23 décembre 2014

Autour du monde - Laurent Mauvignier

 
Quatrième et dernière lecture de la sélection de 12 romans (oui, en fait, il y avait 12 titres... il me semblait pourtant les avoir comptés...) proposée par le Comité de lecteurs de décembre dans le cadre de la rentrée littéraire française  2014. Après L'amour et les forêts, de Eric Reinhardt,  La fractale des raviolis de Pierre Raufast, et Selon Vincent de Christian Garcin, peu habituée à la lecture de nouvelles, j'avoue avoir frôlé l'indigestion. J'ai découvert Laurent Mauvignier avec une nouvelle compilation de récits ayant cette fois, pour lien mars 2011, date du tsunami au Japon.  Si j'étais un peu lassée par le style, j'ai pourtant beaucoup apprécié ma lecture.


Présentation de l'éditeur : 

Rencontrer une fille tatouée au Japon, sauver la vie d'un homme sur un paquebot en mer du Nord, nager avec les dauphins aux Bahamas, faire l'amour à Moscou, travailler à Dubaï, chasser les lions en Tanzanie, s'offrir une escapade amoureuse à Rome, croiser des pirates dans le golfe d'Aden, tenter sa chance au casino en Slovénie, se perdre dans la jungle de Thaïlande, faire du stop jusqu'en Floride.
Le seul lien entre les personnages est l'événement vers lequel tous les regards convergent en mars 2011 : le tsunami au Japon, feuilleton médiatique donnant à tous le sentiment et l'illusion de partager le même monde.
Mais si tout se fond dans la vitesse de cette globalisation où nous sommes enchaînés les uns aux autres, si chacun peut partir très loin, il reste d'abord rivé à lui-même et à ses propres histoires, dans l'anonymat.

Laurent Mauvignier est né en 1967. Prix Wepler 2000 et Prix Livre Inter 2001 pour Apprendre à finir. Prix du roman Fnac 2006 pour Dans la foule.


Ma lecture :

Après ma lecture de Selon Vincent, de Christian Garcin, j'étais guère enthousiaste à l'idée de replonger dans un récit faisant ainsi se succéder 14 récits de voyage. Je me suis pourtant laissée embarquer pour le Japon où j'ai rencontré Guillermo et Yûko, deux amants qui se sont rencontrés pour le temps des vacances, celles de Guillermo au Pays du soleil levant. Laurent Mauvignier nous présente Guillermo, et laisse Yûko entourée de mystère. Les deux amants partent subitement vers le nord du Japon, dans un petit village de bord de mer. Un village de pêcheurs qui sera bientôt dévasté par ce terrible tsunami de mars 2011. Guillermo sera emporté, Yûko aura la vie sauve grâce à son blouson doudoune. Tout cela, on le sait presque depuis le début du récit. Et c'est la force de cette fatalité, l’inexorable voyage vers cette partie du Japon qui sera bientôt en ruine, qui donne toute sa puissance à ce premier récit. En quelques 30 pages, Laurent Mauvignier nous livre le récit d'une tragique insouscience.

"Dans les forêts, on trouve des bornes, des pierres avec des inscriptions qui datent de plusieurs siècles pour dire que la limite du domaine de la mer, c'est ici. C'est jusqu'ici que les tsunamis peuvent frapper, ils le savent. Ils savent tout ça mieux que nous, les Japonnais. Et ce n'est pas l'océan, ni les tremblements de terre ni les sismologues qui sont responsables, madame. Pas moi qui suis responsable s'ils construisent des villes entières là où leurs ancêtres savaient qu'il ne fallait pas le faire." (Autour du monde - Laurent Mauvignier - Les Editions de Minuit - septembre 2014 - pages 78-79)

Puis, sans savoir comment, l'auteur nous emmène en mer du nord, sur un bateau de croisière, en compagnie de Frantz, un vieux gars particulièrement antipathique. Je n'ai pas accroché de la même manière à tous les récits et celui-ci m'a ennuyée, même si l'histoire de Khrenov père, malade d'Alzheimer, était particulièrement violente et dramatique. La marque de fabrique de Laurent Mauvignier dans ce roman, est la transition qui se veut subtile entre les récits. Au cours d'une même phrase, l'auteur peut nous faire passer d'un hémisphère à l'autre. On quitte Mitch et sa famille dans les tasses géantes de Disneyworld en Floride pour se retrouver avec Fumi et sa famille dans la parc Disney de Paris. La transition est douce, à tel point que l'on reprend sa lecture un peu en arrière pour s'assurer de ne jamais avoir entendu parler de Fumi avant. Non, nous avons bien traversé l'Atlantique, l'espace d'une phrase. Ces transitions sont la clé de la construction de ce roman, qui aurait tout aussi bien pu n'être qu'un recueil d'histoires ayant pour lien ce tsunami de mars 2011.

Le tsunami n'est en fait pas la seule chose qui réunit ces textes. Il s'agit chaque fois de voyages : une croisière en mer du nord, un baptême de plongée aux Bahamas, un voyage d'affaires, et d'agrément, à Moscou, une escapade en Slovénie où deux papis espèrent gagner au casino (cette histoire m'a particulièrement touchée)... Chaque acteur de ces récits est en mouvement, contraint ou choisi. L'autre point commun de ces récits est qu'ils sont toujours graves, sombres, tristes. Dans ces environnements souvent paradisiaques, rien ne va de soi, il y a partout des secrets, des mensonges, des imprudences, de la violence, voire la mort, les attentats... Un peu comme si le monde avait définitivement déraillé ce jour précis du 11 mars 2011. Comme si ce drame, ce raz de marée, avait eu des conséquences partout dans le monde.

Ce recueil est aussi le témoignage d'une grande indifférence à ce qui se passe dans le monde. Si dans chaque récit est évoqué le drame du Japon, c'est toujours en fond, de manière très ténue, les acteurs de chaque nouvelle étant tout entier tournés vers son propre drame, sa propre souffrance, ses mensonges... personne ne s'y arrête réellement.

Le thème de ce livre serait un peu "Et vous, que faisiez-vous le 11 mars 2011 ?". Si tous, nous nous souvenons précisément de ce que nous faisons le 11 septembre 2001, je ne suis pas sûre qu'il en soit de même pour cette autre date. 2001, c'était il y a 13 ans !!! Et pourtant, je me souviens très bien de l'endroit où j'étais quand j'ai entendu la nouvelle des attentats du World Trade Center. Je sais très bien ce que j'étais en train de faire, qu'elle a été l’effervescence et l'incrédulité de chacun à ces annonces. Je me souviens parfaitement du temps qu'il m'a fallu pour comprendre qu'il ne pouvait s'agir d'une coïncidence. Mais le 11 mars 2011... Ma fille venait d'avoir un mois et les photos que j'ai prises d'elle à ce moment là me ramènent à cette date très clairement. Mais le tsunami... L'Occident a, me semble-t-il, commencé à s'y intéresser quand les risques nucléaires furent inévitables. C'est aussi cette critique qui transparaît dans ce livre, même s'il ne juge jamais, se contentant de constater que chacun a ses priorités, sa vie, ses drames...

"Mais il n'aurait pas cru, si lui-même ne l'avait pas, si on lui avait seulement raconté que les Philippins dans les arrières-cuisines du monde entier, dans les soutes des grandes croisières, à demi cachés, presque effacés et invisibles au regard de ce monde où tout un chacun semble être un voyageur permanent, que seuls des milliers de Philippins infiniment négligés et infiniment précieux faisaient vivre et tourner ce grand corps grouillant qu'est le monde globalisé." (Autour du monde - Laurent Mauvignier - Les Editions de Minuit - septembre 2014 - pages 172-173)

Ce livre, dense, fait d'histoires différentes les unes des autres est aussi une belle critique sociale, économique, un plaidoyer écologique, très amer, caustique. Beaucoup de thèmes d'actualité sont abordés, la place de l'occident, de sa richesse, l'exploitation des pauvres, la misère sociale, la solitude, Israël et la Palestine, le mépris de l'Homme blanc pour l'Afrique dont il se sert comme faire-valoir et qu'il exploite, l'homosexualité (un récit d'une grande originalité dans le paysage littéraire actuel)...

"Parce que tout ce qui était arrivé était bien la faute de sa femme, toujours boudeuse, renfrognée, triste, amère, comme il en tombe parfois dans la vie d'un homme pour le briser ou le ridiculiser et qui finit toujours, par son obstination à sa refuser à lui, par le pousser dans les bras d'une ou de toutes les autres.C'était plutôt lui qui aurait dû partir. Mais il était fidèle au mariage, à défaut de l'avoir été à son épouse." (Autour du monde - Laurent Mauvignier - Les Editions de Minuit - septembre 2014 - pages 259)

Abordez ce livre comme un recueil de nouvelles et vous serez nullement déçus ! On soulignera également la plume de Laurent Mauvignier, très contemporaine, qui sait se faire lente, mais aussi vive et incisive. Un bel état des lieux du monde comme il va, comme il allait, le 11 mars 2011.


Autour du monde de Laurent Mauvignier. Les Éditions de Minuit, septembre 2014. 384 pages.

Allez voir l'avis de Clara, de Sylvie ou encore celui de la clef des mots.


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Voici donc ma quatrième et dernière lecture dans la liste proposée par ma bibliothèque et reprise pour le Comité de lecteurs de décembre et de ma 13ème lecture de cette rentrée littéraire 2014.


   http://itzamna-librairie.blogspot.fr/2014/10/comite-de-lecteurs-decembre-2014.html   http://delivrer-des-livres.fr/challenge-1-2014-les-lectures-participants/


5 commentaires:

  1. Superbe chronique ! J'ai hâte de m'y plonger, il est sur ma PAL depuis un mois !
    (Et je constate que nous avons bcp de goûts communs ! Normal pour des ex-swap ruses !)
    Bonnes fêtes de fin d'année ;-)

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    1. Merci pour le compliment : bonnes fêtes de fin d'année à toi et à tes proches également. (ex-swap ruses ?)

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    2. "ruses" ? euh...je ne sais plus ce que j'ai voulu écrire et que mon smartphone a déformé LOL
      Le swap, c'était celui-là : http://itzamna.over-blog.fr/article-swap-partners-in-crime-81932334.html
      bises

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    3. Contente de te retrouver sur la blogosphère. J'en étais restée à Ciboulette, peinée de te voir abandonner ton blog avec un billet si désabusé.
      Ce swap, mon premier, m'a laissé un excellent souvenir : le doudou est toujours l'un des préférés de Chloé (qui avait alors 7 mois et qui va bientôt fêter son 4ème anniversaire...), et le mug est le chouchou de sa maman (quand ce n'est pas elle qui me le pique ;-)).
      Vraiment contente de te croiser de nouveau !

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