11 novembre 2017

La salle de bal - Anna Hope

Ce jaune pimpant sur la couverture, qui tranche avec le bleu profond du mur, attire le regard. Le sujet me tentait, parce qu'il était annoncé comme "réalité historique méconnue", qu'il traitait d'un sujet peu abordé, dans l'univers clos d'un asile d'aliénés du Yorkshire, et au début du XXème siècle, là où les pires inventions de l'Homme n'avaient pas encore traumatisé des générations d'humains sur Terre. J'ai découvert un récit subtile, humain, bien loin des représentations que nous pouvons avoir de ces lieux, sans doute parce que le récit s'inscrit dans l'Angleterre de 1911 et que dans cet asile, comme dans d'autres très certainement à cette époque, la frontière entre la folie et la raison n'était si nette.

La salle de bal de Anna Hope.
Éditions Gallimard, Coll. du Monde Entier, 17 août 2017, 400 pages.



Présentation de l'éditeur :

Lors de l’hiver 1911, l’asile d’aliénés de Sharston, dans le Yorkshire, accueille une nouvelle pensionnaire : Ella, qui a brisé une vitre de la filature dans laquelle elle travaillait depuis l’enfance. Si elle espère d’abord être rapidement libérée, elle finit par s’habituer à la routine de l'institution. Hommes et femmes travaillent et vivent chacun de leur côté : les hommes cultivent la terre tandis que les femmes accomplissent leurs tâches à l’intérieur. Ils sont néanmoins réunis chaque vendredi dans une somptueuse salle de bal. Ella y retrouvera John, un «mélancolique irlandais». Tous deux danseront, toujours plus fébriles et plus épris.
À la tête de l’orchestre, le docteur Fuller observe ses patients valser. Séduit par l’eugénisme et par le projet de loi sur le Contrôle des faibles d’esprit, Fuller a de grands projets pour guérir les malades. Projets qui pourraient avoir des conséquences désastreuses pour Ella et John.
Après Le chagrin des vivants, Anna Hope parvient de nouveau à transformer une réalité historique méconnue en un roman subtil et puissant, entraînant le lecteur dans une ronde passionnée et dangereuse.


Ma lecture :

Voici un roman qui traite de sujets graves et tragiques sans lourdeur ni fatalisme. Dans cet asile de Sharston, dont la fameuse de bal a été inspirée par celle du High Royds Hospital de Menston, sont réunis des milliers de personnes auxquelles on ne reconnaît pas une place dans la société, tant parce qu'ils sont aliénés que parce qu'ils sont pauvres, asociaux, révoltés, violents, différents... ou que leurs familles ont fait le choix de les y placer. En ce début de XXème siècle, les frontières entre folie et indigence semblent ténues, et l'ignorance ou l'isolement être prétextes à internement.

Pour ce qui concerne Ella et John, le lecteur reste indécis. Même si rien ne semble indiquer qu'ils aient une quelconque raison d'être enfermés, j'avoue avoir eu du mal à dépasser le fait qu'ils soient bel et bien internés, selon le principe "qu'il n'y a pas de fumée sans feu". C'était d'ailleurs terrifiant : j'ai cherché tout au long du livre des preuves justifiant leur internement, en vain. L'une semblait être là simplement pour avoir n'avoir plus supporté sa situation d'ouvrière exploitée d'une filature et avoir brisé une vitre. L'autre pour n'avoir pas supporté la mort de son enfant.
"J'ai lu votre dossier, Mr Mullingam. J'avais envie d'en savoir plus sur votre cas. J'ai appris votre... tragédie. [...] Mais honnêtement Mr Mullingam, j'ai été quelque peu surpris. [...] Je comprends que la vie puisse... nous marquer. Mais vous êtes un bel homme fort. Dites-moi, comment vous êtes vous laissé aller à un tel abattement ? Hmm ? Ne pensez-vous pas que le monde a besoin de beaux hommes forts ?" (La salle de bal, Anna Hope, Ed. Gallimard, pages 122-123)

Et puis il y a Clem, qui entretiendra le lien entre eux deux. Elle est internée, semble-t-il à la demande de sa famille, parce qu'elle est fille et qu'elle lit trop. Un homme qui pleure son enfant, une fille qui lit, l'autre qui se révolte... voilà des choses qui ne se font pas en 1911. Et tout au long du récit, on tremble pour eux. On les sent fragiles, peu armés pour résister à la machine implacable qu'est cette institution. A chaque instant, on se demande s'ils ne seront pas dirigés vers ce triste bâtiment des aliénés, soit parce qu'ils vont de nouveau craquer, soit parce que les soignants ne porteront guère attention à eux, ou encore parce qu'un médecin les aura pris en grippe. Ce sera le cas de ce docteur Fuller, qui rêve de laisser son nom dans l'histoire de l'eugénisme, idée novatrice qu'il partage avec beaucoup de grands de ce monde (Wiston Churchill et Léonard Darwin, petit fils de Charles Darwin, pour ne citer que des anglais), et qui mènera aux pires horreurs que l'Histoire ait eues à connaître.

Le lecteur tremble à chaque page de ce récit déconcertant : d'espoir pour Ella, John et Clem, de peur face aux rouages de cette machine infernale, d'angoisse également face aux délires du Dr Fuller. Anna Hope nous plonge dans des incertitudes permanentes, dans l'inconfort au cœur d'un système si peu rationnel, où les soignants innovent, expérimentent, aux frontières de l'absurde, et où les patients, cobayes, risquent de perdre la raison à force de côtoyer la folie.

La salle de bal du High Royds Hospital qui inspira le décor du roman.

Anna Hope nous offre ici un récit captivant, où rien n'est jamais sûr, dans lequel la tension va croissante, où les bonnes intentions et des sentiments purs existent malgré tout. Un roman chorale très réussi, où alternent les voix de Ella, John et de Charles, le Dr Fuller. L'écriture de Anna Hope est fluide, le style à trois voies rythme la lecture et lui donne de la vivacité, la tension monte au fil du récit, accentuant le rythme de lecture. On arrive au bout épuisés, abasourdis de tant de fanatisme et d'irrationalité, inquiets aussi que de telles idées puissent encore trouver leurs adeptes.

Un second roman réussi, qui me donne envie de découvrir le premier, Le chagrin des vivants.

D'autres avis, également enthousiastes, chez Kitty la mouette, Mots pour mots, Bricabook... entre autres.


5ème titre de cette rentrée littéraire 2017



4 commentaires:

  1. Une spirale de folie qui ne t'a pas fait perdre la raison ?

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  2. J'ai découvert il y a peu cet auteur, et punaise, quel roman oui !

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  3. Je n'ai pas lu le premier. J'espère le rencontrer un jour...
    A cette époque, on rentrait vite dans un asile, mais pour en sortir, c'était une autre paire de manches !
    Un roman qui marque !

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