heure. Puis ils remonteront. Ils seront alors 21. Une petite liberté accordée, une petite pause dans un trajet routinier, et c'est un grain de sable qui s'insère dans une mécanique bien huilée. A croire que le bateau s'est transporté dans une dimension parallèle... Ce sont ces instants d'émotions partagés, avec l'équipage, avec la Commandante et ses souvenirs, le trouble qui s'installe sur le bateau, cette atmosphère un peu surnaturelle... qui emportent le lecteur.

La lecture de ce premier roman est un délicieux moment d'émotion, de poésie et d'ambiances envoutantes. La plume de Mariette Navarro est savoureuse, précise, capable de nous transmettre les émotions de ces hommes flottant au dessus des abysses et de cette Commandante attachée viscéralement à son navire, tout autant que les atmosphères troublantes au milieu desquelles évoluent les passagers du porte containers. Où est la réalité et quelle est la part de fantasme ? Dans ce huis-clos en plein océan, qui sont ces marins qui ne se côtoient qu'à l'occasion d'une traversée de quelques semaines sans vraiment se connaître ni partager une même langue ? Comment se faire confiance ?

De retour au port, ils ne seront plus les mêmes.

Ils croient qu’on peut plonger dans un miroir sans être englouti par la vague, disparaître du côté de monde où la lumière ne passe plus.
Un roman enveloppant, une qualité d'écriture jubilatoire : combien il est agréable de se laisser manipuler ainsi et de sortir de sa zone de confort ! A découvrir absolument.

Ultramarins - Mariette Navarro
Quidam éditeur - août 2021 - 156 pages







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