05 mars 2017

Seules les bêtes - Colin Niel

Direction les Causses, au cœur de l'hiver, où une femme disparaît. Colin Niel nous conduit dans ce pays austère, rude et isolé, dans lequel subsistent, sur les Causses, à l'écart du village, quelques fermes encore habitées par des hommes qui tentent de maintenir une activité paysanne. Construit avec les codes du polar, ce roman de Colin Niel est surtout un superbe portrait social et humain. Dans ces paysages arides, la vie des derniers survivants d'un monde en voie de disparition, rattrapés par la modernité et les aspirations de néo-ruraux, est magnifiquement décrite : les contraintes du paysage et de la météo, l'isolement et la solitude de ces paysans qui tentent de ne pas sombrer avec leur ferme et de maintenir leur activité.

Seules les bêtes - Colin Niel.
Editions Rouergue, janvier 2017, 224 pages.

Présentation de l'éditeur :

Une femme a disparu. Sa voiture est retrouvée au départ d’un sentier de randonnée qui fait l’ascension vers le plateau où survivent quelques fermes habitées par des hommes seuls. Alors que les gendarmes n’ont aucune piste et que l’hiver impose sa loi, plusieurs personnes se savent pourtant liées à cette disparition. Tour à tour, elles prennent la parole et chacune a son secret, presque aussi précieux que sa propre vie. Et si le chemin qui mène à la vérité manque autant d’oxygène que les hauteurs du ciel qui ici écrase les vivants, c’est que cette histoire a commencé loin, bien loin de cette montagne sauvage où l’on est séparé de tout, sur un autre continent où les désirs d’ici battent la chamade.
Avec ce roman choral, Colin Niel orchestre un récit saisissant dans une campagne où le monde n’arrive que par rêves interposés. Sur le causse, cette immense île plate où tiennent quelques naufragés, il y a bien des endroits où dissimuler une femme, vivante ou morte, et plus d’une misère dans le cœur des hommes.



Ma lecture :
"Comme quand t'es gamin et que tu te dis que le Causse c'est le plus bel endroit du monde sans voir ce futur qui se prépare, sans savoir que plus tard ces steppes sans fin tu pourras plus les regarder sans avoir envie de chialer. Et en moi j'ai senti revenir les nœuds de la solitude." (Seules les bêtes, Colin Niel, Editions Rouergue, janvier 2017, page 97)
Ce dernier titre de Colin Niel est l'un des deux romans proposés à notre club de lecture pour ce mois de mars. Comme dans Trois saisons d'orage, de Cécile Coulon, la nature tient une place essentielle dans le récit. D'autant plus lorsqu'elle se révèle hostile, comme c'est le cas dans ces deux récits.
Elle n'est pas malveillante ici, mais elle reste rude, austère, s'apprivoise difficilement. Sur les Causses à l'arrivée de l'hiver, les Hommes se trouvent isolés dans leurs fermes, leur village, avec les bêtes. J'aime les récits où il est question d'une nature aride, difficile d'accès, de lieux magnifiques qui se méritent, où l'Homme se bat pour y faire sa place et y gagner le droit de vivre. C'est le cas ici, décrit avec précision et sensibilité.

La première partie du récit me rappelle la maison que nous louions quand j'étais petite pour aller découvrir la neige et les joies du ski. Je ne sais plus trop où : le massif central, la Lozère... Une veille maison en pierres, isolée à l'orée d'une forêt, où il est arrivé que la neige nous empêche d'ouvrir la petite lucarne de notre chambre à l'étage. Près du gîte, les propriétaires habitaient dans leur ferme, un couple, des enfants peut-être je ne me souviens plus, et la vieille grand-mère qui, elle, m'avait marquée. Quel plaisir j'avais à venir passer une semaine là, nous étions seuls au monde, à aller chercher du bois en forêt, faire griller notre pain dans la cheminée, à écouter des histoires sur les genoux de nos parents au coin du feu... Un rêve pour les citadins que nous étions...

Ferme de Roque-Altès - Aveyron (Hervé Sentucq Panoram'Art)


Mais c'est une toute autre histoire que nous raconte Colin Niel dans ce polar. Ici, il est question de la solitude des agriculteurs, de suicides, du travail des assistantes sociales qui arpentent les causses de fermes en fermes pour soutenir ces hommes seuls, ces fermes isolées... Ce sont aussi des histoires de familles, qui datent de plusieurs générations, où l'on se battait pour les terres. Aujourd'hui, presque tout le monde est parti, mais les histoires, les rancœurs et les vieux secrets subsistent.

C'est dans ce contexte qu'Evelyne Ducat a disparu. Elle est la femme de Guillaume, fils du pays parti faire sa vie à Paris et de retour après sa fortune acquise. Evelyne est une bourgeoise venue d'un autre monde, celui de la ville, de l'argent, des fêtes et des aventures. Nous menons l'enquête aux côtés de divers protagonistes de l'affaire. Colin Niel nous entraîne dans diverses directions grâce à la construction de ce roman chorale. Il brouille les pistes, nous conduisant dans des lieux et des milieux les plus variés et les plus surprenants. On se laisse embarquer, surpris des chemins que l'auteur nous fait prendre, se demandant où cela peut bien nous conduire. Mais passée la surprise à chaque changement de narrateur, on se laisse convaincre par les univers que l'auteur nous propose. J'ai beaucoup aimé suivre l'auteur, me laisser bousculer. Son style est précis, sociologique, presque ethnologique. Et ça j'ai beaucoup apprécié. Le récit est dense, il mêle des milieux différents et les styles de vie si hétéroclites de ses personnages à des environnements naturels riches et rudes à la fois.

Ce livre est le récit magnifique de mondes qui se croisent sans jamais se rencontrer vraiment, les petits paysans attachés à leur terre hostile, les touristes qui rêvent de ces paysages quelques semaines par an tout au plus, le monde occidental que l'on imagine riche mais qui peut générer une misère qui n'est pas seulement économique. Ce texte est aussi un polar que l'on ne lâche qu'une fois la dernière page tournée.

Bref, je n'en dirais pas plus pour ne rien dévoiler de l'intrigue qui vous tient en haleine jusqu'à la dernière page. J'ai adoré ce livre, coup de cœur de cette rentrée hiver 2017, et me suis plongée immédiatement dans Ce qui reste en forêt, second polar de Colin Niel paru en 2013 chez Rouergue Noir, et qui se déroule en Guyane. Ca commence bien... De quoi pouvoir échanger avec l'auteur lors de sa venue le 16 mars 2017 à la Librairie Lise&moi, à Vertou (44).



D'autres avis chez Nyctalopes, En mode lectures, ou Benedict Mitchell.





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