05 mai 2020

Tous les vivants - C.E.Morgan

 

Orren et Aloma sont deux âmes à vif, deux jeunes êtres à fleur de peau. Elle est orpheline, élevée dans une école missionnaire catholique et dotée d'un talent rare pour le piano. Il est fils de fermiers, fier et taciturne. Ils sont amoureux et leur vie bascule le jour où la famille d'Orren meurt dans un accident de voiture, le laissant responsable d'une vaste plantation de tabac, d'une terre aride et d'une maison silencieuse où flotte encore la présence des êtres disparus. Livrée à elle-même dans ces lieux si peu familiers au cœur des montagnes du Kentucky, Aloma devra trouver sa place dans cette nouvelle vie, déchirée entre son désir de conserver sa liberté de femme et la nécessité de se soumettre aux engagements du couple. Tous les vivants a la puissance évocatrice d'une parabole et le charme intemporel d'un conte. C. E. Morgan y dresse un remarquable portrait de femme, intime et saisissant, et dépeint avec une éclatante justesse le processus d'enracinement des êtres au sein d'une terre et d'une famille.

*****

Heureusement, je me suis plongée dans ce texte ce week-end et j'ai immédiatement retrouvé le goût de la lecture, et un peu de temps aussi finalement. Ce roman se lit comme on écoute un morceau de piano : on ferme les yeux (ou ici les oreilles) et on se laisse emporter par l'émotion qui se dégage de chaque note, ou de chaque mot. On découvre toute la palette de sentiments du cœur humain, de l'espoir à la haine, de la tendresse à la passion destructrice, de la joie à la froideur la plus implacable. Parfois les doigts effleurent juste le piano, avec douceur et légèreté. A d'autres moments, les mains s'enfoncent sur les touches pour faire raisonner la musique le plus haut possible.

Ce qui m'a beaucoup plu dans ce texte, c'est qu'Aloma, au cœur du récit, traverse des moments si différents et extrêmes, sans être pour autant extrême dans ses comportements. Il me semble que chaque femme peut se reconnaître dans ses errements et ses doutes, dans ses espoirs et cette soif de liberté ou d'un ailleurs toujours meilleur. Beaucoup de choses se passent dans son esprit, mais quoi qu'il arrive, elle tente de garder un semblant de normalité dans son quotidien. Elle fait au mieux.

Aloma est une jeune femme qui découvre le monde et qui se confronte à la réalité de la vie. Elle sort de l'enfance, de ses rêves, de la fougue et de l'innocence, pour entrer avec beaucoup de doutes dans le monde des adultes où tout n'est que compromis et renoncements. Elle se cogne aux difficultés du quotidien, cherche son chemin et sa place dans cette maison qui n'est pas la sienne, sur des terres qu'elle rêvait de quitter. Elle est une femme, n'a pas de famille ni de ressources pour choisir seule son destin, elle a sans doute rencontré furtivement l'amour, mais le quotidien l'aura érodé. Elle n'a que la musique pour la sauver, mais celle-ci ne fait pas partie du monde qu'elle a rejoint.
"Elle aurait voulu que la lumière s'en aille. Elle tripota le volant décoloré par le soleil, le levier de vitesse, ses mains allaient et venaient sur le jean de ses cuisses, elle était incapable de s'arrêter. Ses mains vides avaient pourtant dérobé quelque chose. La conscience de son forfait creusa en elle une entaille de culpabilité si claire et si soudaine, comment avait-elle pu ne pas sentir sa lame tranchante, fallait-il que ses propres sensations fussent endormies par quelque sourd désir."

Il ne se passe pas grand chose dans ce livre, mais on le lit avec passion, on se laisse engloutir par la volonté et les espoirs d'Aloma. On essaye avec elle de comprendre Orren, qui a tellement changé depuis la mort de sa famille et son installation à la ferme et qui nous semble, à nous aussi, tellement hermétique. Avec elle on hésite, on se demande si la vie ne serait pas ailleurs, si l'amour ne serait pas avec un autre finalement. On essaye de s'attacher à cette terre que l'on ne connait pas non plus. On sent le rouge de la honte nous monter aux joues ou parfois cette envie de hurler et de frapper.

On ne sait pas bien quand se déroule ce récit, ni vraiment où, si ce n'est dans une Amérique telle qu'on peut se l'imaginer de ce côté-ci de l'Atlantique. Mais cela n'a pas d'importance car cette histoire est universelle et intemporelle. Voici donc un texte comme je les aime, où l'on entre dans le cœur des personnages, et qui est si bien écrit. J'aime ces phrases qui chantent, qui ondulent, qui bercent, ces refrains qui nous emportent une page après l'autre, dans un rythme doux qui parfois s'accélère. Voici un magnifique portrait de femme, dépeint avec beaucoup de douceur et de tendresse. Un premier roman très réussi.

Tous les vivants - C.E.Morgan
Editions Gallimard - janvier 2020 - 241 pages


Si je n'ai pas réussi à vous convaincre, je vous invite à aller lire le billet de Mumu dans le boccage.



2 commentaires:

  1. si si, je suis convaincue, je suis impatiente de mettre la main dessus ! surtout si ça parle de piano

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    1. Contente d'avoir réussi à faire passer mon enthousiasme ;-) Cela vaut le coup d'œil !

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